▪ Les indices boursiers européens ont achevé le premier trimestre sur une progression moyenne de 19%. Cela illumine le visage des uns d’un sourire radieux… et provoque l’esquisse d’un sourire jaune chez beaucoup d’autres.
Avec +22,5% en 11 semaines, le DAX 30 est parti sur une pente annuelle de +100% — mais bien sûr, il ne faut y voir aucun excès et célébrer joyeusement la libre expression des forces du marché.
Tous admettent — ou dénoncent, selon qu’ils appartiennent à la première ou à la seconde catégorie — que la stratégie de la BCE s’avère déterminante dans la chute de l’euro (une guerre des devises à laquelle participent désormais une trentaine de banques centrales) et la hausse plus que symétrique des actions
Ni le chômage, ni les pressions déflationnistes, ni la stagnation des salaires (et la baisse générale du niveau de vie sauf pour les 10% les plus privilégiés) n’ont été vaincus collectivement par les politiques monétaires expérimentalo-expansionnistes — que ce soit au Japon, aux Etats-Unis ou en Europe. Pourtant, les marchés se comportent comme si tel était déjà le cas.
▪ Quand l’Albanie se met au foot…
Tout se passe comme si les banques centrales, agissant en arbitres du match économie virtuelle contre économie réelle, avaient pris fait et cause pour un petit club amateur albanais de Tirana (la finance casino) lancé dans la coupe d’Europe de football et qui affronte au premier tour Barcelone (l’économie mondiale) avec sa pléiade de stars intergalactiques.
Dès que le ballon arrive dans les pieds des Albanais, la Fed (l’arbitre principal et ses deux juges de touche, la BCE et la BoJ) siffle un coup franc bien placé ou un penalty contre Barcelone — un shoot monétaire dont l’économie réelle ne tire aucun bénéfice.
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Alors que les acteurs de l’économie mondiale pensent crucial de respecter les règles du jeu de l’économie de marché, les mêmes arbitres sifflent contre eux des hors jeu imaginaires, des fautes de mains fictives… Et dès qu’un Albanais se jette au sol en faisant trois tonneaux (les marchés se roulent par terre en hurlant de douleur dès qu’ils se sentent menacés d’une hausse de taux), on assiste soit à l’expulsion d’un Barcelonais, soit à un penalty… soit les deux à la fois (baisse de taux et injection monétaire).
Résultat final : 3 à 0 et Tirana qualifié |
Résultat final : 3 à 0 et Tirana qualifié.
Le spectacle sur la pelouse est affligeant, grotesque… mais ceux qui avaient parié sur Tirana (soit parce qu’ils n’y connaissent absolument rien au football, soit parce qu’ils savent le match truqué) n’en peuvent plus d’allégresse.
Ayant ainsi passé le premier tour, le club amateur de Tirana a ensuite affronté le Bayern de Munich… Un match supervisé par le même trio d’arbitres, mais avec M. Kuroda au sifflet : de plus en plus de parieurs ont misé sur Tirana, confiants dans le style d’arbitrage plutôt favorable au petit club (celui des 1%… contre les 99%) de Yellen, Draghi et du patron de la Banque du Japon.
▪ … Même le Bayern souffre !
Le Bayern a donc été écrasé par cinq penalty à deux, alors que quatre buts allemands étaient injustement refusés, quatre joueurs expulsés… et le Bayern a fini à sept et sans gardien de but.
Tirana affronte maintenant la Juventus de Turin en demi-finale. La Juve est peut-être moins prestigieuse que Barcelone, moins kolossal que le Bayern, mais ce club est le seul en Europe à ne pas avoir perdu un seul match dans son championnat depuis le début de la saison : une référence !
Les parieurs (gérants, stratèges en allocation d’actifs) viennent de découvrir avec ravissement que le match sera cette fois-ci arbitré par Mario Draghi, assisté de Janet Yellen et Haruhiko Kuroda : ils misent donc tout sur Tirana, sans l’ombre d’une hésitation.
A la mi-temps (en 45 jours de transactions exactement, et non 45 minutes), Tirana mène presque sans surprise par trois penalty à zéro face à la Juve — dont trois buts parfaitement valables ont été comme chaque fois refusés pour des fautes et autres hors jeux imaginaires.
Mais dans les tribunes, la révolte gronde |
Mais dans les tribunes, la révolte gronde. Les sièges commencent à voler, les supporters italiens réclament la fin de cette mascarade, le bannissement du trio arbitral de toute compétition officielle.
Si Mario Draghi — un Italien qui a renié ses racines latines pour embrasser le néo-monétarisme version planche à billets à la mode Bernanke — siffle un seul penalty de plus contre la Juventus (l’économie réelle), ce sera l’embrasement dans les tribunes.
