▪ Wall Street apprécie la désagrégation du dollar et les rumeurs de déflation. C’est en fait la deuxième partie de la proposition qui justifie la première. Cet état d’esprit a pour une large part contribué à la hausse somnambulique de Wall Street tout au long du mois de septembre.
Beaucoup d’opérateurs assimilent maintenant le S&P 500 à un haricot magique qui grimpe inexorablement jusqu’à se perdre dans les nuages… Cependant, l’observation du graphique nous ramène à une réalité bien plus terre à terre. L’indice, qui a encore grappillé 0,45% vendredi dernier, reste enfermé depuis le 24 septembre dans un étroit corridor 1 140/1 150 (la résistance correspond au zénith de la mi-janvier).
Tout fléchissement sous les 1 130 points pourrait signifier que l’heure de la consolidation a sonné… Mais certains opérateurs ont démontré ces 15 derniers jours, et une fois de plus le vendredi 1er octobre, qu’ils étaient déterminés à la retarder au maximum.
Rien ne semble pouvoir entamer le consensus haussier, pas même une série de cinq séances de repli consécutif à Paris (pour un score hebdomadaire de -2,4% la semaine passée). Les discours demeurent invariablement optimistes au sujet des actions.
Il faut bien admettre que les médias financiers ne se lassent pas de célébrer "le meilleur mois de septembre de l’histoire du CAC 40". Ils rappellent que cette performance résulte de taux qui demeurent exceptionnellement bas (les Bunds et les T-Bonds 2015 viennent d’inscrire des planchers historiques) et devraient le rester pour une période "très étendue".
Une succession de mauvaises nouvelles économiques fin septembre entretient cette conviction. Et si jamais les marchés étaient tentés de céder aux pressions baissières, ils pouvaient malgré tout bénéficier des opérations d’habillage de bilans trimestriels pour limiter amplement la casse.
Paris n’a par exemple cédé que 0,6% vendredi, malgré une chute de 1% du dollar suite à la publication de mauvaises statistiques d’activité manufacturière aux Etats-Unis.
▪ Certains membres de la Fed admettent que les Etats-Unis vivent sous la menace d’un risque de déflation. Message bien reçu par les cambistes qui ont envoyé le billet vert inscrire un nouveau plancher annuel à 1,3790 contre l’euro ; il re-teste également son plus bas absolu face au yen, à 83,1.
Le Japon a déjà fait savoir qu’il ferait tout pour empêcher une appréciation du yen au-delà des 83 : une nouvelle intervention sur le FOREX ? Mais dans le climat actuel de guerre des devises, le remède pourrait s’avérer pire que le mal.
▪ La publication d’indicateurs économiques globalement conformes aux attentes outre-Atlantique n’a pas dopé le Nasdaq, souvent le premier à réagir à des indications plus favorables. Cette fois, le "moins pire que prévu" n’a pas fonctionné.
L’indice ISM du secteur manufacturier s’est contracté à 54,4 en août, contre 56,3 au mois précédent (le consensus tablait sur 54,5).
L’indice de confiance du consommateur de l’Université du Michigan a légèrement reculé à 68,2 en dernière estimation pour le mois de septembre, contre 68,9 au mois d’août. Même si le score initial de 66,6 est revu à la hausse, aucune embellie n’est anticipée sur le front de l’emploi. Enfin, sans surprise, les dépenses des ménages ont progressé de 0,4% au mois d’août, selon le département du Commerce US, pour des revenus en hausse de 0,5%.
Les programmes de soutien aux chômeurs de longue durée permettent de contrebalancer l’un des effets les plus indésirables de l’essoufflement de la reprise outre-Atlantique : la désertion des centres commerciaux par les consommateurs.
Car c’est bel et bien l’Etat américain qui aide les ménages à pousser leur caddie en garnissant leur porte-monnaie d’argent fraîchement imprimé par la Fed. La BCE avait fait savoir dès le début de la crise qu’elle ne la suivrait pas sur ce terrain.
