▪ Nous voici à quelques heures du dénouement d’un vote qui pourrait faire basculer le cours des événements — un vote qui nous est présenté comme une alternative entre le salut et le chaos, la misère et le redressement, le futur ou le retour au Moyen-Age.
Oui un vote crucial pour… la Grèce (vous l’aviez deviné). Si le Parlement rejette l’enterrement de 30 ans de conquête sociale sous 18 milliards — en tout — d’économies réalisées sur les salaires et les pensions de retraite, le gouvernement brandit de nouveau la menace d’une sortie de l’euro.
Mais à quoi cela va-t-il servir de brader au quart du prix estimé initialement (en mai 2010) les quelques services publics grecs qui rapportent un peu d’argent ? A révolter un peu plus les contribuables ? Et la Grèce évitera-t-elle une restructuration de sa dette ?
C’est inéluctable mais Angela Merkel fera tout désormais pour que cela ne se produise pas avant les prochaines échéances électorales allemandes fin septembre 2013. L’affaire traîne déjà depuis l’été 2010, elle pourra bien nous tenir en haleine jusqu’en octobre prochain ! Le tout est de calculer au plus juste ce qu’il va falloir débourser pour éviter le prononcé d’une faillite.
Mais les cyniques qui croient pouvoir faire danser jusqu’au bout le peuple grec au bout de leurs ficelles (quelques milliards d’euros débloqués en urgence par-ci, un délai de grâce par-là) sont-ils bien certains que le pays ne va pas leur exploser entre les pattes ?
Combien de temps le gouvernement pourra-t-il diriger le pays avec un taux de chômage installé au-dessus des 25% et un niveau de vie redevenu comparable à celui des années 70 (dès que les mesures d’austérité rentreront en application, ce sera l’affaire de quelques mois) ?
Si encore il existait un projet d’avenir, un espoir de regain national… Mais Athènes ne croit à rien de tout cela : les experts prédisent en effet que la mutation sera en cours d’achèvement en 2020, à condition que le contexte économique ne se dégrade pas symétriquement chez ses partenaires.
▪ De la sueur et des larmes jusqu’en 2017
Et que vient de nous promettre Angela Merkel ? Cinq années de sueurs et de larmes… J’exagère à peine puisqu’elle affirme qu’il va falloir cinq ans d’efforts — et d’épreuves — avant de ressortir du climat de crise actuel et de redonner confiance aux investisseurs dans la Zone euro (avec ou sans la Grèce ?).
Ces quelques ombres qui flottent sur nos cinq prochaines années (que notre président nous présentait presque comme calmes et sereines) signifieraient-elles que la méthode Coué ne fonctionne pas sur les dirigeants germaniques ?
Ceci pourrait expliquer pourquoi le CAC 40 entame la semaine par une consolidation. Il a terminé hier au plus bas du jour (-1,25% à 3 448 points), alors que les indices américains étaient quasiment stables : le Nasdaq prenait 0,2%, le S&P et le Dow Jones reculait de 0,1% à la mi-séance.
Wall Street n’a quasiment pas réagi à l’ISM des services aux Etats-Unis (le secteur tertiaire représente 75% de l’activité économique) ; il est ressorti inférieur aux attentes, en repli à 54,2 contre 55,1 en octobre.
En réalité, les scores sont apparus comme littéralement figés entre 16h et 21h35. C’est à ce moment seulement que Wall Street s’est réveillé avec une brève envolée de 0,5% des trois principaux indices (en moins d’un quart d’heure)… mais elle fut réduite de moitié au cours des 10 dernières minutes de la séance.
Les scores finaux ne revêtent qu’une importance anecdotique (le Nasdaq prend 0,6%, le S&P 0,2% et le Dow Jones 0,15%) : les volumes ont été tellement indigents que l’on aurait pu croire qu’il s’agissait d’une demi-séance précédent la veillée de Noël… les boules et les guirlandes en moins.
▪ Elections présidentielles et milliards
Le chiffre d’affaires en contraction de Wall Street contraste avec les derniers chiffres concernant les dépenses en expansion des deux candidats à la présidentielles : deux milliards de dollars au total.
Ce chiffre ne nous surprend guère dans la mesure où la Cour suprême des Etats-Unis avait officialisé le 21 janvier 2010 le fait que les candidats étaient à vendre aux plus offrants. Elle a ainsi autorisé les entreprises et les associations comme les syndicats à financer librement les campagnes nationales (via les « super PAC », super-comités d’action politique). Cette décision enterrait en même temps le principe de lutte contre la corruption par des lobbies ou des intérêts privés utilisant l’argent des actionnaires à leur corps défendant pour défendre des causes politiques que ces derniers ne soutiendraient en aucune manière.
Ce sont les juges républicains qui ont fait pencher la balance en faveur de la « privatisation » de la vie politique, après que les années Bush eurent privatisé la guerre, le nombre de mercenaires en Irak devenant supérieurs à celui des soldats placés sous les ordres du Pentagone.
D’après les derniers décomptes, ce n’est pas Mitt Romney qui a collecté le plus de fonds mais bien le président en exercice (20% de plus). Rien que pour les spots télévisés, Barack Obama a investi environ 210 millions de dollars contre 115 millions pour son adversaire, qui a davantage dépensé pour ses meetings et l’e-mailing.
Le déséquilibre semble toutefois beaucoup moins prononcé qu’en 2008 lorsque John McCain avait collecté 350 millions de dollars (avec l’ancien système des donations privées plafonnées) contre le double au profit de Barack Obama.
Cette année, les « super-PAC » s’avèrent comparables. Mitt Romney a bénéficié de l’appui de l’American Crossroads, fondé par Karl Rove, ancien conseiller de George Bush, et du PAC Americans for Prosperity des frères Koch (des magnats du pétrole du Kansas). Par ailleurs, il a reçu des dons supérieurs à 100 millions de dollars de la part du couple Adelson. Ces derniers ont fait fortune dans les casinos et l’électronique ; ils font partie des plus puissants lobbies pro-Israël et détestent Obama, qui aurait bloqué en 2010 les projets de frappe contre l’Iran.
Le super-PAC pro-Obama — baptisé Priorities USA Action — a financé des milliers de spots anti-Romney. Beaucoup d’artistes, d’acteurs célèbres et de magnats d’Hollywood figurent parmi les plus généreux donateurs démocrates, ce qui est assez traditionnel. Stevie Wonder est venu apporter son soutien au président lors de l’un de ses derniers meetings dimanche…
Quant au monde de la finance, Wall Street semble avoir réparti ses billes de façon assez équitable — contrairement à 2008 où même Goldman Sachs s’était distingué en inversant sa stratégie consistant à soutenir le candidat républicain. Cette année, Romney aurait été le mieux « doté » par GS… et cette banque n’a pas pour habitude de parier sur des perdants.
Mais la priorité des priorités reste le maintien à la tête de la Fed d’un homme affichant une grande « compréhension » (complicité) vis-à-vis des préoccupations des banques d’affaires… et de la plus influente d’entre elle en particulier.
L’un comme l’autre savent que ces « intérêts » coïncident rarement avec ceux de leurs électeurs (des fameux 99%). Le dire publiquement serait peut-être populaire auprès des militants d’Occupy Wall Street, mais financièrement suicidaire. Aucun des deux candidats n’a pris le risque de s’aliéner Wall Street : les deux risquent d’en demeurer les (bienheureux) otages.