La possibilité de payer du pétrole en yuan entame le monopole du dollar en tant que devise internationale de réserve.
Nous avons vu hier que la valeur du dollar est maintenue en lévitation depuis quatre décennies grâce à son statut de monopole pour régler les achats de pétrole.
La possibilité de négocier du pétrole en yuan mettrait, de fait, un terme à ce privilège.
Tout juste un an après l’intégration du yuan dans le panier de devises du DTS du Fonds Monétaire International, la Chine a annoncé le lancement d’ici la fin de l’année de contrats à terme sur le pétrole sur le Shanghai Futures Exchange.
Ce que l’on sait sur ces contrats
Les informations dont nous disposons au sujet de ces contrats sont quelque peu contradictoires.
De nombreux articles de la presse économique occidentale indiquent qu’il s’agit de futures (contrats à terme) libellés en yuan et convertibles en or.
Prudence toutefois : aucun communiqué officiel ne fait état de cette convertibilité directe. Il ne s’agit donc pas pour la Chine de faire revenir l’étalon-or dans les achats de pétrole, mais bien de substituer le yuan au dollar américain.
Le premier objectif de la Chine est de convaincre l’Arabie saoudite d’exporter une fraction de sa production en yuans.
Si elle y parvient, cette victoire hautement symbolique marquera la fin de l’hégémonie du dollar sur ce marché. Les autres pays producteurs seront contraints de suivre le mouvement pour limiter leur risque de change.
N’oublions pas que l’accord conclu par Kissinger n’a été possible que parce que les Etats-Unis étaient le plus gros importateur de pétrole dans les années 1970. Ce rôle leur a désormais été ravi par – ô surprise – la Chine.
En matière de devises également, le client est roi. Si la Chine arrive à jouer la même partition diplomatique que les Etats-Unis il y a 40 ans, le pétrodollar devrait devenir sous peu le pétroyuan.
Quelles conséquences pour le reste du monde ?
Reste une question cruciale : qui, en 2017, pourrait bien avoir l’envie et la possibilité de régler son pétrole en yuan à part la Chine ?
Cette monnaie n’est utilisée que dans l’Empire du Milieu. La vente de biens manufacturés, poumon de l’économie chinoise et source première de devises, est toujours effectuées en quasi-totalité en dollars.
En l’état, ces futures ont bien peu de chances de connaître des volumes d’échange importants. Il manque pour cela une vaste quantité de yuans en circulation dans toutes les économies importatrices nettes de pétrole.
Même si un raffineur français souhaitait acheter du pétrole en yuan l’année prochaine, il ne le pourrait pas par manque de devises. Aucune entreprise occidentale ne possède de réserve de yuans.
Ce qui est intéressant dans la mise en place de ces contrats n’est pas l’effet à court terme mais l’intention clairement affichée par la Chine : subtiliser aux Etats-Unis leur privilège exorbitant.
Ces futures ne sont d’ailleurs qu’une des pièces du vaste jeu d’échecs monétaire visant à détrôner la suprématie américaine.
L’autre combat ne se mène pas à coup de barils de pétrole et de contrats à terme mais, de façon plus feutrée, dans les arcanes d’Internet autour des cryptomonnaies.
Le yuan s’invite dans votre portefeuille de cryptomonnaies
La Banque de Chine travaille sur un « digital RMB » basé sur la blockchain. Les premiers recrutements de spécialistes ont débuté en 2014 alors que le Bitcoin sortait de sa première bulle qui allait le faire passer en quelques mois de 1 000 $ à 200 $.
La Chine a annoncé cet été avoir achevé les développements et commencé la diffusion de cette cryptomonnaie qui pourrait devenir une manière internationale d’acquérir des yuans.
Aujourd’hui, la grande faiblesse du Bitcoin est qu’il ne s’agit pas d’une monnaie ayant cours légal. Si, demain, il existe une cryptomonnaie adossée au yuan qui permet d’acheter entre autres bien tangibles du pétrole, la question de sa légitimité ne se posera pas.
Le digital RMB, s’il s’avère utilisable comme le yuan, sera une monnaie bien plus solide que l’euro.
Sa facilité de diffusion par rapport à des palettes de billets de banque pourrait conduire à une adoption rapide sur toute la planète.
La conséquence sur les Etats-Unis serait dramatique : ils ne pourraient plus imprimer de dollars sans en payer le prix par une forte inflation.
La politique de la Fed cesserait d’être un spectacle médiatique et deviendrait garante de la survie de cette devise.
Que peut faire l’Amérique ?
Les Etats-Unis ne resteront bien sûr pas les bras ballants face à un tel rééquilibrage des forces économiques.
Il n’est pas impossible que la diplomatie et la stratégie reprennent du service pour tenter d’inverser la tendance. Les options sont nombreuses : politiques (faire jouer les alliances), économiques (comme l’avait fait Kissinger) et militaires (en mettant à profit une armée surdimensionnée).