▪ Les économistes s’interrogent légitimement au sujet des retombées des plans d’austérité mis en place en Europe ces derniers mois.
Les gouvernements des trois principaux pays du Vieux Continent n’osaient pas évoquer une telle stratégie 12 mois auparavant. Cependant, sous la pression, des marchés et des agences de notation, ils font désormais de la surenchère sur le thème "plus austère que moi tu meurs".
Il n’est pas certain qu’ils remportent l’adhésion de leur population… mais les bourses applaudissent. Font-elles preuve de la même myopie que les services officiels chargés de compter les manifestants?
▪ Il se trouve que retrouvant samedi après-midi des amis aux environs de la place des Vosges (situé à mi-chemin entre la République et la Bastille), nous avons eu la curiosité d’aller jeter un coup d’oeil aux défilés qui se déroulaient dans le quartier avant d’aller boire un thé.
Et il y avait foule !
C’est une sensation qui m’est familière : les 500 000 personnes (chiffres de la préfecture) venues acclamer l’équipe de France de football sur les Champs-Elysées et la place de la Concorde au lendemain de la victoire de 1998 m’avaient beaucoup impressionné.
J’étais également dans la foule des 45 000 spectateurs quittant très déçus le Parc des Princes à l’issue du match phare PSG-Marseille l’an passé. J’étais au milieu des 300 000 personnes (chiffres de la préfecture là aussi) massées sur le Champs de Mars et le long des berges de la Seine lors du feu d’artifice du 14 juillet dernier.
Pour avoir assisté à un concert gratuit en plein air un week-end à Osaka (12 millions d’habitants) je crois même que je sais faire la différence entre une foule et une marée humaine : la manifestation de samedi relevait du second qualificatif.
Le défilé était déjà lancé depuis une bonne demi-heure et j’ai été frappé par la densité du cortège… Mais la véritable surprise a été de constater que deux heures plus tard, il y avait toujours autant de monde sur le boulevard Beaumarchais. Ils étaient, nous a-t-on expliqué, aussi nombreux sur l’itinéraire direct via le boulevard Voltaire.
J’ai été un peu surpris de découvrir le soir même les estimations de la préfecture : entre 63 000 et 65 000 manifestants à Paris.
Peut-être n’ont-ils compté que les personnes portant une pancarte (le décompte me paraîtrait pour le coup assez réaliste)… ou le nombre de fumeurs… A moins que ce ne soient les manifestants mesurant plus d’1m85 ?
Si les fonctionnaires de police chargés du décompte avaient la vue masquée par une des nombreuses banderoles, ils n’ont peut-être aperçu que le sommet des crânes… Ceci expliquerait qu’ils n’aient vu pratiquement aucun lycéen, puisque ceux-ci n’ont pas encore atteint une taille adulte (ils étaient pourtant fort nombreux : environ 20% du cortège).
Une affluence de 300 000 personnes n’est probablement pas très éloignée de la vérité… et cela ne fait guère plus que pour un feu d’artifices du 14 juillet !
▪ C’est alors qu’un doute m’envahit. Et si les estimations de la préfecture de Police reflétaient une forme de comptabilité hexagonale très singulière, calquée sur le modèle des banques françaises ?
Ces dernières déclaraient "officiellement" à l’issue des stress tests de l’été 2010 une exposition nette de 6,6 milliards d’euros aux créances espagnoles… tandis que la Banque des règlements internationaux (BRI) fait état d’engagements s’élevant à 34,7 milliards d’euros (chiffres publiés par le Wall Street Journal le 7 septembre dernier).
Ma crainte, face à des écarts ubuesques de un à cinq, c’est que la vérité officielle soit manifestement d’une crédibilité de un sur une échelle de cinq.
Ou s’arrête l’imprécision… et où commencent le mensonge et la manipulation ?