▪ C’était à la une de tous les sites boursiers après les 2% de hausse des places européennes mardi : tous les soucis du moment et de l’été se sont envolés en l’espace d’une nuit. La guerre avec la Syrie n’aura pas lieu, la Fed ne réduira pas son QE3 en septembre (le marché en est maintenant convaincu), la croissance chinoise ressurgit spontanément et dans des proportions inattendues — alors qu’elle se contracte dans la quasi-totalité des pays émergents.
Avec un tel triptyque de fabuleuses nouvelles, comment l’EuroStoxx 50, le CAC 40, le DAX 30 ou le S&P 500 n’auraient-ils pas retracé leurs records annuels ?
Sauf que tout le monde se trompe : le véritable scoop, l’apothéose de la séance de mardi, c’est la consécration de Goldman Sachs qui accède à l’Olympe, au Saint-Graal, au Panthéon du capitalisme.
Oui, « GS » va intégrer le Dow Jones le 23 septembre prochain, en lieu et place de Bank of America Merrill Lynch (qui représente seulement 40 millions de « petits » clients aux Etats-Unis et 57 millions de par le monde).
Notons également que Nike botte Alcoa en touche et que Hewlett-Packard obtient son Visa pour la seconde division (et oui, c’est Visa qui monte en première).
Ce sont donc 10% des composantes du Dow Jones qui vont être remaniés dans 10 jours ; l’indice surnommé « Industrial » mérite de moins en moins son appellation.
Pour marquer le coup, le Dow en a terminé hier soir sur un gain de 0,85%, au plus haut depuis la mi-août, à 15 191 points. Le S&P 500 (+0,75%) a aligné une septième séance de hausse consécutive. Quant au Nasdaq (+0,6%), il a pulvérisé un nouveau record historique — oublions les sommets de mars 2000, les investisseurs étaient en proie à une hallucination collective.
Bien qu’il soit beaucoup question des actions américaines dans cette chronique, cela ne nous fait pas perdre de vue que Wall Street a été loin de manifester la même exubérance haussière que Paris, Madrid ou Francfort.
Le DAX 30 (+2%) retrace les 8 450 points et se retrouve à 1% de son record historique du 29 mai (8 530 points). De son côté, le CAC 40 teste les 4 120 points et tutoie son zénith des 4 124 points du 16 août.
▪ Et pendant ce temps-là, les taux continuent de se tendre !
Avec un soudain retour de l’appétit pour le risque qui propulse les actions vers les sommets, le compartiment obligataire a fait l’objet de dégagements appuyés.
Le rendement des T-Bonds s’est envolé de 2,92% vers 2,974% et celui du Bund de 1,96% vers 2,04%… un nouveau record annuel.
C’est bon signe, continuent de marteler les permabulls : la hausse des taux anticipe de quelques mois celle de la croissance.
Les mêmes nous expliquaient il y a quatre mois que des T-Bonds affichant 1,6% ne signifiaient en rien que le PIB américain risquait de manquer l’objectif des 3% évoqué depuis la mise en route du QE3 en septembre 2012. Au contraire, les taux bas étaient un signe de confiance dans la reprise qui allait entraîner une nette réduction des déficits américains — et donc de la prime de risque sur la dette américaine.
Une analyse plus critique de l’évolution des T-Bonds à la lumière de la réalité du terrain donne le scénario suivant : en mai dernier, les marchés obligataires ont bien perçu le coup de frein conjoncturel qui affectait les Etats-Unis. Des taux à 1,6% reflétaient bien le niveau de croissance réelle du moment, particulièrement médiocre alors que plus de 500 milliards de dollars avaient déjà été injectés par la Fed sans résultat.
A partir de la fin mai, les marchés ont bien compris que la Fed — sous la pression d’une partie de ses propres membres et des autorités monétaires chinoises, russes ou brésiliennes — allait devoir prendre des mesures pour empêcher la prolifération des bulles d’actifs (bulles obligataires dans les pays émergents, bulle boursière dans les pays développés).
Seulement la seule idée d’un éloignement du bol de punch (ou de seringues qui ne seraient plus remplies qu’aux trois quarts, puis aux deux tiers, puis à moitié) apparaît immédiatement insupportable aux spéculateurs « accros » à la drogue monétaire.
▪ Le carry trade entre en jeu
C’est là que débute une inversion massive des carry trades (comme nous le décrit Mory Doré depuis hier). Lorsque l’orchestre baisse d’un ton, en effet, c’est que le bal est bientôt terminé et qu’il est temps de foncer vers les vestiaires sous peine de faire une demi-heure de queue, ce qui gâche la soirée.
Comme il y avait trop d’argent dans le système financier — et toujours aucune volonté de le risquer dans l’économie réelle –, les investisseurs ont inondé les marchés obligataires émergents de liquidités. Cela sans même chercher à comprendre pourquoi ils obtenaient 5% de rendement en Thaïlande, 7% au Brésil et bien davantage dans des pays comme l’Inde (désormais au bord de la faillite).
La triste réalité qu’occultent totalement les permabulls, c’est que beaucoup d’argent imprimé par la Fed s’est retrouvé converti en réal, en baht, en lire turque, en roupie… Autant de monnaies qui se sont effondrées cet été, carbonisant des dizaines de milliards de dollars de valeur d’actifs.
Qui s’est fait coincer les doigts avec des dettes émergentes en déshérence ? A peu près tous les adeptes du carry trade — et donc les plus grands firmes de Wall Street et de la City.
Qui avouera dès cet automne des pertes pas jolies à voir ?
Personne… et c’est bien normal : « pas vendu, pas perdu ».
C’est ainsi que des centaines de milliards de pertes consécutives au krach systémique de 2008 sont toujours en attente de comptabilisation. Il n’y a d’ailleurs pas urgence à les matérialiser puisqu’elles sont pour une bonne part bien au chaud… dans les bilans de la Fed et de la BCE !
Alors vu ce qui précède, la hausse des taux des derniers mois est-elle due au retour de la croissance… ou à la crainte qu’une partie de l’argent imprimé par la Fed en 2013 a déjà disparu ?
Oui, disparu — car englouti dans des placements idiots, inspirés par la même avidité aveugle que celle qui a engendré la crise des subprime !