▪ Mission accomplie pour les Maîtres des Algorithmes qui font fructifier l’argent de la Fed. Le CAC 40 a testé hier les 4 080 points, l’Euro-Stoxx 50 les 3 000, le Dow Jones les 12 000 et le S&P 500 les 1 300 points — sans oublier le Nasdaq qui fusait vers son record annuel des 2 766 points de début janvier.
La séance de jeudi a constitué la combinaison de tous les bonheurs : une dégradation de la dette japonaise au motif qu’il n’existe pas de plan cohérent pour la résorber (parce que les Etats-Unis ont un projet allant dans ce sens ?)… les membres de la Fed approuvent à l’unanimité la poursuite du "QE2" jusqu’à son terme… la BCE prépare le terrain pour une hausse de taux — ce qui fait grimper l’euro.
Et la cerise sur le gâteau — ce qui a servi de détonateur à la hausse à Wall Street — a été déposée à 14h30 par le département du Travail US : deux très mauvaises statistiques concernant l’emploi (+51 000 chômeurs) et les commandes de bien durables (en chute de 2,5% au lieu des +1,5% prévus).
Ouf, nous avons eu chaud ! Il ne manquerait plus que le chômage se résorbe ou que l’activité industrielle se redresse : les mauvais esprits n’auraient pas tardé à remettre en cause la pertinence de la politique monétaire de la Fed.
▪ Heureusement, il se confirme que l’économie américaine n’irait pas loin sans ses béquilles ou son injection quotidienne d’adrénaline (la poche de goutte à goutte indique "QE2 – Taux 0,25%") pour soutenir son rythme cardiaque.
Avec tout ce que le docteur Bernanke a injecté comme produits dopants dans ses veines à raison de cinq milliards de dollars par jour depuis début décembre, il y aurait de quoi faire repartir le coeur d’une baleine bleue échouée depuis trois jours sur une plage glacée de l’Alaska !
En cas d’autopsie du corps portant la mention "système bancaire US", il serait formellement interdit de manipuler un appareil électrique ou des matériaux susceptibles de produire une étincelle : le risque d’explosion serait trop élevé. Il y aurait de quoi souffler une aile entière de l’hôpital.
Le patient continue pourtant de gravir les marches qui le mènent vers les sommets de 2007 avec un sourire extatique. Seule la dilatation des pupilles trahirait un état d’overdose avancée.
Mais avec ses lunettes roses à effet miroir, personne ne s’en aperçoit. Un ample manteau qui descend jusqu’au sol masque l’exosquelette cybernétique qui actionne ses jambes et le maintient en équilibre (ces coûteuses machines existent dans certaines unités de pointe de rééducation des grands accidentés).
▪ L’image est à peine exagérée lorsque l’on connaît la puissance de l’outil informatique qui pilote l’évolution des indices boursiers. Elle leur interdit ainsi tout faux mouvement de type correction technique ou consolidation intermédiaire depuis neuf semaines.
Les robots algorithmiques entretiennent merveilleusement l’illusion du marcheur infatigable… mais ce dernier souffre d’un grave handicap : il perd complètement le contrôle s’il effectue deux pas en arrière ou amorce une rotation à 180° (souvenez-vous du 6 mai 2010).
Il n’a pas été conçu pour cela. Le public veut juste le voir affronter des pentes de plus en plus raides, et surtout pas le voir se retourner pour vérifier si la conjoncture le suit, pas à pas, dans son ascension somnambulique.
Les chartistes approuvent sans réserve : les éléments techniques plaident tous sans exception pour une poursuite de la hausse… tout comme il y a une semaine, un mois, un trimestre. Le scénario est "auto-réplicatif". Il s’auto-entretient… comme si l’analyse technique n’était plus capable que de prédire une sorte de présent désincarné, qui semble comme figé depuis le 1er décembre 2010.
▪ Le comportement du marché s’apparente à un mauvais remake du film culte Un jour sans fin. Le héros y est condamné, par un coup du sort surnaturel, à revivre éternellement la même journée banale — et la moindre de ses insignifiantes péripéties — dans une bourgade de l’Amérique profonde, au milieu de personnages qui n’ont aucune conscience d’avoir vécu le même scénario la veille ou l’avant-veille car c’est pour eux un jour vraiment nouveau.
Il y a quand même une chose singulière dans la version 2010/2011 que nous proposent les marchés : les "péripéties" quotidiennes changent bel et bien de nature et d’intensité à chaque fois que nous cochons une nouvelle case du calendrier… mais la conclusion est invariablement une nouvelle hausse des indices boursiers — et cela dure depuis 40 séances !
Cela fait également 40 jours que la Fed dépose, chaque jour ouvré, cinq milliards de dollars à son guichet principal. Les intermédiaires financiers "autorisés" viennent ensuite se servir en liquidités. Cet argent est en théorie destiné à être injecté dans l’économie réelle… mais rien ne se passe comme au Japon qui, nous l’avons vu, s’endette trop aux yeux de Standard & Poors.
Les gouvernements nippons successifs consacrent chaque opération d’assouplissement quantitatif à l’amélioration des infrastructures du pays ou au soutien d’un secteur économique en difficulté. Cela permet de préserver globalement l’emploi, à défaut d’encourager durablement la consommation, l’investissement individuel ou les achats immobiliers.
▪ Aux Etats-Unis, pas question de déverser les dollars de la Fed dans la poche de contribuables qui ne songent qu’à se désendetter, à se désintoxiquer de l’excès de crédit.
Ceux qui réclament de l’argent pour boucler leurs fins de mois, les banquiers les connaissent bien. Ce sont ceux-là même à qui ils ont fourgué des subprime et des prêts "Alt-A" de 2005 à 2007. Ils empruntent cher, certes, mais ils ne remboursent pas !
Ils ne reverront pas la couleur des dollars de la Fed avant longtemps — l’administration Obama non plus, d’ailleurs. Le président en a conclu mardi que l’Etat devait se serrer la ceinture… mais chaque fois qu’il le fait, c’est en licenciant des fonctionnaires (enseignement, santé, cadastre, police, pompiers, voirie…).
C’est ce qui conduit les Etats-Unis tout droit vers une situation de pays en voie de sous-développement (classes sans professeurs, hôpitaux sans infirmières, shérifs sans assistants, prisons sans gardiens, retards hallucinants du traitement des dossiers administratifs).
La montée de l’insécurité est telle, dans les zones ravagées par le chômage, que les ventes d’armes (véritables ou factices, ce qui compte c’est d’impressionner le potentiel agresseur) ont battu un record historique en 2010.
▪ Le vent de révolte politique et social qui souffle sur les rives sud de la Méditerranée devrait nous alerter. Idem pour les échos, certes très étouffés, d’émeutes et de grèves qui se multiplient à travers la Chine : flambée du coût de la nourriture, logements trop chers, grande précarité des salariés liée à une surcapacité de production — et corruption endémique.
Mais investir dans les BRIC demeure incontournable car c’est là que continue de se situer la croissance. Le problème, c’est qu’une forme de croissance commence à un peu trop se voir : celle des inégalités sociales… mais cela ne saurait alarmer le microcosme financier américain puisque c’est lui qui donne l’exemple depuis 10 ans !