▪ Etait-ce trop beau pour être vrai ? Les acheteurs de la première heure vont-ils se faire piéger à la hausse en ce début de semaine comme les vendeurs qui ont cru à l’amorce d’un épisode correctif les 30 et 31 décembre dernier ?
L’entame de l’année 2011 a été marquée par une flambée des indices boursiers et des matières premières reflétant l’optimisme univoque des opérateurs qui anticipent en moyenne entre 10% et 20% de progression des indices boursiers en 2011.
Tout allait pour le mieux hier matin, avec une progression ultra régulière du CAC 40 au sein d’un étroit canal depuis la reprise des cotations lundi. Cette évolution linéaire des cours trahissait la remise en route de puissants algorithmes qui orchestrent la hausse des indices en zone Euro, de telle sorte que les records de l’année 2010 ont été promptement retracés — avec un retour du Dax au-dessus des 7 000 points et du FT 100 au-dessus des 6 000 points.
A Paris, les achats se sont clairement concentrés sur les valeurs ayant le plus mal performé en 2010 (les financières — banques et assureurs– principalement) plus quelques utilities (EDF ou GDF-Suez) alors que les valeurs vertes restaient totalement délaissées, à l’image de Suez Environnement et EDF Energies Nouvelles.
L’anticipation d’un retracement imminent des 4 000 points laissait les acheteurs totalement maîtres du jeu jusqu’à la réouverture de Wall Street. Le CAC 40, qui prenait 1,2% à 3 946 points (ce qui achevait d’effacer les pertes de 2010), a vu ses gains fondre des deux tiers en l’espace de seulement deux heures pour se limiter au final à une hausse de 0,4%, à 3 916 points.
En Europe, ce fut même une journée pour rien puisque l’Euro-Stoxx 50 clôturait pratiquement inchangé à 2 844 points (+0,15%) alors que Francfort cédait -0,2% et Amsterdam -0,3%.
▪ Les écarts de cours les plus spectaculaires se sont matérialisés sur les commodities (matières premières et énergie) avec un pétrole gagnant 1% en matinée (à 92,05 $) avant de chuter de 3% (à 88,85 $).
L’or a suivi exactement le même parcours avec une entame de semaine scintillante — et un retracement des 1 420 $/once — puis un véritable "trou d’air" mardi après-midi. En début de soirée, l’once a chuté de 3,1%, sous les 1 380 $.
Pas de quoi s’affoler, selon les stratèges des plus grosses banques opérant à Wall Street. Le recul du prix du baril, c’est plutôt une bonne nouvelle pour les consommateurs. Quant à la rechute du métal précieux, il y aurait au contraire quelques raisons de s’en réjouir puisqu’il s’agit d’un placement avant tout défensif — surtout par rapport à une décrue du dollar.
▪ En fait, partant des mêmes prémices techniques et conjoncturels qu’au début de l’année 2010, les "sherpas" de Wall Street espèrent une sorte de duplication de la performance de l’an dernier sans s’alarmer du niveau des déficits américains ni du fait que la croissance est obtenue au prix d’un endettement massif et d’une création monétaire galopante.
Si ce schéma a bien fonctionné en 2010, pourquoi pas en 2011 ? Les investisseurs sont convaincus que les Etats Unis peuvent imprimer des dollars en quantité illimitée (1 400 milliards d’euros en à peine deux ans) puisque les créanciers de l’Amérique continuent de les accepter sans broncher.
Des créanciers que la Maison Blanche se fait fort de mener à sa main puisque Robert Gibbs, le porte-parole de la Maison Blanche, indique clairement que la pression va être accrue sur la Chine afin qu’elle réévalue le yuan — ce qui équivaut à dévaluer le dollar.
