▪ Au moment où j’entamais la rédaction de cette chronique — que je souhaitais consacrer au retour en grâce des valeurs télécom, véritables stabilisateurs du CAC 40 jeudi, sans quoi il aurait chuté de 0,6% ou 0,7% et largement en-deçà des 4 100 points –, ma connexion internet est tombée en rideau.
Comme je suis alimenté par la fibre optique, plus de téléphone fixe non plus… et pas davantage d’images sur mon écran télé. Aucune des 296 chaînes auxquelles je suis abonné n’était visible.
Je n’en regarde qu’une douzaine à tout casser… mais pour accéder aux infos boursières, il faut souscrire en intégralité le bouquet de 120 chaînes qui intègre les trois networks anglo-saxons que je consulte quotidiennement.
Deux heures après le début de la panne, aucun service internet n’était encore disponible… Le même message enregistré sur l’accueil du numéro d’assistance de l’opérateur m’informait que suite à un incident de réseau (au minimum régional), aucun technicien n’était joignable. Cependant, je pouvais suivre l’avancement des opérations visant au rétablissement collectif des services sur… leur site internet !
Me connectant via mon smartphone, j’eus la confirmation que le problème était sérieux et que le retour à la normale n’était pas prévu avant ce vendredi. Cela n’a pas manqué de me rappeler une grande panne de près de huit heures survenue le 5 juillet 2012.
Avouez que la coïncidence est troublante : l’ensemble des opérateurs a enregistré ce jeudi la plus forte hausse sectorielle de l’année, avec des écarts largement supérieurs à 3% en moyenne. Mention spéciale pour Bouygues, qui flambait de 7%.
Eh oui, un petit grain de sable logiciel peut faire tomber tout un réseau en quelques secondes, comme une ligne de dominos.
▪ Pannes et plantages
Mais il y a encore plus vulnérable qu’un réseau internet : la panne des systèmes de cotation lors de l’introduction de Facebook, quelques secondes après l’ouverture à la mi-mai 2012, était due à un bug (on s’en doutait) dans le calcul du cours suite à une saturation d’ordres qui a perturbé le calcul de la « juste valeur » durant… deux centièmes de seconde.
Oui, un plantage de deux centièmes de seconde a interrompu la cotation d’un titre dont la valorisation instantanée était de 100 milliards de dollars… Cela conformément aux calculs de Morgan Stanley, le banquier chef de file qui voulait pouvoir se vanter d’avoir réalisé la plus grosse introduction — en termes de capitalisation — de l’histoire.
Ce fut juste le plus gros fiasco du 21ème siècle. Il y eut un déluge de critiques concernant la surévaluation du cours d’introduction, et l’on dénonça une avidité scandaleuse de la part des dirigeants de Facebook qui ont voulu faire fortune sur le dos de millions d’épargnants.
Tout est pardonné aujourd’hui. Facebook a franchi les 45,6 $ hier soir, les souscripteurs de la première heure gagnent maintenant plus de 15% (après avoir perdu plus de la moitié de leur mise en quatre mois s’ils avaient serré les dents et conservé leurs titres)… et tout le monde s’accorde à reconnaître qu’à 100 fois les bénéfices 2013, c’est une fantastique opportunité d’achat.
Rappelez-vous qu’en mars 2000, les investisseurs valorisaient certaines dot.com 100 fois… leurs pertes. Alors même à 50 $, Facebook, c’est donné.
Quelques valorisations vertigineuses comme celles d’Amazon ou de Tesla ont tout de même fini par attirer l’attention de certains analystes. Ils ont commencé mi-août à se demander s’il n’y aurait pas au sein de la cote quelques titres un tout petit peu moins chers à acheter… se payant disons, entre cinq et sept fois les bénéfices et moins de 0,5 fois le chiffre d’affaires (au lieu de 50 fois comme dans le cas de Facebook).
C’est ainsi que les braseurs d’argent ont sorti une nouvelle thématique de leur chapeau au lendemain de la pleine lune du 14 août : les opérateurs télécom ne sont pas chers et offrent des rendements attractifs (car ils ne l’étaient pas naturellement en mai dernier quand les taux longs affichaient 1,8% sur les T-Bonds et 1,8% sur les OAT).
Ils ont balayé de leur bureau le paquet d’études qui qualifiaient depuis deux ans les Orange, Vivendi et autres Bouygues de dead money, de placements sans espoir, de punching-balls commercial pour Free (le triomphal) qui allait laminer leurs part de marché et leurs marges pour de nombreuses années. Sans oublier le coût exorbitant de la mise en place du réseau 4G qui ne sera jamais amorti aux tarifs actuels — ce dont plus personne ne se soucie aujourd’hui.
La bourse, ce n’est souvent que du story telling — mais dans le cas des opérateurs et d’Alcatel-Lucent, la manipulation simultanée de l’opinion et des carnets d’ordres apparaît de manière flagrante… complètement téléphonée.
▪ Question manipulation de l’opinion, tout ce qui précède n’est que broutille et pure futilité
En effet, ce qui a assombri l’humeur de Wall Street hier soir est d’un tout autre calibre. Le recul de 0,25% des indices américains n’avait pas grand-chose à voir avec l’actualité économique, totalement transparente ce jeudi.
Certains opérateurs se sont émus du pavé dans la mare médiatique lancé par Vladimir Poutine dans la presse américaine. Il s’est fendu d’une « tribune » que le New York Times a jugé bon de publier, et qui est ressentie comme une véritable « insulte » par J. Boehner, le chef de file républicain.
Le Président russe accuse en creux les Occidentaux de lancer de fausses accusations contre Bachar el-Assad — un peu de la même façon qu’à l’encontre de Saddam Hussein 11 ans auparavant –, et de refuser d’admettre que l’usage des gaz est imputable aux rebelles.
Il est peu probable que Barack Obama laisse passer une telle provocation qui place le leader russe en position de force face à l’opinion publique américaine… y compris face à la Maison Blanche (l’allusion aux fausses preuves de l’administration Bush appuie là où ça fait mal).
De là à imaginer que le dossier syrien ne va pas tarder à rebondir, voire à s’envenimer, il n’y a que l’épaisseur d’un exemplaire du New York Times.