Les investisseurs redoutent une chute des bénéfices futurs des entreprises sous l’effet du protectionnisme et de l’inflation.
Selon les médias, la guerre commerciale expliquerait le récent recul des marchés financiers partout dans le monde.
Bill Bonner revient sur la vanité des barrières douanières qui ne font que protéger un petit nombre au détriment du plus grand nombre. Si une telle politique était efficace, la Corée du Nord serait un paradis prospère comme l’Allemagne de l’Est l’aurait été en son temps.
En réalité, les barrières douanières sont un impôt qui empêche l’industrie locale de s’approvisionner au meilleur prix et détruit la valeur ajoutée possible. Ce matin, j’ai rencontré un défenseur d’un protectionnisme intelligent qui habite la Suisse. Il me vantait la subtile politique helvétique qui consiste à taxer les fraises importées lorsque la Suisse en produit elle-même, mais à laisser entrer les fraises de l’étranger hors taxe lorsque la production locale s’arrête faute de climat propice.
Hélas, je ne suis pas convaincue.
Si le rapport qualité prix des fraises suisses est satisfaisant, pourquoi ne pas laisser le consommateur choisir ?
Sinon, pourquoi punir les consommateurs suisses de fraises espagnoles ?
Pourquoi privilégier des producteurs de fraises suisses au détriment des pâtissiers suisses qui vendent des tartes aux fraises, des glaciers suisses ou des fabricants suisses de confitures ?
Les producteurs suisses non-compétitifs ne pourraient-ils pas cultiver des framboises ou quelque chose d’autre que les fraises dans lequel ils excelleraient et qu’ils pourraient exporter pour la satisfaction d’autres consommateurs ?
Le protectionnisme, intelligent ou pas, fausse la concurrence. Fausser, c’est comme tricher : il n’y a pas de « un peu », de « beaucoup »… C’est binaire. Sans une information de prix honnête, la production s’organise mal, la compétitivité chute et les bénéfices aussi (et la vraie richesse).
Grande peur sur les bénéfices
Ce qui nous ramène aux marchés actions.
Les capitalisations boursières représentent une somme de bénéfices futurs attendus. Visiblement, les investisseurs pensent que cette somme va baisser.
Lorsque quelqu’un achète une action, il spécule sur les bénéfices futurs de l’entreprise – et une part d’entreprise s’évalue toujours en fonction des résultats. Car, contrairement à ce que pense Bruno Le Maire, une entreprise n’est pas une association d’intérêt général à but vaguement lucratif. Son but est au contraire de gagner le plus d’argent possible.
Une première façon d’évaluer une entreprise cotée consiste à prendre le prix de l’action et à le diviser par le dernier résultat par action connu.
Actuellement, en moyenne, une action de l’indice américain S&P 500 se paie 25 fois ses bénéfices. C’est cher, historiquement.
Mais, comme vous le voyez sur ce graphique, il y a eu pire en 2000 et 2007.
Les acheteurs sur les marchés actions sont cependant des spéculateurs : ils regardent aussi l’historique des bénéfices et pas seulement le dernier connu. Avec cet historique, ils essaient d’anticiper le futur.
Une deuxième façon d’évaluer une entreprise consiste à diviser le prix d’une action par la moyenne de ses bénéfices des 10 dernières années, ajustés de l’inflation. Cette méthode a été développée par le prix Nobel Robert Shiller. On parle du ratio PE (comme Price Earning) Shiller.
Actuellement, en moyenne, une action de l’indice américain S&P 500 se paie 32 fois son PE Shiller. C’est très cher, historiquement.
Comme vous le voyez sur ce graphique, il n’y a pas eu pire qu’en 2000. Vous noterez aussi que dans les années d’inflation – comme de 1973 à 1980 – les investisseurs payaient moins cher les entreprises.
Le recul actuel des marchés actions nous indique donc que les spéculateurs pensent que les bénéfices attendus ne seront pas au rendez-vous. Ils ont probablement raison.
Et si l’inflation sortait enfin du tube ?
La guerre commerciale, autrement dit les barrières douanières, renchérit les prix d’approvisionnement. Les transformateurs pourraient, pour maintenir leurs bénéfices, augmenter leurs prix. Mais leurs clients suivront-t-ils ? Cela dépendra du pouvoir d’achat et des taxes à l’entrée dont ils se verront frappés.
La guerre commerciale déclenche un cercle vicieux de hausse des prix, donc d’inflation et d’appauvrissement.
Cela fait 10 ans que les politiciens clientélistes et la Parasitocratie rêvent d’une bonne petite inflation sournoise capable de ronger les dettes des Etats. Ce que la politique monétaire débridée n’a pas réussi à produire, la guerre commerciale va peut-être réussir à le faire.
Comme le disait Karl Otto Pöhl, président de la Bundesbank de 1980 à 1991 :
« L’inflation, c’est comme la pâte dentifrice : une fois qu’elle est sortie du tube, il est impossible de l’y faire rentrer ; ainsi, il vaut mieux ne pas appuyer trop fort sur le tube.«
Là, on appuie fort sur le tube.
Mais cette fois, c’est différent. Les banquiers centraux ne pourront pas relever leurs taux directeurs pour « lutter contre l’inflation » car avec des taux normaux, les pays surendettés seront incapables d’assumer leurs dettes.
