▪ Nous tombons de haut. Peut-être pas d’aussi haut que le Nasdaq Composite ou le Russell 2000 qui ont égalé vendredi leur précédent record historique du mois d’octobre 2007… mais la secousse a été rude.
Nous avons coutume de penser que les banquiers, tout comme les politiciens, nous mentent une fois sur deux : ce seul ratio interdit de considérer leur parole comme fiable — autant prendre une pièce de monnaie pour deviner ce qui va advenir… C’est parfois davantage quand la conjoncture les place dos au mur ("Un mur ! Quel mur ?") mais nous étions loin du compte.
Nous avons été stupéfait à la lecture d’une étude produite par une sommité de la finance comportementale de l’université de Chicago, le professeur Richard Thaler — un véritable gourou des algorithmes complexes de surcroît. Selon cette étude, il ressort que les banquiers de Wall Street nous mentent 93% du temps !
C’est-à-dire qu’ils ne nous diraient — délibérément ou inconsciemment — la "vérité vraie" qu’une seule fois sur 13.
Difficile à croire… mais dès qu’il s’agit de questions d’argent, nous avons pour habitude de tout vérifier, même les affirmations les plus improbables (dommage que la SEC n’ait pas procédé de même avec Bernie Madoff !).
C’est là qu’a surgi d’un coin de notre mémoire cette statistique demeurée célèbre : selon les bureaux d’études des principales banques introductrices, 98% des entreprises estampillées du label dot.com ou "nouvelle économie" bénéficiaient d’une recommandation de type "achat" ou "achat fort". Les 2% d’études négatives concernaient majoritairement les dinosaures du Dow Jones ("vendez Alcoa, achetez Vaporware.com").
▪ Pris d’une soudaine frénésie, nous avons passé en revue les 200 dernières études qui nous ont été envoyées depuis le 1er janvier par divers bureaux de Paris, Londres, Luxembourg ou New-York. Ô stupeur, nous constatons à peu de chose près le même ratio de conseils d’achat qu’en l’an 2000 !
Il y a de l’upside (du potentiel de hausse, en langage paysan) pour 80% des titres du SBF 120. 10% d’entre eux pourraient bénéficier d’une recovery — une sorte de miracle… comme du plomb qui se transforme en or — malgré un voile d’incertitude. Précisons qu’il est surtout question des valeurs financières.
Comptez ensuite 5% de titres qui appartiennent à la catégorie des paris fous… mais en ces temps d’assouplissement quantitatif, la fortune sourit aux audacieux !
Enfin, 5% de titres sont à leur prix… mais il serait idiot de les vendre parce qu’ils ne vont pas se remettre à baisser de sitôt dans un contexte 100% haussier.
▪ Mais au fait, ce ratio de 93% de mensonges ne vous en rappelle-t-il pas un autre ? Souvenez-vous, c’était à la mi-février : un sondage de Bank of America révélait que 67% des gérants surpondéraient leurs portefeuilles en actions tandis que 25% d’entre eux n’avaient pas l’intention d’en vendre avant longtemps.
Cela induisait que les 7% restants n’avaient rien compris au film et se transformeraient en "dernier acheteurs" dès qu’il leur apparaîtrait incontestable que les actions ne pouvaient en aucun cas consolider.
Même pas les valeurs bancaires, d’ailleurs, puisque la situation s’est normalisée, le cycle de la croissance est fermement reparti de l’avant — certes comme un diesel plutôt que comme un dragster –, et l’horizon boursier est annonciateur de décennies de félicité économique.
Si la situation est aussi réconfortante que les analystes le prétendent, cependant, alors à quoi correspondent ces nouvelles provisions pour risques de défaut qui figuraient discrètement dans les bilans trimestriels de quelques grandes banques françaises publiés ces derniers jours ? Les investisseurs se félicitaient pourtant de la baisse globale des réserves constituées au titre des pertes potentielles sur les portefeuilles de créances et autres instruments financiers structurés…
Soulignons au passage que réduire les provisions provient d’une auto-estimation hédoniste des risques. Il n’y a pas de mode de calcul de référence ou de formule mathématique officielle appliquée par les commissaires aux comptes validés par l’AMF, Bercy, ou la Banque de France.
