L’Angleterre, du point de vue de Fitch, c’est un peu comme l’équipe de France qui se rend à la coupe du Monde de football en Afrique du Sud. Son glorieux passé de vainqueur de 1998 au Stade de France et de finaliste malheureux de la dernière édition en 2006 lui valent de figurer envers et contre tout parmi l’élite mondiale.
Oui, les Bleus conservent leur « triple A » — ou leur cinq étoiles en matière d’hébergement. Cela malgré une campagne de qualification calamiteuse et une toute récente défaite face à la Chine dont il est à peu près certain qu’elle ne rapportera pas une vente de TGV ou de centrale nucléaire supplémentaire.
Certains bookmakers bénissent l’insondable inefficacité des joueurs entraînés par le génial Raymond Domenech. Ils ont touché le pactole avec l’impensable victoire 0-1 de l’équipe B semi-professionnelle envoyée par Pékin en villégiature (ce n’était certainement pas pour la gagne) dans l’île de la Réunion.
Le Royaume-Uni affiche lui aussi des performances économiques calamiteuses. Sa défense joue sur une seule jambe (chute des recettes fiscales). Son attaque se cramponne à son déambulateur — la croissance se serait déjà vautrée à plat ventre dans la verte pelouse anglaise sans le soutien providentiel de coûteuses aides sociales déguisées et d’une livre sterling à genoux face au dollar.
Mais Fitch n’est pas dupe et juge les récentes mesures d’économies largement insuffisantes (elles représentent à peine 1% du PIB britannique). L’agence estime également qu’elles sont mal définies : il n’y a eu aucun engagement précis en matière de réduction des programmes sociaux. Enfin, elle s’étonne d’un budget basé sur des hypothèses de hausse du PIB irréalisables (« les défis fiscaux sont immenses »).
Pendant que David Cameron déploie un écran de fumée pour amadouer les créanciers, les déficits se creusent encore plus rapidement qu’en Europe du Sud. Ils s’avèrent déjà deux fois supérieurs aux pires niveaux jamais constaté au milieu des années 70 et au début des années 90.
Tout pays autre que l’Angleterre aurait déjà vu sa notation dégradée par Fitch au statut de junk bond — comme la Grèce, la Lettonie ou la Hongrie. Cependant, ce serait compter sans la légendaire « flexibilité » de l’économie locale et l’incomparable capacité de la City à générer des profits « out of thin air » (à partir de l’air ambiant).
Oublions les pertes abyssales sur les dérivés de crédit, la faillite de Northern Rock, Royal Bank of Scotland et Lloyd’s Banking. La City, c’est le réacteur nucléaire de la finance mondiale, une sorte de phoenix qui renaît à chaque nouveau cycle d’un tas de vieilles dettes carbonisées.
Pour qui sait lire entre les lignes, l’Angleterre est comme un parachutiste sans parachute. Tant qu’il ne s’est pas encore crashé et continue de faire des sourires aux caméras, il conserve sa note « triple A » alors qu’un parachutiste grec serait déjà considéré comme un homme mort.
▪ Mais le Royaume-Uni continue de se glisser entre les hallebardes parce que la Zone euro continue de focaliser toute l’attention. L’Elysée est furieux de voir l’Allemagne annuler un dîner de travail consacré à la gestion de la crise pour annoncer simultanément 80 milliards d’euros de mesures d’austérité — alors que la France estime que le moment ne pouvait être plus mal choisi compte tenu des craintes de rechute de l’Eurozone dans un scénario de récession.
Après la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, quel choix technique et politique reste-t-il à la France ? Elle n’a plus qu’à confirmer que les 24 ou 36 prochains mois seront cauchemardesques pour les contribuables, les consommateurs, les demandeurs d’emploi…
Si la France ne s’aligne pas sur l’Allemagne, l’alternative semble assez simple. Soit nos emprunts d’Etat sont dégradés à BB+, soit le divorce entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy — et les pays du Sud qu’il défend avec conviction — est consommé. L’Eurozone volera alors en éclats avant même que Berlin ou l’Elysée n’aient le temps de publier un démenti sur la mauvaise interprétation des divergences de vue passagères par les marchés.
▪ Marchés qui semblent d’ailleurs bien malades depuis le 23 avril dernier. Ils ne bénéficient plus désormais que de brefs épisodes de rémission entre deux vomissements ; lorsque la crise semble enfin se calmer, ils repartent en titubant mais ne tardent pas à ressentir de nouvelles nausées.
Avec trois séances de repli consécutif, nous voyons de moins en moins quel scénario haussier pourrait se mettre en place sur les indices européens. L’hypothèse de la formation d’une « tête/épaules inversée » tenait la route tant que l’Euro-Stoxx 50 préservait les 2 550 points et le CAC 40 les 3 400.
La cassure de ces supports n’est pas franche et massive, l’épuisement de la vélocité baissière n’est en rien décelable. Ce n’est ni l’orage ni l’éclaircie, ni une capitulation, ni un faux signal baissier… c’est typiquement le genre de période où un gérant ne peut que prendre de mauvaises décisions car toutes les interprétations s’avèrent rapidement non pertinentes.
Le CAC 40 qui s’enfonce vers 3 380, ce n’est pas bon. Vendre sur l’anticipation d’un retracement des 3 000 points, c’est peut-être précisément ce qu’attendent les « gros bras » pour administrer un passage à tabac aux hordes de suiveurs qui se ruent dans le sillage d’investisseurs apeurés — lesquels fuient massivement vers les issues de secours (les Bunds et les T-Bonds).
A Wall Street, le S&P tente de préserver les 1 050 points et le Dow Jones les 9 800. Cependant, les planchers des 6 et 7 mai (« flash krach ») ont allègrement volé en éclats. Les planchers annuels de début février sont désormais menacés ou passablement compromis (voir la glissade du Nasdaq sous les 2 150).