▪ Beaucoup d’opérateurs considèrent que les premières séances de l’année constituent le précurseur de la tendance au cours des mois suivants. La Bourse de New York s’est donc offert lundi un gage de prospérité en terminant en nette hausse et à de nouveaux sommets depuis l’été 2008 ou l’automne 2007. Le Nasdaq-100 a même pulvérisé ses records historiques de fin octobre 2007 en s’envolant de 1,6%, au-delà de la résistance long terme des 2 239 points pour en terminer à 2 260 points, au plus haut depuis 10 ans !
Le Dow Jones tutoie les 11 700 points — un score qui équivaut au record de mars 2000 — et le Nasdaq a pu accrocher la barre des 2 700 points avant de se replier sur les 2 670 points.
Après 10 séances consécutives de stagnation autour de 1 260 points, mais surtout cinq semaines de hausse ponctuées par une seule séance de repli de 0,5% à la mi-décembre (sinon, que des hausses ou au pire des scores nuls), le S&P 500 déborde les 1 260 points et retrouve ses niveaux de début septembre 2008.
Difficile de ne pas y voir la volonté manifeste de tirer les cours car la hausse de lundi s’expliquait difficilement par des statistiques qui ont soufflé le chaud et le froid.
▪ L’indice ISM manufacturier n’a progressé que modestement (bien moins que prévu par le consensus). Les optimistes soulignent cependant qu’il atteint son plus haut niveau depuis mai 2008, ce qui traduit une croissance de l’activité manufacturière pour un 17ème mois consécutif.
Les dépenses de construction ont augmenté de 0,5%, un peu plus que prévu en novembre et voilà que ressurgit la thèse du "bottoming out" (le coup de talon au fond de la piscine).
C’est aller un peu vite en besogne et l’agence S&P se charge de remettre les pendules à l’heure. D’après sa dernière étude concernant le secteur immobilier, il apparaît que les stocks de maisons invendues représentaient près de 44 mois de stocks (pour une valeur estimée de 450 milliards de dollars) à la fin du troisième trimestre 2010 — contre 40 au second trimestre. Les fameux "shadow inventories", ces stocks ignorés des statistiques officielles, représenteraient quant à eux une année supplémentaire au rythme d’écoulement actuel qui demeure, il est vrai, l’un des plus faibles depuis le milieu des années 70.
Les stocks seraient particulièrement élevés dans l’état de New York, en Floride, au Nevada, en Arizona et en Californie.
En ce qui concerne les propriétaires mal avisés qui se sont laissé embobiner par des marchands de solutions de crédit suicidaires, un million et demi d’Américains se sont placés sous la protection de la loi sur les faillites personnelles en 2010 (soit une hausse de pratiquement 10% ) d’après le National Bankruptcy Research Center.
Rien qu’au mois de décembre, le nombre de faillites personnelles a progressé de 3% (soit +120 000 dépôts de dossier).
▪ Pour achever de plomber l’horizon du secteur immobilier, le rendement des T-Bonds 2020 flirte avec les 3,40% (contre 2,9% il y a un mois), ce qui se traduit par une hausse de 50 points des taux hypothécaires sur des échéances de prêts allant de 15 à 30 ans.
Mais attendez ! Les optimistes ne se laissent pas démoraliser. La tension des taux revêt également un aspect "positif": c’est la preuve que l’appétit pour le risque des investisseurs s’accroît au fil des semaines. Les actions devraient largement profiter de cette manne financière à la recherche de retours sur investissements plus lucratifs que le misérable rendement offert par les bons du Trésor.
C’est pourquoi 80% des gérants interrogés fin 2010 se déclaraient modérément haussiers à franchement bullish sur les actions. Un consensus aussi univoque n’a plus été observé depuis l’automne 2007 !
A l’époque, la bulle des dettes immobilières du secteur privé n’inquiétait personne. Pourquoi voudriez-vous qu’ils s’alarment de la bulle des dettes souveraines qu’orchestre la Fed depuis deux ans puisque l’Amérique ne peut en aucun cas faire faillite… enfin, en théorie.