▪ Quelle merveilleuse escroquerie ! Si évidente… et pourtant si efficace ! C’est un plaisir à observer.
Cette semaine, le Dow a dépassé le seuil des 10 000 points. S’il continue à ce rythme, il égalera bientôt le rebond post-1929.
Le pétrole a grimpé. L’or reste au-dessus des 1 064 $. Et le dollar chute.
La raison de l’envolée du Dow était annoncée en couverture de tous les journaux financiers ou presque.
"Les profits de JP Morgan font grimper le Dow".
JP Morgan, la société financière renflouée par les autorités américaines il y a un an, a annoncé des revenus de 3,6 milliards de dollars au troisième trimestre. Avec ce genre de profits dans le secteur financier, il ne faudra pas longtemps pour que l’économie tout entière soit chauffée au rouge, non ?
C’est en tout cas ce que semblent penser les journaux. Selon le International Herald Tribune, les profits de la banque sont un nouveau signe de reprise majeure. Les investisseurs semblent être du même avis. "L’optimisme sur les revenus" nourrit les achats, selon un courtier.
▪ Mais est-ce vrai ? L’économie réelle est-elle en train de croître, de se développer et de gagner de l’argent ? Voyons ça d’un peu plus près :
"Toujours à son poste, à la moitié du salaire", titre un article du New York Times. Il s’agit d’un pilote de ligne qui a vu son poste rétrogradé, et dont le salaire a été divisé par deux. Notre homme gagne désormais 30 000 $ par an au lieu de 60 000 $. Il n’est pas compté dans les statistiques du chômage, mais il a bien moins de pouvoir d’achat qu’il y a un an. Pratiquement tout son pouvoir de dépenses discrétionnaires a disparu.
Partout aux Etats-Unis, les revenus chutent. Officiellement, environ 15 millions de personnes sont sans emploi. Nombre d’autres ont cessé de chercher un emploi. Et à présent, pour la toute première fois, plus de la moitié de ceux qui perdent leur emploi atteignent la fin de leurs droits avant de retrouver un poste. Beaucoup ne perçoivent jamais d’indemnités parce que leurs emplois ne sont pas éliminés, simplement réduits… soit en nombre d’heures travaillées, soit en salaire.
Les baby-boomers américains travaillent plus longtemps… mais gagnent moins. Ils sont vraiment dans le pétrin. Ils n’ont plus que quelques années pour se constituer une retraite… et ce ne sera pas facile dans cette économie morose.
Et parlons des petits jeunots… que BusinessWeek appelle la "Génération Perdue". Leur taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale américaine. Ils sont au fond du bassin de l’emploi, et à moins que l’économie ne se remette à se développer, ils auront beaucoup de mal à trouver le premier barreau de l’échelle.
▪ Prenez tous ceux qui sont au chômage… ceux qui travaillent moins d’heures… ceux qui ont arrêté de chercher du travail… ceux dont le poste a été rétrogradé… ajoutez-y les membres de la famille qui dépendent d’eux pour faire bouillir la marmite… et on obtient près d’un quart de la population. Comment les entreprises peuvent-elles espérer augmenter leurs ventes et leurs profits alors qu’un quart de la population américaine doit radicalement réduire son train de vie ?
Impossible. Les chiffres des bénéfices sont trompeurs. La plupart des revenus constatés proviennent de réductions de coût, non d’un accroissement des ventes. Comment les entreprises réduisent-elles leurs coûts ? En se débarrassant des employés ! En d’autres termes, les bons résultats contribuent à la crise… ils ne la soulagent pas.
On peut voir comment, à court terme, une telle stratégie peut mener à une augmentation des profits. Mais ça ne peut pas durer longtemps. Plus les entreprises réduisent leurs coûts, plus leurs ventes baissent, parce que les consommateurs (qui sont aussi leurs employés) ont moins d’argent à dépenser.
Selon un article du Wall Street Journal, avec trop de capacité… et des ventes en baisse, les entreprises "hésitent à réinvestir de tels profits dans leur activité".
Voilà pourquoi les investissements des entreprises chutent encore plus rapidement que les ventes. Et pourquoi les gens qui cherchent un emploi auront du mal à en trouver un.