En dehors du stade, dans l’économie réelle, des centaines milliers de parieurs frustrés et spoliés depuis le premier match truqué contre Barcelone risquent à leur tour de céder au ras-le-bol et réclamer le remboursement de leurs mises.
▪ Tant pis pour le sport !
Les gérants et stratèges, eux, expliquent aux parieurs frustrés et spoliés qu’il ne sert à rien de décrier l’arbitrage. Au contraire, il n’y a qu’à profiter de cette situation ubuesque.
Après tout, un parieur joue pour gagner de l’argent… Alors s’il faut parier sur les 1% qui ont le corps arbitral de leur côté, eh bien, il n’y a qu’à miser « malin » ! Tant pis pour la beauté du sport, tant pis pour l’intérêt du championnat.
Tant pis pour la hiérarchie des équipes en concurrence, dont le succès devrait dépendre de leur mérite et pas de l’arbitrage.
Tant pis pour le jeu non biaisé des forces économiques telles que les décrit la théorie classique.
La gloire artificielle (avec une presse économique qui encense les arbitres) et les primes de match mirobolantes (les bonus) seront pour les joueurs de l’équipe des 1%.
Ceux qui se plaignent de perdre leur mise, de voir le rendement de leur épargne obligataire tendre vers zéro alors que le coût de la vie réelle augmente inexorablement (les impôts locaux, le coût de la santé, le prix des études, de l’eau, du gaz) n’ont qu’à se mettre à acheter des actions (au plus haut historique) et… à s’endetter.
Eh oui, la baisse des taux, c’est fait pour s’endetter, pas pour thésauriser et espérer un complément de revenu de son Livret A.
Dans l’idéal, l’investisseur avisé devrait s’endetter à taux négatif en Allemagne pour acheter des actions espagnoles. S’il s’agit d’une entreprise, elle doit restructurer sa dette, puis emprunter — toujours à taux zéro — pour racheter ses propres titres ou dévorer un concurrent, afin de réaliser ensuite des économies d’échelle.
▪ Au niveau des « vrais gens »…
Ca, c’est la théorie pour les Bisounours gorgés de cash : les 1% les plus riches. Pendant ce temps, 60% des Américains, par exemple, n’ont aucune épargne disponible à investir en bourse, et 90% de la population rechigne à emprunter pour spéculer… la priorité restant d’ailleurs au désendettement.
La meilleure preuve, ce sont ces trois mois consécutifs de baisse des ventes de détail aux Etats-Unis (décembre, janvier puis février). Pourtant, avec la chute de 40% du prix des carburants à la pompe, les « experts » nous avaient promis une consommation record durant les fêtes (raté, un simple accident sans lendemain !), puis un rebond en début d’année (encore raté !), puis le mois dernier (toujours rien à faire… mais c’est de la faute à la neige et au verglas).
Les intempéries hivernales ont bon dos ! D’un côté, elles auraient empêché les Américains d’aller dépenser de l’argent (comme si on ne pouvait pas passer commande via internet ?)… De l’autre, les automobilistes ont battu en plein hiver un record de miles parcourus en décembre et en janvier, avec un score jamais observé depuis l’été 2007 (à plus de 250 milliards de miles).
Eh non, l’alignement des planètes (taux bas ou nuls, énergie bon marché, voire devise faible comme au Japon) ne parvient pas à relancer la consommation au Japon ni aux Etats-Unis. Mais promis-juré, en Europe, ça va marcher : les épargnants-fourmis vont se transformer en cigales.
▪ Le retour du risque
Le mauvais exemple –Bruxelles, la Troïka, Wolfgang Schaüble, Wall Street et Londres ne cessent de le rappeler — c’est le Grec qui vit au-dessus de ses moyens. L’industrieuse et frugale Allemagne est le modèle à suivre.
Pourtant, avec le QE de la BCE, les « fourmis » sont incitées à se précipiter chez le banquier pour emprunter et dépenser, dépenser, dépenser.
Bien entendu, comme les parieurs des matchs truqués par les banques centrales, ils doivent troquer leur épargne de sécurité — saignée à blanc par l’arbitrage des banques centrales — contre des actions archi-surcotées du club albanais…
… Et, pour l’exprimer comme nombre de gérants au large sourire de vainqueur, opter massivement pour le risque.
Oui, les épargnants doivent acheter « du risque » comme d’autres achètent non pas la découverte d’un pays et de ses habitants mais « de l’exotisme »… Ou d’autres encore ne s’investissent pas dans une relation, un échange sincère, une implication émotionnelle mais ne recherchent que « du sexe ».
Du risque, de l’exotisme, du sexe… même combat et même vacuité. La forme la plus aboutie de rupture avec un mode de vie épanouissant… et réellement enrichissant.
Mais ce n’est que mon avis.