Ce qu’il y a de bien avec Arnaud Montebourg, c’est qu’il fait rarement dans la demi-mesure. Cela se vérifie tant au niveau de ses propositions politiques qu’au niveau des déclarations visant à flatter son égo. « Trump reprend mes thèmes », déclarait-il le 4 janvier, histoire de commencer l’année en beauté.
Humour ou irrépressible élan de fatuité ? C’est peut-être parce qu’il a eu des doutes que Guy Bedos a finalement refusé de présider son comité de soutien, après avoir dans un premier temps décliné puis accepté.
Car ce n’est certainement pas la dernière annonce de Montebourg qui a dû amener Bedos à changer une troisième fois d’avis. Le 9 janvier, le flamboyant candidat de la primaire de la gauche expliquait en effet à Libération sa vision de la politique culturelle :
Une augmentation du budget de la Culture de 15 à 20%, voilà sans doute de quoi satisfaire une icône historique de la gauche caviar, vous ne pensez-pas ?
Dans le détail, la justification d’Arnaud Monetbourg est la suivante :
« Pour moi, la culture, c’est un investissement. C’est une économie soutenue par de l’argent public mais qui produit, d’abord pour la France elle-même, beaucoup de retombées sur les territoires. […] un pays qui n’a plus d’imaginaire, qui ne le cultive plus, c’est un pays qui commence à se préoccuper de son identité. Vous voyez ce que je veux dire ? Et c’est le début de la violence, de la fracturation et du séparatisme. »
Oui, monsieur Montebourg, je pense voir ce que vous voulez dire.
Primo, vous nous refaites le coup de l’Etat stratège, cette semaine-ci à la sauce culturelle. Pour vous, l’Etat est une entité tout à fait à même de procéder à des investissements rentables. Le problème, c’est que non seulement l’Histoire n’est pas de votre côté, mais l’actualité non plus.
A ce propos, contribuables de France, réjouissez-vous : la Commission européenne vient enfin de donner son feu vert à l’Etat pour injecter 4,5 milliards d’euros dans Areva afin de couvrir 10 ans d’erreurs de gestion. Pas très positives les « retombées sur les territoires », sur ce coup-là.
[NDLR : EDF, Areva,… Espérons que votre PEA ne s’encombre pas de ces fleurons du capitalisme d’Etat. Quelles valeurs mettre dans votre PEA pour viser un rendement de 15% et plus sans prendre de risque inutile ? Tout est ici.]
Deuxio, vous faites un lien qui me semble très dangereux entre culture, identité et Etat. Vous voulez faire accroire que pour que nos concitoyens sachent quelle est leur identité, l’Etat doit nécessairement intervenir sur le plan culturel – à raison de 20% de plus, ça serait pas mal, estimez-vous. Sans quoi la France courrait au malheur – que dis-je ? – à la catastrophe…
Voilà qui appelle plusieurs remarques.
Subvention et « efficacité »
A-t-il fallu attendre 1959 et la création du ministère de la Culture par de Gaulle pour que la culture française jouisse d’un certain rayonnement sur le plan mondial ? Il ne me semble pas.
Les tombereaux d’argent déversés par le ministère de la Culture depuis 1959 sur certains artistes, chaînes de télé, radios, journaux, etc. ont-ils conduit à une amélioration de la qualité de l’offre ? Libre à chacun d’en juger.
En outre, quitte à accepter le principe de la subvention culturelle le temps d’une brève réflexion, ces aides ont-elles vocation à entretenir la docilité d’une caste d’apparatchiks de la production culturelle, ou bien doivent-elles au contraire permettre à de nouveaux talents d’émerger ?
Le scandale survenu l’été dernier à propos des subventions issues du fonds d’aide de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) pour les « jeunes créateurs » permet de se faire sa petite idée. Difficile en effet de considérer Johnny Hallyday, Charles Aznavour et Eddy Mitchell comme la relève de la chanson française.
Mais refermons cette parenthèse.
En justifiant le principe de la subvention culturelle, vous laissez entendre qu’aucune offre ne saurait se former à un prix acceptable pour le public. C’est, me semble-t-il, être bien condescendant à l’égard des artistes et des journalistes de talent. Mais la condescendance, ça n’est somme toute pas très grave. Hélas, il y a pire – en tous cas du point de vue libéral.
Politique culturelle, indépendance d’esprit et totalitarisme
En effet, comment parler d’artistes indépendants ou de presse indépendante dans la mesure où l’Etat les soutient financièrement ? Une « politique culturelle » n’a-t-elle pas en soi « un petit parfum de régime totalitaire », pour reprendre les mots de Daniel Tourre, fondateur du Collectif Antigone ?
A votre décharge, la justification de ce genre de politique est portée par l’ensemble des grands partis politiques jusqu’au Front National inclus. Les jérémiades de son Secrétaire général Nicolas Bay, qui se plaignait début janvier en ces termes : « ce film #cheznous relève de la propagande d’Etat. Il est financé avec l’argent public », n’en sont que plus pathétiques.
En voilà encore un qui prétend savoir distinguer entre la bonne propagande et la mauvaise propagande, et qui n’aurait rien contre le fait d’entretenir ses propres « kolkhozes culturels » (une expression de Daniel Tourre), en tout cas à en croire le programme du parti qu’il représente.
Cette prétention n’est aucunement l’apanage du Front national. Najat Vallaud-Belkacem, sans doute l’une des personnalités politiques les plus idéologues de son temps, elle, sait : « la Droite c’est l’endoctrinement, la Gauche c’est le développement de l’esprit critique », déclarait-elle au mois de décembre…
Bref, en dehors de l’Etat, point de salut !
Vous-même, monsieur Montebourg, et nos autres politiciens étatistes ne formez qu’une seule et même grande famille, même si vous pensez savoir mieux que vos concurrents électoraux ce qui est bon pour les Français.
Alors, est-ce que j’ai bien vu ce que vous voulez dire, monsieur Montebourg ?
Pour conclure sur une touche culturelle, je voudrais vous recommander cette exposition au Centre Pompidou. Comme je sais que l’égalité est l’une des valeurs sur lesquelles vous ne transigez pas, je ne doute pas que vous apprécierez la parfaite égalité des portions dans chacune des assiettes.