▪ Et quelle ne fut pas notre surprise, mercredi après-midi, de découvrir une déclaration étourdissante au sujet du risque systématique bancaire, faite par Thomas Hoenig — qui n’est autre que le "President of the Kansas City Fed".
Il estime que le danger d’implosion du système financier est bien plus élevé en 2011 qu’en 2008. Par ailleurs, selon lui, la taille des méga-banques issues de la reconfiguration du secteur (sous la houlette de Hank Paulson, son collègue Ben Bernanke et Tim Geithner) constitue une menace insupportable pour la stabilité de la société américaine.
Il plaide pour le démantèlement de ces super-ensembles aux activités hétéroclites, dont les niveaux de risque se télescopent — le mauvais risque chassant le bon.
Il préconise l’extension de la Volcker Rule (inspirée du Glass-Steagall Act qui instaurait la séparation entre les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement), et l’exclusion d’activités non-essentielles au fonctionnement de l’économie de la garantie couverte en dernier ressort par les contribuables.
Pour rendre l’idée attrayante, alors que son principe révulse les ultra-libéraux, il ajoute que la mise sur le marché de chaque entité (avec son métier propre) valoriserait mieux l’ensemble, un concept auquel nombre d’analystes et de gérant sont sensibles.
Du point de vue des traders les mieux payés de la place, c’est en revanche la machine à produire des bonus format XXL qui serait stupidement démantelée. Où les divisions "opérations pour compte propre" trouveraient-elles la couverture pour mener des stratégies à fort effet de levier ?
Les banques américaines se retrouveraient condamnées à faire du gagne-petit alors que les hedge funds non réglementés opérant depuis les paradis fiscaux se rendraient maîtres de la tendance des marchés : c’est inacceptable, voire criminel !
Chercherait-on à tuer une seconde fois le système bancaire en le privant des moyens de gagner confortablement de l’argent ? A quoi serviraient les prochains assouplissements quantitatifs, dans ces conditions ? Autant injecter de l’argent directement dans l’économie réelle ! On nage en plein délire !
▪ Hoenig ne pouvait choisir un pire moment de remettre ça sur le tapis : Wall Street a enchaîné une seconde séance consécutive de repli alors que la famille Kadhafi continue d’orchestrer une répression des opposants dans le sang.
La Libye a suspendu ses exportations de pétrole et de gaz depuis 48 heures. Conséquence, les prix de l’or noir se sont envolés de 5% à New York, le baril de brut ayant testé brièvement le seuil symbolique des 100 $ (après s’être déjà embrasé de 8% la veille). La hausse a atteint jusqu’à 15% en quatre séances.
Le baril s’est heureusement replié sous les 99 $ et Wall Street a limité la casse. Au final, le Dow Jones Industrial a reculé de 0,9% à 12 105,8 ; le Standard & Poor’s a baissé de 0,6% ; le Nasdaq a perdu 1,2%, après avoir chuté de 2% à la mi-séance.
Quelques heures auparavant, le CAC 40 avait clôturé pratiquement au plus bas du jour ; il cumule une perte de 150 points en 72 heures — culmination à 4 163 points lundi.
Le support majeur des 4 000 points a tenu… mais la marge de sécurité s’amenuise. Elle est même carrément nulle sur l’Euro-Stoxx 50 : une quatrième séance de repli consécutif pourrait constituer le tournant que beaucoup d’investisseurs redoutent.
L’argent de la Fed ne contrôle plus rien. C’est même tout l’inverse puisqu’en rajouter ne fera qu’amplifier la flambée du prix des céréales et des carburants. C’est la recette imparable d’une déstabilisation sociale et politique — non seulement des dictatures, mais également des démocraties à l’échelle planétaire.
De mauvais esprits pourraient considérer que si c’était le but poursuivi, il ne serait pas loin d’être atteint, au grand dam des chancelleries du monde entier qui n’ont apparemment rien vu venir… à 93% !