(Les Beatles, White Album, 1968)
▪ Cette entame de mois de janvier 2011 présente de plus en plus de traits communs avec celle de 2010, à quelques détails près… Le Portugal remplace la Grèce dans la rubrique "la faillite est pour demain si l’on ne fait rien", par exemple. Sauf que Lisbonne rejette formellement les "amicales pressions" lui conseillant de consolider ses finances avant que les marchés ne lui ferment la porte du crédit. Cette journée de mercredi sera de ce point de vue décisive avec l’émission de bons du Trésor à 10 ans.
Sur le front des devises, le scénario graphique est aussi proche que possible de celui observé un an auparavant. L’euro se situait 10% plus haut face au dollar mais il vient d’en perdre autant par rapport à ses meilleurs niveaux de novembre dernier.
La bourse de Paris plafonne sous les 3 900 points (et non les 4 000) mais les oscillateurs journaliers et hebdomadaires s’infléchissent à la baisse. De son côté, Wall Street — comme en apesanteur depuis début décembre — s’accroche à ses récents sommets dans l’attente de la publication des premiers trimestriels et bilans annuels concernant 2010. A ce sujet, Alcoa a légèrement déçu mais les investisseurs espèrent des indications plus positives d’Intel et JP Morgan.
Tout comme il y a 12 mois jour pour jour, nous observons que les volumes d’échanges en bourse restent des plus symboliques. Les vendeurs, à Wall Street comme ailleurs, s’abstiennent de toute initiative depuis six semaines — laissant le champ libre à une poignée d’intervenants qui font la tendance. Malgré tout, la marge de sécurité en cas de repli (le support étant symbolisé par la MM25) apparait des plus minces.
Le pourcentage d’investisseurs se déclarant optimismes ou carrément haussiers était de 75% début 2010 ; il flirte avec les 80% cette année. Le baromètre du stress, le fameux VIX, évoluait sous les 18 début janvier 2010 ; il s’établit depuis lundi sous les 17 — un véritable plancher historique, équivalent à ceux d’avril 2008 et avril dernier.
Oui, vraiment, les conditions techniques sont aussi étrangement semblables à ce qu’elles étaient un an auparavant. Les perspectives de hausse des indices d’actions constituent un "copié"/collé" des anticipations circulant à l’époque.
En ce qui concerne le contexte social, il apparaît au moins aussi déprimé en France, en Angleterre et aux Etats-Unis qu’en janvier 2010. Et les références aux politiques d’austérité budgétaires (avec leur cortège de hausses d’impôts plus ou moins déguisées) sont beaucoup plus explicites. Nos politiques préviennent déjà qu’il n’est pas question de lever la garde avant 2015, voire 2018, le temps de résorber les déficits que la crise de 2008 a engendrés.
▪ En ce qui concerne l’investissement, tous les projets de développement créateurs de nouveaux emplois des entreprises du CAC 40, de l’Eurotop 100 ou du S&P 100 sont dédiés aux pays émergents. C’est l’exigence de rentabilité et de compétitivité à l’international qui veut ça !
Aux Etats-Unis, 10% seulement des sociétés sondées début janvier ont l’intention de créer des emplois sur le sol américain en ce début d’année, en plus du renouvellement des collaborateurs qui démissionnent ou prennent leur retraite.
Pour les privilégiés qui ont conservé un emploi salarié dans le secteur privé, leurs revenus ont stagné dans 60% des cas depuis 2008. Pendant ce temps, l’inflation galope et la paupérisation des classes moyennes s’accélère à un rythme alarmant… Mais peu importe, dans les projections des "experts", le consommateur va continuer de faire son devoir et de contribuer pour 70% à la hausse du PIB américain.
Il y a quatre ans, le raisonnement tenait la route car l’argent que les ménages ne possédaient pas, ils l’empruntaient ! Les dernières statistiques concernant les prêts personnels, les encours de carte de crédit et surtout les crédits revolving sont très claires : la contraction du crédit se poursuit et aucun signe d’embellie ne se dessine.
En revanche, les loyers flambent : les Américains n’ayant plus les moyens d’acheter sont contraints de louer. Le coût des études dans le secteur privé explose. Une bonne protection santé coûte 500 $ par mois ; si elle inclut des frais hospitaliers non plafonnés, il faut plutôt compter 800 à 1 000 $ (c’est un tarif plancher pour des personnes ayant des antécédents médicaux, même parfaitement bénins… un fumeur est quasiment inassurable !). Et si des indemnités sont prévues en cas de convalescence ou d’incapacité temporaire, comptez plutôt entre 1 250 $ et 1 300 $.