Le narcissisme du président Trump et de son administration laisse pourtant plutôt penser que la Maison Blanche aura les plus grandes difficultés à accompagner de manière pragmatique ce changement de paradigme.
Les habitudes actuelles, où la réponse à tous les problèmes (y compris internationaux) se fait en répétant comme un leitmotiv « America« , n’auront que peu d’effet pour essayer de détricoter des accords signés de bonne grâce entre la Chine et l’Arabie saoudite.
Le réveil risque d’être rude lorsque les échanges internationaux se feront sans les Etats-Unis et leur monnaie. Si ce scénario vous semble improbable (il est vrai qu’il est annoncé depuis les années 1970), n’oubliez pas que la livre sterling était la monnaie internationale de référence avant la Seconde Guerre mondiale. Son rôle international est, aujourd’hui, anecdotique.
Un billet de banque du Zimbabwe : la conséquence d’une impression monétaire lorsqu’une monnaie n’est pas garantie par des actifs. A quand les billets de 1 000 000 000 $ ?
Quelles conséquences pour les investisseurs européens ?
Si le dollar venait à perdre brutalement de sa superbe, les valeurs américaines exprimées en euro subiraient un krach. L’économie américaine dans son ensemble serait malmenée par une inflation galopante.
Ce n’est toutefois un problème que pour les investisseurs exposés aux valeurs US qui sont, en tout état de cause, déjà surévaluées.
Un déplacement de l’équilibre économique mondial ne devrait pas trop perturber la France et l’Europe. Nos industries devront peut-être acheter des yuans pour régler leurs importations comme elles achètent aujourd’hui des dollars ; le changement restera anecdotique.
Les aficionados de l’or se souviendront qu’il est déjà possible de l’échanger contre des yuans à Shanghai – à cours flottant bien entendu. Avec l’arrivée des nouveaux contrats sur le pétrole exprimés en yuan, la boucle sera bouclée. Il deviendra possible d’échanger de l’or contre du pétrole sans passer par la case dollar.
Les amoureux des cryptomonnaies verront quant à eux l’arrivée du digital RMB avec plus de circonspection.
Une cryptomonnaie conçue par un Etat est créée pour servir les besoins de l’Etat, pas pour satisfaire les ambitions libertaires des citoyens.
Aujourd’hui, le principal intérêt du Bitcoin est l’anonymat des transactions. Il est impossible de connaître avec certitude le patrimoine en bitcoin d’un citoyen et de taxer efficacement ses revenus s’ils sont perçus dans cette monnaie. L’anonymat du Bitcoin en fait un outil de fraude fiscale parfait.
Un Etat qui crée sa cryptomonnaie s’en servira à des fins de traçabilité, voire de taxation automatique. Il est techniquement trivial d’intégrer une identification unique qui relie un portefeuille de devise à un citoyen.
L’étape suivante, tout aussi aisée pour des informaticiens, serait d’ajouter aux transactions une flat tax qui tomberait directement dans l’escarcelle de l’Etat émetteur. La taxation immédiate de tous les dépôts sera également à portée de clic du gouvernement.
Si vous voulez rester maître de votre épargne et du secret de vos transactions, cette solution ne vous ravira donc pas.
Si, en revanche, vous voulez conclure ponctuellement des transferts internationaux sans passer par le lent, coûteux, et pas si fiable système interbancaire SWIFT, cette cryptomonnaie étatique pourrait être une bonne idée.
Si vous voulez protéger votre patrimoine en répartissant vos économies dans différentes devises, le yuan numérique pourra également avoir vos faveurs. Vous pourrez distribuer votre épargne monétaire entre les banques françaises (soumise à la taxation arbitraire dans le cadre des lois européennes actuelles) et un système décentralisé soumis au bon vouloir du gouvernement chinois. Un peu de diversification du risque ne fait jamais de mal à l’investisseur prudent.
Nous vous tiendrons bien évidemment informés de l’arrivée de cette nouvelle cryptomonnaie, et vous conseillerons sur la conduite à tenir. D’ici là, si vous possédez de nombreux actifs libellés en dollars, il est temps de songer à les convertir dans d’autres devises.
[NDLR : toujours dans cette idée de diversification du risque, avez-vous pensé à cet investissement jusque-là inaccessible aux investisseurs « ordinaires » ? Pour en savoir plus, cliquez ici.]
Première parution dans La Quotidienne de la Croissance le 20/10/2017
1 commentaire
bonjour,
je vous cite: « Si le dollar venait à perdre brutalement de sa superbe, les valeurs américaines exprimées en euro subiraient un krach. » mais alors, que vaudront les minières cotées en USD et CAD ?
sincères salutations
jean moray