▪ La séance de jeudi n’a pas été celle de la rupture des supports graphiques connus de tous les spécialistes de l’analyse technique. Mieux ils sont connus, plus il est facile — mais ce n’est jamais gagné d’avance — de les défendre.
Jetons un coup d’oeil du côté des volumes — sur le CAC 40, par exemple, où il s’est échangé 4,35 milliards d’euros. Cela permet d’affirmer que si les dégagements ont été assez appuyés durant une bonne partie de la séance, la défense des 4 000 points est loin d’avoir donné lieu à une bataille homérique.
Les vendeurs ne se sont pas montrés beaucoup plus déterminés à Wall Street. Ils n’ont pas insisté dès que le rebond des indices américains s’est amorcé à l’heure du café à New York. Nous avons assisté à une séance en forme de « V » qui semble marquer un coup d’arrêt à la vélocité baissière des dernières 48 heures.
Wall Street a rapidement perdu jusqu’à 1% (comme les places européennes jeudi matin). Les marchés US ont ensuite repris tout le terrain perdu dans l’après-midi, jusqu’à repasser légèrement positifs à une demi-heure de la clôture, tout comme en Europe, avant d’en terminer sur une note globalement stable.
Le S&P s’effrite de 0,1% (comme le CAC 40), le Dow Jones cède 0,3% (comme l’Euro-Stoxx 50) mais le Nasdaq reprend 0,55% (comme Milan au plus haut du jour). Le rebond des indices américains s’est amorcé alors que le baril de pétrole ricochait sous les 103,4 $ sur le NYMEX. Son repli de 7 $ (jusque vers 96,4 $ en clôture) a été rendu possible par la confirmation que l’Arabie Saoudite se préparait à ouvrir les vannes de ses puits et de ses réservoirs pour compenser la perte de production de pétrole en Libye.
▪ Le retour de l’optimisme s’est également alimenté de statistiques économiques réconfortantes. Aux Etats-Unis, les inscriptions hebdomadaires au chômage sont en recul de 22 000, à 391 000 et le nombre total d’allocataires régulièrement indemnisés s’est contracté à 3,79 millions contre 3,89 la semaine précédente.
Toujours aux Etats-Unis, il y a eu une bonne surprise du côté des commandes de biens durables pour le mois de janvier. Elles enregistrent une hausse de 2,7% grâce aux commandes aéronautiques — ce secteur devrait bénéficier de la commande de 180 ravitailleurs remportée par Boeing auprès de l’US Air Force, pour un montant de 30 à 35 milliards de dollars.
La déception est venue du marché immobilier avec un chiffre des ventes de logements neufs qui a déjoué les pires pronostics en chutant de 12,6% au mois de janvier. Une rechute de 8% était anticipée, après un bond inattendu de 15,7% en décembre lié à l’expiration d’une prime fiscale en Californie.
Tout n’est pas si noir, cependant. Certains aspects sont plus rassurants, comme le net recul des stocks de logements invendus (-21% en 12 mois) ou la hausse de 5,7% du prix médian des maisons au mois de janvier… Toutefois, sur l’année écoulée, le nombre de transactions a chuté de 18,6%, du fait principalement d’une grande frilosité des banques américaines qui imposent des critères de solvabilité draconiens aux emprunteurs.
▪ Les banques préfèrent continuer de gagner à coup sûr en jouant avec de l’argent gratuit que leur offre la Fed. Elles continuent aussi de contourner les contraintes imposées par la loi Dodd-Franck votée le 15 juillet dernier, qui leur impose une taille limite en termes d’engagements sur les marchés financiers.
Elles continuent enfin de surfer sur les formalités comptables pour multiplier leurs profits. Elles délocalisent leurs gains pour se soustraire aux impôts nationaux (Goldman Sachs, par exemple, ne verse pratiquement rien au fisc américain malgré ses milliards de bénéfices engrangés via ses opérations pour compte propre) mais relocalisent les pertes — elles y sont encouragées par la législation — pour les déduire du résultat imposable.
C’est le contribuable américain qui versera la différence le jour — pas si lointain — où les Etats-Unis ne pourront plus se contenter d’imprimer de l’argent pour boucler leurs fins de mois mais devront se préoccuper d’accroître les recettes fiscales.
▪ C’est ce qui vient de déclarer Tim Geithner jeudi… Mais l’information s’est vite dissoute dans le flot de dépêches en provenance du Proche-Orient — et notamment de Libye. Dans ce pays, une dictature ubuesque va jusqu’au bout de sa logique quasi apocalyptique sous le prétexte de barrer la route à Al-Qaïda ainsi qu’à une génération spontanée d’opposants sous l’emprise de la drogue.
