▪ Il ne s’est pas passé grand’chose sur les marchés ces derniers jours… nous allons donc vous raconter notre voyage à cheval.
« Je suis allé deux fois à Buenos Aires », a dit Jorge. « La première fois quand j’ai fait mon service militaire… et la deuxième après mon mariage ».
Nous étions autour d’un feu de camp — sauf que nous n’avions pas de feu. Nous étions loin des attractions urbaines — restaurants, hôtels, boîtes de nuit, bruit, boutiques de lingerie, jongleurs de rue, manifestations politiques, opéras et toutes les autres choses qui font de Buenos Aires un si délicieux endroit où vivre.
Ce matin-là, nous nous sommes mis en selle pour cinq heures de chevauchée vers la vallée haute, Compuel. Nous avons dépassé quelques arriendos — où les autochtones cultivent leurs récoltes et vivent dans des maisons d’adobe primitives. Depuis le sentier, nous avions une vue d’aigle. Nous pouvions voir la lessive séchant sur les buissons… les petits champs de maïs… les prairies, où paissait souvent un cheval ou deux… et une meule de foin, faite à la main comme on le faisait au 19ème siècle en Europe et aux Etats-Unis. On n’utilise pas de machines ici, en partie parce que les gens ne peuvent pas se les permettre, et en partie parce qu’il n’y a aucun moyen de les faire venir dans ces fermes isolées, la route est trop petite et trop difficile.
Une fois, l’an dernier, un groupe d’aventuriers de la course Paris-Dakar a tenté de traverser Compuel. Ils se sont enlisés dans les marais et ont utilisé leurs téléphones satellite pour appeler de l’aide. Ils espéraient que l’armée argentine enverrait des hélicoptères pour les secourir. Les hélicoptères ne sont jamais arrivés ; les aventuriers — français et italiens — ont finalement abandonné et sont descendus à pied vers notre ranch. En l’absence d’aide visible du gouvernement, Jorge a organisé une équipe avec des chevaux. Ils ont pu tirer les 4×4 de la boue. Ensuite, en utilisant des pelles et des pioches, ils ont enlevé les rochers et comblé les trous de sorte que les véhicules ont pu lentement descendre de la montagne.
Nous avons envoyé aux organisateurs du Paris-Dakar une facture de 226 $, pour le temps et les travaux. Elle n’a jamais été payée.
La route de Compuel est marquée sur les cartes comme une route publique. Une fois par mois environ, quelqu’un arrive au ranch et demande à passer. Il montre à Jorge une carte indiquant clairement que la route va à Compuel, continue dans les montagnes et finit par déboucher sur les salares de la province de Catamarca.
Jorge sourit. Il informe poliment le voyageur que la route n’est pas carrossable. Oui, elle est publique, dit-il, mais ça ne signifie pas pour autant que le public peut l’utiliser. En général, il est convaincant ; l’aventurier fait demi-tour. Mais parfois, un chauffeur têtu insiste… Jorge ouvre le portail et le laisse passer. Ensuite il attend que le conducteur revienne tête basse, à pied — et prépare une équipe pour le dépanner.
« Jorge est un trésor ». Ce sentiment est si vrai et si largement partagé que cette phrase pourrait venir de n’importe lequel des dizaines d’habitants de la Vallée Calchaqui. Il est connu partout pour être poli, honnête, travailleur, joyeux et compétent — toutes les qualités qu’on recherche chez un capataz. Nous sommes peut-être le propriétaire de ce bateau, mais Jorge en est le capitaine. Un capataz est la personne qui gère un ranch. Il doit savoir ce qu’il fait. Il doit être respecté par les gens qui y vivent et y travaillent (dans notre cas, sept employés et 25 familles). Et il doit être prêt à gérer n’importe quel défi que lui lancent Dieu ou les hommes.
Nous avions annoncé à Jorge que nous voulions faire le circuito — la longue boucle qui commence à la maison du ranch, emprunte la route de Compuel jusqu’à Compuel… puis redescend le long du Rio Compuel vers Corralito, Pucarillo, puis retour à la sala, le mot local pour la maison du ranch.
Jorge fit une drôle de tête.
« Hmmm… c’est très difficile », répondit-il. « Je ferais mieux de venir avec vous ».
« Non… ce n’est pas nécessaire », avons-nous sottement répondu. « Nous connaissons bien les environs, maintenant ».
« Je pense que je devrais aller avec vous. La piste peut être très difficile à trouver ».
« Il y a bien une piste ? »
« Oui, mais elle n’a pas été utilisée depuis plusieurs années. J’aimerais venir… vraiment ».
Jorge voulait-il réellement venir ou non, nous ne le saurons jamais. Il travaille sept jours par semaine. Il se lève avant l’aube. Il amène les chevaux. Il prépare l’équipement. Il organise les travailleurs… et continue jusqu’à ce que l’obscurité soit si profonde qu’il doit arrêter. Tous les jours.
Le dimanche, Jorge monte généralement à cheval et va voir comment va le bétail, soit campo adentro soit campo afuera — chaque pâturage, d’un côté et de l’autre de la sala, faisant environ 10 000 acres.
Cette fois-ci, nous allions dans une direction différente. Le samedi, nous avons atteint Compuel à environ quatre heures de l’après-midi. La vallée fait environ 12 000 acres, à 3 000 mètres d’altitude à peu près. Il n’y a pas d’arbres. Deux rivières coupent la vallée, ondulant dans l’herbe, les buissons et les lacs. Elle est en grande partie marécageuse…
« En été, une bonne partie de la vallée est couverte d’eau », a expliqué Jorge.
L’eau est basse à présent… mais il reste quelques lacs peu profonds… et des zones marécageuses. Des canards blancs volaient au-dessus de nous. Le bétail broutait, disséminé dans la vallée, accompagné de nombreux veaux en pleine santé.
« L’année a été bonne », nous a dit Jorge en souriant. « Il a plu plus que d’habitude l’an dernier, donc nous avions beaucoup d’herbe. Les vaches étaient grasses. Nous avons eu environ 100 veaux de ce groupe… soit 50% de fertilité environ. Mieux que d’habitude ».
A suivre…
1 commentaire
Merci Monsieur Bonner pour ce moment d’évasion, mais aussi pour le recul que vous savez prendre.