Florian Darras
▪ Le philosophe anglais Thomas Hobbes identifiait l’Etat à un monstre marin, le Léviathan. Cette image pourrait être reprise en matière fiscale, en se rappelant le légendaire Kraken, qui agite ses tentacules pour emporter tout ce qu’il croit pouvoir avaler.
Or l’imagination humaine est débordante lorsqu’il s’agit d’échapper à des prédateurs. Ainsi certains contribuables n’hésitent-ils pas à réaliser des montages fiscaux risqués pour tenter de réduire leurs impôts. Que ces montages soient habiles ou non, leur détricotage par une requalification juridique devient le quotidien des juges.
Tout mutin qu’il est, le contribuable s’en sort rarement sans y laisser des plumes ! Si vous vous y risquez, retenez bien ceci : les redressements fiscaux ont de quoi percer les porte-monnaie, même les mieux garnis. La pénalité pour manoeuvre frauduleuse peut s’élever jusqu’à 80% de pénalités calculées sur l’impôt dû, en plus des sanctions pénales. Une note salée qui fait réfléchir. Alors plutôt que de jouer les caméléons à vos risques et périls, rappelez-vous la phrase pleine de sagesse du bon père de famille : « prudence est mère de sureté ».
Imaginez un oncle pas tout jeune qui cède à sa nièce un bien immobilier. L’idée de base peut sembler simple : la nièce paiera 75% du prix en argent et les 25% restant en nature… Pas d’arrière-pensées salaces : juridiquement, un paiement en nature est le paiement d’une obligation autrement que par un paiement monétaire.
Il est possible de payer des loyers en nature par exemple (article L 251-5 du code de la construction). En l’espèce, il s’agissait en compensation de remplir les obligations de loger, nourrir, entretenir et soigner le vieil oncle.
« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes », semble-t-il ? La réalité est bien différente.
L’oncle ne reçoit pas suffisamment d’attention, bien entendu l’entente se dégrade, et l’on peut douter fortement que la nièce ait rempli les obligations naturelles précitées (preuve par ailleurs difficile à rapporter). Le Trésor Public s’en mêle, voyant dans tout ceci une tentative de fraude, en l’occurrence une donation déguisée ! Les ennuis pour l’oncle et sa nièce commencent…
Résultat : une vingtaine d’années de procédures, et ce n’est pas encore terminé.
Cette histoire, c’est celle d’un arrêt très récent de la Cour de cassation du 6 janvier 2015. Un journaliste du Figaro-immobilier a commenté cette décision. Le titre est accrocheur : « acheter sa maison en payant en nature, c’est parfois possible ».
Pourtant, ne vous y méprenez pas : s’il est vrai que l’on peut prévoir un paiement aménagé pour conclure une vente immobilière, les conditions sont très strictes… Et dans notre affaire judiciaire, la sentence s’est avérée très sévère pour la nièce et son mari.
Si la Cour d’appel a tranché en leur faveur — ne reconnaissant pas l’existence d’une donation déguisée, au grand dam du Trésor Public –, la Cour de cassation n’a pas hésité à casser la décision, au visa des articles L64 du livre des procédures fiscales (sur l’abus de droit en matière fiscale) et 894 du code civil (sur la donation). Le patrimoine des bénéficiaires de la donation n’ayant en effet pas été entamé.
Dès lors, la Cour d’appel de renvoi devrait trancher au regard de ces articles, en requalifiant le montage hasardeux de donation déguisée.
Alors, payer votre maison en nature, cela vous semble-t-il toujours alléchant ? Les conséquences risquent plutôt de vous laisser un goût amer : pour nos comparses, c’est plus d’une vingtaine d’années de procédures et les frais de justice y afférant, ainsi qu’un redressement fiscal en conclusion.
Connaître le droit est toujours utile tout comme l’ignorer peut vous coûter cher. « Nul n’est censé ignorer la loi ». Cet adage bien connu, devenu difficilement applicable devant l’inflation législative, pourrait tout de même vous être bien utile en droit fiscal… et en particulier en matière de succession et de donation.
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Florian Darras écrit:
« Et dans notre affaire judiciaire, la sentence s’est avérée très sévère pour la nièce et son mari. Si la Cour d’appel a tranché en leur faveur — ne reconnaissant pas l’existence d’une donation déguisée, au grand dam du Trésor Public –, la Cour de cassation n’a pas hésité à casser la décision, au visa des articles L64 du livre des procédures fiscales (sur l’abus de droit en matière fiscale) et 894 du code civil (sur la donation). »
Dans l’article du Figaro que mentionne Florian, est écrit:
Dans son arrêt du 6 janvier 2015, la Cour de cassation a estimé que la cour d’Appel -auteur de la décision contestée – ne disposait pas de suffisamment d’éléments pour affirmer que l’obligation de soin n’avait pas été réalisée.
Dans leur arrêt, les juges ont relevé que les neveux avaient souscrit un prêt pour honorer la première partie du paiement, encaissé par leur oncle. Qu’ils s’agissait dès lors bien d’une vente et non d’une donation… quand bien même la somme aurait finalement été restituée aux neveux, sous la forme de titres quatre ans plus tard. »