Cela pourrait s’apparenter au synopsis d’un film de guerre de série Z. Sauf que les morts sont vraiment morts et se comptent par centaines (surtout côté civils) et qu’il s’agit des toutes dernières déclarations de Mouammar Kadhafi sur la chaîne d’Etat libyenne jeudi en fin d’après-midi.
Pendant ce temps-là, les politologues dissertent sur les risques de contagion à d’autres pays producteurs de pétrole mais s’attardent assez peu sur l’analyse des causes d’un soulèvement populaire quasi simultané dans une demi-douzaine de pays du Proche-Orient.
Les médias occidentaux s’extasient sur une révolution non violente qui se propage à la vitesse d’un SMS par Internet et les réseaux sociaux.
▪ Ils ne s’alarment guère que Pékin verrouille tous les mots-clés relatifs aux pays en pleine insurrection… cyber-censure tous les reportages y ayant trait… et pratique le black-out systématique sur toutes les manifestations qui se déroulent dans l’empire du Milieu depuis des mois. Rappelons que lesdites manifestations sont le plus souvent motivées par l’hyperinflation des prix alimentaires et l’envol du coût des loyers, qui rend la vie impossible aux ouvriers et aux classes moyennes.
A l’origine de toutes les bulles (céréales, matières premières, pétrole, actions…) qui déstabilisent les populations et les gouvernements des pays en voie de développement, il y a l’argent de la Fed.
Ben Bernanke jure que les déséquilibres commerciaux, les anomalies des parités de change sont la cause première de tous les maux actuels… Ils ne peuvent en aucun cas provenir de l’excès d’argent brûlant et de billets verts créés par centaines de milliards à partir de rien et dont les détenteurs — partout dans le monde — essaient de se débarrasser par tous les moyens.
▪ Mais l’avis d’Helicopter Ben ne fait plus l’unanimité au sein même du conseil d’administration de la Réserve fédérale. Charles Plosser, le président de la Fed de Philadelphie et nouveau membre votant du Federal Open Market Committee, estimait hier devant le Rotary Club de Birmingham que le « QE2 » de 600 milliards de dollars mis en route début décembre devrait être rapidement réduit ou stoppé.
Il affirme que le mener à son terme nuirait à la crédibilité de la Banque centrale américaine alors que la situation s’améliore sur le front de l’emploi (nous en doutons fort… mais les chiffres bidonnés du département du Travail US vont dans ce sens), sur fond de renforcement des pressions inflationnistes.
▪ Et que penser du vent de révolte contre l’austérité et la tentative de musellement des syndicats parti du Wisconsin ? Il fait tache d’huile dans le centre-est des Etats-Unis.
Il pourrait s’agir d’un mouvement citoyen constituant la riposte aux excès ultra-libéraux du Tea Party que de nombreux élus (et élues) du Congrès US, très hostiles à Obama, brossent dans le sens du poil depuis deux ans afin d’assurer leur réélection en 2012.
Les médias qui se focalisent sur le sort des pipe-lines au Proche Orient feraient bien de s’interroger également sur l’éclatement de la société américaine entre deux visions radicalement opposées de la société.
Nous trouvons d’un côté un Tea Party qui veut la peau de l’appareil gouvernemental actuel, l’interdiction de toute forme d’aide aux victimes de l’économie (allocations chômage, soins universels) et de toute ingérence de l’Etat dans les affaires… au nom d’une liberté d’entreprendre qui s’apparente dangereusement à la loi de la jungle.
De l’autre, quelques groupements associatifs transcendent les clivages politiques pour défendre la lettre et l’esprit de la Constitution américaine. Cette dernière proclame le droit pour chaque citoyen d’exercer un travail lui permettant de mener une vie décente, de bénéficier d’un toit, de la garantie de la sécurité de sa famille et de ses biens et d’un système de santé digne de ce nom.
Est-ce que ce genre de revendications n’aurait pas quelques traits communs avec l’aspiration des populations en révolte contre les dictatures en différents points de la planète ? Que deviendrait la démocratie américaine à la mode Tea Party ?
Que va devenir l’économie planétaire si Ben Bernanke s’obstine à imprimer encore quelques milliers de milliards de dollars d’ici 2012 ?
Ce ne sera certes pas la fin du monde… mais ce sera certainement la fin d’un monde basé sur le dollar et le mythe de l’American way of life.