3 commentaires
Il y a une confusion certaine(voulue?) dans vos exemples de » la vanité des barrières douanières ». Vous prenez comme exemple l’Allemagne de l’Est. C’est oublier comme pour la Corée du Nord qu’il y avait un conflit politique et militaire qui se sont fait affronter une économie planifiée avec une économie capitaliste libérale… pas si libérale que cela. Le mur de Berlin a été construit non pas pour des raisons douanières mais pour éviter la fuite des propriétaires terriens et de la classe supérieure. N’oubliez pas que les barrières douanières existaient depuis le début du Communisme et imposées par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou ce qu’il restait de son Empire, la France et l’Allemagne étant déjà assez enfoncées économiquement et à la traîne de leurs créditeurs anglo-saxons. Dès 1948, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France mirent en place la réforme monétaire du 20 juin 1948 en zone occidentale, en lançant le Deutsche Mark pour remplacer le Reichsmark. Les autorités soviétiques réagirent en créant le Mark est-allemand dans leur zone d’occupation. De 1949 à 1990, la monnaie porte les noms successifs de « Deutsche Mark » de 1949 à 1964 (différent du Deutsche Mark de l’Allemagne de l’Ouest, qui circulait clandestinement en RDA – je m’en souviens pour l’avoir pratiquée cette « circulation »), de « Mark der Deutschen Notenbank » de 1964 à 1967, et de « Mark der DDR » (« Ostmark ») de 1967 à 1990. Donc pas étonnant que les sanctions de pas mal de produits existant depuis fort longtemps y compris à l’égard de l’ex URSS ne pouvait que nuire aux pays du bloc soviétique. Ce ne sont pas les barrières que la Corée du Nord ou que l’Allemagne a créé avec le mur en 1961 qui sont la cause de l’échec économique et de la chute de l’ex URSS. Mais bel et bien les sanctions américaines et européenne vassalisées aux USA post 1945.
Quant aux fraises suisses, je me sens particulièrement concerné: Ici les producteurs font baisser les prix si les consommateurs peuvent venir les cueillir et sont imbattables au point de vue prix et ne passent plus par la grande distribution et bien meilleures que les fraises espagnoles ou françaises et surtout sans autant de pesticides.
Merci de bien vouloir trouver d’autres exemples de « vanité des barrières douanières ». Signé un suisse qui ne se sent nullement handicapé par le protectionnisme des producteurs de fraises suisses. Quand j’irai en Espagne j’irai mangé des fruits et légumes espagnols en contrôlant bien leur(s) origine(s). 🙂
» . Il me vantait la subtile politique helvétique qui consiste à taxer les fraises importées lorsque la Suisse en produit elle-même, mais à laisser entrer les fraises de l’étranger hors taxe lorsque la production locale s’arrête faute de climat propice. »
Je pensais que la Suisse avait totalement supprimé ses tarifs douaniers au début des années 2000 ? (cf l’un de vos articles précédant)
Je présente mes excuses pour les fautes d’orthographes dans mon premier commentaire que je n’avais pas relu.
A Sébastien Maurice, la Suisse ne fait rien comme les autres. Ses tarifs douaniers sont spécifiques aux produits et aux accords bilatéraux non seulement avec l’UE mais également avec d’autres pays comme l’Inde: En 2008 la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats avait donné son aval à un protocole à la convention de double-imposition avec l’Inde et accepté des mesures tarifaires en matière de douanes.
Pour les fraises, Simone Wapler dit juste. Voilà la politique actuelle: Afin de protéger l’agriculture locale, le gouvernement suisse a mis sur pied des contingents (quotas) qui limitent l’importation de fraises étrangères pendant la saison des fraises suisses. Les taxes douanières sont revues à la hausse pendant quelques mois et parfois, l’importation est même interdite. Grâce à ce système, les producteurs suisses peuvent écouler leurs stocks sans se soucier de la concurrence aux prix bien plus bas. Mais les fraises suisses offrent de nombreux avantages, que ce soit la transparence au niveau de leur origine, moins de kilomètres parcourus et des conditions de production strictes aussi bien sur le plan environnemental que social. Et pour renouer avec la nature, l’on peut aussi cueillir ses propres fraises, dans des cultures prévues à cet effet! Cette pratique, de plus en plus répandue, a de nombreux avantages pour le producteur comme pour le consommateur: en limitant les intermédiaires, les coûts sont réduits aussi bien pour le consommateur que pour le producteur. Moins de main d’oeuvre pour le producteur et une marge qui lui revient directement, et plus de sécurité et de convivialité pour le consommateur, en famille ou entre amis.
Quant à la présence de pesticides je suis encore trop optimiste dans mon premier commentaire: Greenpeace Suisse a déploré en 2016 le fait que les fraises suisses cultivées de façon conventionnelle sont « presque toujours contaminées par des pesticides ». L’organisation écologiste parlait de « résultats alarmants ». Greenpeace avait mandaté un laboratoire indépendant pour procéder à des analyses d’échantillons de sols et de plantes prélevés dans les fraisières de Thurgovie et du Seeland bernois, ainsi que de fraises suisses achetées dans les grandes surfaces. Les analyses confirment l’utilisation « de quantités importantes de pesticides ». Selon Greenpeace, 20 pesticides différents ont été trouvés, dont bon nombre de fongicides, une substance conçue pour limiter le développement des champignons. Un échantillon provenant d’une fraisière contenait 11 substances différentes. Beaucoup de pesticides détectés par les analyses « sont considérés comme nocifs pour la santé publique, les animaux utiles et les organismes aquatiques », affirmait l’organisation écologiste. Les résultats portant sur les fraises achetées dans les commerces ne n’étaient guère plus rassurants. « Douze échantillons sur 13 analysés provenant de la culture conventionnelle contenaient des pesticides pouvant être cancérigènes ».
N’oublions pas que la Chimie bâloise fait un lobbying intense dans la salle des « pas perdus » à Berne.