▪ Les places boursières occidentales ont enregistré vendredi un rebond surréaliste, compte tenu de l’actualité du jour. Cela confirme l’existence d’un biais haussier depuis le milieu du mois de septembre : c’est une façon politiquement correcte de désigner un cycle de manipulation des cours d’une intensité sans précédent depuis la mi-juillet 2009.
Le CAC 40 a par exemple repris vendredi dernier 100 points par rapport à ses planchers de la fin de matinée (3 686 points), avec d’abord 95% des valeurs le composant dans le rouge puis 100% évoluant dans le vert à quelques secondes de la clôture (EDF rechutant de 0,1% au fixing de 17 h 35. La veille, le scénario avait été strictement inverse, tout comme le vendredi précédent : ouverture sur un gain initial de 1,5% suivi d’une rechute linéaire de 2%.
Avec un gain de 1,94%, le bilan de la semaine écoulée est passé en quelques heures de -1% à +1,6%… Mais l’aspect le plus sensationnel, c’est que le CAC 40 enregistre la deuxième plus forte hausse de son histoire pour un mois de septembre !
L’envolée atteint désormais 8,3% contre 8,6% en 1997… une année bénie pour la Bourse, où la conjoncture économique était la plus favorable que l’Occident ait connu au cours des 30 dernières années (croissance + plein emploi + excédents budgétaires aux Etats-Unis).
▪ Ce mois de septembre s’apparente donc à une sorte de krach haussier au ralenti… Cependant, contrairement aux trous d’air de 2001 et 2008, il est impossible d’identifier le moindre catalyseur pouvant susciter — ou justifier ne serait-ce qu’en partie — un tel vent d’optimisme.
Wall Street explose à la hausse, Wall Street exulte, le Nasdaq et le S&P 500 s’envolaient de 2,1% après quelques minutes de cotations. Les opérateurs peuvent-ils vraiment se persuader que le seul rebond des commandes de biens durables (+2% après -2,8% en juillet, cela ne constitue qu’un rattrapage partiel) bouleverse à ce point le diagnostic macro-économique… ou n’y aurait-il pas l’ébauche d’une spirale haussière bien orchestrée ?
Et si ce chiffre est si bon… alors que valent les spéculations sur un assouplissement quantitatif (devenant inutile) de la Fed ?
Pourquoi le dollar continue-t-il de plonger (sous les 1,348/euro et vers une parité de un pour un avec le franc suisse) alors que sa rémunération augmente ? Pourquoi cette ruée sécuritaire sur l’or (qui passe le cap des 1 300 $ l’once) et sur l’argent-métal, si la prospérité revient aux Etats-Unis ?
▪ Mais surtout, comment les opérateurs ont-ils à ce point pu faire l’impasse sur le second chiffre américain franchement décevant ? Il s’agit de la stagnation des ventes de logements neufs sur un plancher historique de 288 000 au lieu de 300 000 attendues.
Un quart d’heure plus tard, le Dow Jones affichait 50 points de mieux… comme si quelqu’un avait appuyé sur la touche « achat fort » de son super ordinateur de gestion quantique après avoir découvert une pile de lingots sur son bureau en revenant de la machine à café.
Vous pensez peut-être que nous décelons de la bizarrerie là où il n’y a rien que de très normal… Après tout, pourquoi une enclume ne se mettrait-elle pas à flotter ? Il suffit de remplacer l’eau par du mercure.
Mais quel subtil alliage résistant à la rouille du chômage et à l’acide des chiffres immobiliers permet-il au S&P d’enregistrer, avec un gain cumulé de 9,4%, son meilleur mois boursier depuis mars 2000 ?
Quel prodige de la physique moléculaire permet au Nasdaq de s’envoler de 12,5% et d’afficher sa meilleure performance mensuelle depuis octobre 2002 ? Il fait même mieux qu’en avril 2003 et 2009, alors que les valeurs technologiques se remettaient d’un krach, et autant qu’en octobre 1998, après le krach de LTCM.
Mais dans quel fabuleux élixir a donc été trempé le Dow Jones pour qu’il engrange 8,3% depuis le 31 août et réalise sa meilleure performance pour un mois de septembre en… 70 ans !
Est-il besoin d’argumenter davantage pour deviner que la plus forte hausse du Dow Jones depuis 1939 n’a rien à voir avec la conjoncture économique présente ou prévisible (même en étant hyper-optimiste) ?
▪ Bien sûr, des stratèges évoquent régulièrement un arbitrage au détriment des marchés obligataires — qui feraient l’objet d’une bulle, cela dure depuis deux ans — et au profit des actions. Ceci expliquerait en partie la démesure des écarts, et leur apparente incohérence des derniers jours, au gré de l’appétit ou de l’aversion des opérateurs pour le risque.
Grâce à la puissance de l’outil informatique, il est possible, sans le moindre commencement de raisonnement économique, de faire passer 100% des actions du CAC 40 et de l’Euro-Stoxx 50 du rouge au vert de façon totalement univoque, à pas moins de trois reprises en intraday au cours de la même semaine.
Traduction du tableau final à Paris comme à Wall Street : les voyants économiques sont à 100% au vert, dans 100% des secteurs, dans 100% des régions et d’une manière si parfaite et uniforme que la conjoncture en ce début d’automne n’a jamais été aussi positive depuis sept décennies.
Ce n’est à l’évidence pas le cas. L’euphorie apparente de Wall Street résulte plus vraisemblablement d’un mélange de calculs politiques (Barack Obama est donné largement battu début novembre) et d’une guerre sans pitié que se livrent au jour le jour les acheteurs et les vendeurs à découvert.
La vocation des marchés qui consiste à fixer le juste prix d’un actif n’est plus qu’une très lointaine préoccupation.
Toute la philosophie du moment est résumée par cette réflexion d’un trader interviewé sur CNBC quelques minutes après une clôture de Wall Street saluée par une clameur digne de supporters de l’équipe gagnante du Super Bowl : « plus la hausse sera extravagante et laissera les investisseurs sceptiques, plus le rally se poursuivra… car ceux qui vont se mettre à acheter le feront sous la pression des non-initiés qui pensent pouvoir s’enrichir facilement en surfant sur une tendance bien établie ».
Quelle meilleure façon de décrire un mouvement boursier que les initiés savent artificiel mais que les « suiveurs » finiront par amplifier, sous la pression de ceux qui ne savent pas pourquoi les cours montent mais qui veulent également leur part du gâteau ?