Eh oui, l’équivalent de notre Sécurité sociale (hospitalisation sans conditions de ressources, une partie du salaire versé pendant des semaines — ou des mois — si nécessité médicale) coûte l’équivalent de 1 000 euros par mois à un citoyen lambda aux Etats-Unis ! Autrement dit, presque l’équivalent d’un SMIC en France… et six mois du salaire moyen d’un travailleur chinois.
C’est une sorte de fait de société aux Etats-Unis. Il ne suscitait guère de protestations populaires et il n’intéressait pas les journaux… jusqu’à ce que le parti républicain et les entreprises protestent avec véhémence contre les coûts induits par la tentative de Barack Obama de procurer un minimum de couverture sociale aux plus défavorisés.
▪ Les protestations se font beaucoup plus discrètes au sujet de l’inflation — non officielle — qui lamine le pouvoir d’achat des consommateurs. S’il s’appauvrit, c’est parce que les taxes sont trop élevées, surtout pour les contribuables qui sont de plus en plus nombreux à ne pas payer d’impôts pour cause de chômage ou de faillite personnelle.
Les Etats-Unis sont en train de régresser au niveau de pays où l’alimentation et le coût de l’énergie représentent des postes cruciaux dans le budget des ménages.
En d’autres termes, au-delà des discours diffusés en boucle faisant état d’une amélioration de la conjoncture, nous ne voyons guère — en dehors des cours de bourse à Wall Street — quels sont les véritables progrès survenus en 2010 concernant la vie quotidienne des citoyens.
En ce qui concerne les finances des états de l’Union, 33 sur 50 sont en situation de faillite, avec des notations comparables à la Grèce, comme la Californie ou l’Illinois. Là encore, de la faute de l’Etat : la police, la santé, l’éducation, les services municipaux, même réduits à leur plus simple expression, tout cela coûte beaucoup trop cher et engendre trop de taxes !
Vous pensez que nous brossons un portrait un peu trop sombre des Etats-Unis, que nous avons une vision déformée par notre grille de lecture européenne "sociale démocrate" ?
Tout ce à quoi nous faisons référence, c’est du vécu, pratiquement en temps réel, au travers des témoignages quotidiens de nos correspondants américains ou français qui se sont établis là-bas (et partagent le plus souvent la vie des classes les plus favorisées). Le constat est unanime : sorti des boutiques de Park Avenue, des Hamptons et de tous les endroits fréquentés par les "gagnants du système", les Etats-Unis sont en voie de sous-développement accéléré, avec cette radicalisation de l’alternative "palais de millionnaires contre village de tentes et/ou bidonville ".
Le microcosme financier mesure l’état de la conjoncture à l’aune des bonus qu’il se partage en fin d’année (140 milliards de dollars cette année, soit près de 1% du PIB américain et 33% de la richesse totale créée en 2010). Il n’a que des raisons de ressentir "dans sa chair" que les Etats-Unis — en réalité les 1% les plus privilégiés qui tiennent entre leurs mains le destin des marchés — est à l’aube d’une nouvelle ère de prospérité.
▪ Les indices américains ont effacé mardi soir les pertes symboliques de la veille. Apple a battu un nouveau record historique ; le Nasdaq a pris encore 0,33% et tutoyé les 2 720 points. Le rally haussier se nourrit de lui-même — tout du moins tant que la Fed continue de l’alimenter avec son déluge de fausse monnaie.
Wall Street semble convaincu que les 70% des citoyens qui assistent impuissants à la désintégration du rêve américain se consoleront en voyant les cours de bourse grimper dans le vide — jour après jour, semaine après semaine… et en tous cas sans qu’ils y ajoutent eux mêmes un seul dollar depuis trois ans.
Nous savons que cette hausse est une fraude, que l’argent injecté par la Fed est une fraude, que les statistiques traduisant une absence d’inflation sont une fraude, que la hausse apparente du PIB US est une fraude.
Le dernier empire gouverné par une nomenklatura accaparant toutes les richesses, acculé à la falsification systématique des chiffres pour masquer sa déchéance économique et subvertissant les rouages du système financier mondial, s’appelait l’URSS.
Nul n’aurait pu imaginer que son adversaire capitaliste à la bannière étoilée — victorieux après 70 ans de lutte idéologique et économique en 1990 — lui ressemblerait autant : délabrement du pays, paupérisation massive, corruption du pouvoir par les banquiers, suspension des libertés individuelles (le fameux habeas corpus) par le Patriot Act en octobre 2001, prorogé par Barack Obama en février 2010… Et tout cela moins de 20 ans seulement après sa chute !
Une partie de l’Amérique pressent-elle que le pays est au bord de la débâcle ? Wall Street serait alors une sorte d’Arche de Noé dans laquelle ont embarqué les plus privilégiés… et c’est pourquoi ils prennent tant de soin afin de rester les seuls à pouvoir monter à bord.
Une arche en papier monnaie qui sombrera avant même d’avoir pu quitter le port !