▪ Ce n’est peut-être qu’un ridicule accident de parcours… Mais voilà que le suffrage universel dans son insondable subjectivité vient perturber le bel ordonnancement des marchés financiers, mitonné avec amour par les banques centrales et la Fed en particulier.
Ce n’est pas une de nos lubies, faut-il le rappeler : Richard Fisher, le patron de la Fed de Dallas, ne fait pas mystère des efforts que lui-même, ses collègues et Ben Bernanke déploient pour doper le moral de Wall Street et propulser les cours de bourse au firmament.
C’est une stratégie pleinement assumée. Elle consiste à pousser ceux qui gèrent l’épargne des futurs retraités américains vers les actifs risqués afin de générer un effet de richesse susceptible d’étayer le rebond (de chat mort) de l’économie américaine.
En Europe, mettre en oeuvre une telle mécanique — infernale, nous en sommes convaincus — serait désastreuse si le détournement des flux financiers de l’obligataire vers les actions n’était pas couplé avec un programme de rachat massif d’OAT, de Bunds, de Bonos espagnols ou de BTP italiens (disons 85 milliards d’euros par mois et 1 000 milliards d’euros par an).
Ben Bernanke n’a pas manqué dès ce mardi de pointer du doigt les « perturbations » engendrées par le scrutin législatif italien… Une façon à peine déguisée de critiquer les choix farfelus des électeurs.
Mais pourquoi les Italiens manifestent-ils un tel rejet du système ? Après tout, il leur suffit d’investir en bourse pour gagner à tous les coups et compenser le déluge d’impôts et nouvelles taxes que Mario Monti a fait pleuvoir sur eux, sur l’injonction de Bruxelles et Berlin.
La Fed avait réussi à ramener les indices américains sur leurs records historiques (et même au-delà pour le Dow Transport et le Russell 2000, malgré une croissance zéro fin 2012) et les places européennes ne demandaient qu’à suivre le mouvement.
Plus personne ne se soucie qu’il y ait une véritable expansion de l’économie au cours des prochains trimestres… ni de la soutenabilité de la valorisation des actions — 25, 30 fois les PER, peu importe, ce sont sûrement des vedettes de la cote : il faut en avoir.
▪ Ben Bernanke aux marchés : « n’ayez pas peur ! »
La priorité — sinon l’obsession — de Ben Bernanke, si vous en doutiez encore, reste de rassurer puis de remotiver Wall Street. Dans son témoignage devant le Congrès US mardi soir, le patron de la Fed a dissipé les craintes d’arrêt prématuré de sa politique de quantitative easing.
Il est normal que la Fed « discute » en interne de certains sujets et qu’il n’y ait pas unanimité systématique concernant l’évaluation des bienfaits de la politique monétaire actuelle… mais la stratégie de soutien massif à l’économie américaine doit être — et sera — poursuivie.
Même si le QE3 est économiquement inefficace et potentiellement dangereux pour les détenteurs de dette américaine, c’est la ligne Bernanke qui prévaut — et c’est cela qui importe aux marchés.
Le patron de la Fed rappelle cependant que sa politique d’injection ne « peut pas tout » et que les Etats-Unis doivent s’attaquer à la question des déficits. En effet, si la planche à billets ne produit pas les effets escomptés, c’est bien parce que la politique budgétaire est inappropriée, par la faute d’un Congrès US qui se comporte comme un enfant gâté, velléitaire et capricieux.
Wall Street est convaincu à 99% qu’un compromis (même bancal ou cache-misère) sera trouvé à 23h59 minutes, comme le 31 décembre dernier. Cela permettra une fois encore de repousser de quelques semaines ou quelques mois la résolution des vrais problèmes. Des mesures d’économies pèseront forcément sur la croissance américaine… alors pourvu qu’elles soient prises le plus tard possible.
Si le Congrès s’engage dans les mêmes impasses idéologiques que durant l’été 2011, Helicopter Ben minimise l’impact récessif d’une mise en oeuvre — dans le pire scénario — des coupes budgétaires automatiques : « les effets seront longs à se faire sentir ». Il aurait pu ajouter : ce sera une nouvelle bonne excuse de faire tourner la planche à billets et de me poser en sauveur de l’Amérique.
Car nous avons peu de doute sur l’ambition de Ben Bernanke de laisser son nom dans l’histoire comme celui de « l’homme providentiel » qui a sauvé les Etats-Unis d’une crise systémique pire que 1929 (ce ne fut qu’un krach boursier et cela ne concernait qu’une fraction minoritaire de la population) en soignant le mal par le mal — c’est-à-dire une crise de dette par la création de deux fois plus de dettes.
▪ Bonnes surprises statistiques et imbroglio italien
Bien que nous doutions fortement que le QE3 y soit pour quelque chose, les chiffres du jour furent de « bonnes surprises ». Il y a eu une belle hausse de l’indice de confiance des consommateurs américains du Conference Board : il s’établit à 69 en février contre 58,6 en janvier et 62 anticipés.
L’autre bonne surprise provient du bond de 15,6% des ventes de logements neufs en janvier aux Etats-Unis, à 437 000 en rythme annualisé contre 380 000 attendus après 369 000 en décembre.
En Europe, l’imbroglio politique qui a surgi lundi vers 16h en Italie — avec des projections qui donnaient une courte majorité du centre-gauche à l’Assemblée et pas de majorité au Sénat — a replongé le pays dans ses vieux démons. On se retrouve avec un futur président du Conseil incapable d’imposer un cap économique et fiscal, à moins de consentir à des alliances contre nature impliquant des renvois d’ascenseur nuisant le plus souvent à l’intérêt général.
La coalition de Silvio Berlusconi se retrouve en capacité de bloquer les initiatives du centre gauche au Sénat. La formation de PierLuigi Bersani n’est d’ailleurs majoritaire que de l’épaisseur du trait, à la Chambre des députés : aucune voix de son groupe ne saurait manquer lors du vote des futures lois.
Qu’un seul d’entre eux s’assoupisse pendant les débats au moment d’étudier le 574ème et dernier amendement déposé contre le projet de loi en discussion… et tout sera à refaire.
Pour les marchés, c’est le système électoral italien qui est à refaire ; nul ne devrait pouvoir se porter candidat s’il tourne en dérision le monde politique et brocarde la monnaie unique…
Le plus terrible et le plus dévastateur, aux yeux des marchés, ce n’est pas seulement que Beppe Grillo ait rassemblé 25% des suffrages (contre 9% pour l’excellentissime Mario Monti qui a sauvé l’Italie) ; c’est que cela risque de désinhiber ceux qui se pensaient minoritaires dans leur refus de la rigueur et de l’euromark pour tous.
Et là, quel que soit le talent de l’humoriste, les marchés eux, ne rigolent plus. Mais qui est le plus dangereux pour la Bourse ? Un humoriste qui veut faire exploser l’euro de façon délibérée… ou un banquier central qui prend son rôle au sérieux et va faire exploser le dollar en niant sa responsabilité ?