▪ Probablement la tranquille montée en puissance de la conviction que la crise de 2008 participe au principe de la "destruction créatrice" chère aux théoriciens libéraux. De la destruction de valeur, il y en a eu en 2008, dans des proportions que l’humanité n’a jamais connues : elle se chiffre en dizaines de milliers de milliards de dollars. Quant à la création de quelque chose, nous pouvons facilement l’identifier : il s’agit d’une montagne de dettes comme les Etats-Unis n’en avaient jamais vu.
C’est une solution à tous les problèmes comme les marchés les aiment. Indolore pour les brasseurs d’argent, complètement opaque pour les contribuables qui se font faire les poches.
Alors que Wall Street achevait la séance de mercredi à proximité immédiate de ses records annuels (après quelques errements baissiers en tout début puis à mi-séance), CNBC n’a pas manqué d’interviewer l’archétype du stratège le plus aveuglément optimiste de ces dernières semaines.
Une journaliste lui a demandé d’exprimer son avis sur la valorisation d’un marché où les actions viennent de reprendre entre 55% (pour le S&P) et 63% (pour le Nasdaq) en six mois jour pour jour : une performance inégalée en 50 ans, voire plus.
Nous vous avertissons que la réponse va vous sembler exaspérante… Pourtant, nous devons faire l’effort de vous en rendre compte intégralement car nous demeurons très attachés, malgré notre scepticisme congénital, à la pluralité des opinions.
Voici donc ce petit bijou de pensée unique que chaque vendeur d’action se doit d’apprendre par coeur : "le marché a beaucoup progressé alors que beaucoup d’économistes estimaient qu’il aurait dû rebaisser… mais il ne l’a pas fait. Il continue de monter et montera encore parce que les perspectives de reprise sont beaucoup plus favorables que les gens l’imaginent. Les entreprises vont engranger des bénéfices plus élevés que ce les analystes entrevoient, les années 2010 et 2011 vont être à mon avis époustouflantes… et c’est bien à ce scénario que Wall Street se prépare".
Voilà un argument imparable : pour savoir ce que l’avenir nous réserve, fiez-vous à la hausse des cours de Bourse ! Si la tendance est haussière, c’est que les entreprises vont connaître une période formidable… qui a déjà débuté, n’en déplaise aux prix Nobel d’économie chagrins, aux patrons des banques centrales échaudés, aux austères fonctionnaires du FMI ou de Bruxelles.
Tel est l’état d’esprit qui règne à Wall Street… et il n’est pas interdit de rechercher d’autres arguments haussiers ayant un caractère plus technique.
▪ Après un petit temps d’hésitation le 1er septembre, nous assistons à la formation d’une nouvelle vague de hausse. Elle s’alimente, selon des sources de marché concordantes, d’une vague d’achat d’investisseurs demeurés trop liquides durant la période estivale.
Ce n’est pas que les gérants se lancent de gaîté de coeur dans une spirale haussière dont ils ont d’abord jugé prudent de se tenir éloigné fin juillet. La pression exercée par les clients et les excès de cash ne le leur laisse toutefois guère d’autre choix que de se jeter à leur tour dans la mêlée… où il y a certainement plus de mauvais coups (que de bons) à prendre.
Il y a toujours une bonne excuse pour jouer l’exception qui confirme la règle — les derniers acheteurs se font systématiquement "déchirer". En l’occurrence, il s’agit des fortes primes payées par les initiateurs de récentes OPA (Disney ou Kraft Foods), ce qui ne manque pas d’alimenter des extrapolations sur la sous-évaluation globale du marché.
▪ Voilà pour la rubrique "tout le monde en parle"… mais il nous semble également intéressant d’évoquer des informations du type "les faits sont têtus" et qui ne mobilisent pas l’attention des médias financiers.
Nous avons découvert mercredi matin une série de statistiques publiées par les principaux établissements bancaires américains. Elles font état d’un effondrement — le terme n’est pas trop fort — du crédit à la consommation : -21,6 milliards de dollars au mois de juillet au lieu de -4 milliards anticipés, et -10% sur un an — c’est un record depuis… 1944 !
Autre statistique concernant la consommation au mois d’août : une fois exclue l’opération "Cash for Clunkers", les dépenses des ménages ont stagné. L’an passé à la même époque, elles progressaient de 2% alors que les Etats-Unis étaient en récession… tandis qu’ils en seraient sortis cet été, selon un consensus largement répandu.
Allez y comprendre quelque chose. La masse salariale se contracte, le chômage augmente (et ce n’est pas fini), les demandes de prêts plongent, les entreprises de taille petite et moyenne n’investissent pas (elles sont seulement 45% à l’envisager pour 2010, le plus faible taux depuis les années 70)… Et pourtant, Wall Street prévoit une reprise stratosphérique pour la fin de l’année et des profits intergalactiques en 2010 pour les sociétés cotées à Wall Street ; mais que vont-elles vendre, à qui… et avec quel argent ?
Toutes ces informations ne sont pas considérée comme pertinentes, ni susceptible de remettre en cause le scénario de reprise économique. L’accélération des défauts de paiement sur les prêts immobiliers de bonne qualité aux Etats-Unis (désormais plus nombreux que sur les subprime) reste également totalement ignorée.
▪ Puisque seules les bonnes nouvelles comptent, nous ne sommes pas étonné que la journée de mercredi, entamée en légère baisse, se soit soldée par une hausse aussi forte qu’inattendue du CAC 40 (+1,28%). Il inscrit sa meilleure clôture annuelle au-delà des 3 700 points au terme d’une nouvelle série de quatre séances de hausse consécutive.
Les places européennes ont également voté sans réserve en faveur de la reprise économique et du scénario d’un été indien boursier que les météorologues annoncent très chaud.
Si les cours du pétrole ont rebondi de 5% en 48 heures à plus de 72 $, c’est qu’il y a de la croissance… Sinon, les quotas de production de l’OPEP aurait été abaissés et non maintenus en l’état comme ce sera le cas une fois de plus à Vienne.
La forte hausse des marchés est également invoquée comme l’une des principales causes de l’amélioration du sentiment des ménages britanniques ces derniers mois. La confiance revient, il y a même une réapparition des offres d’embauche dans les agences locales pour l’emploi : les huissiers manquent de bras pour faire exécuter les arrêtés d’expulsion qui frappent des milliers d’emprunteurs insolvables sommés de quitter leur logement sur le champ.
▪ Nous ne savons pas si ce qui va suivre relève également de la catégorie "humour noir"… mais pour la seconde séance consécutive, le Dow Jones a été soutenu par la progression de General Electric (+2,3%, en tête du peloton). Le titre avait été très ramassé la veille sur une recommandation de JP Morgan, et une seconde étude très favorable a été rendue publique avant l’ouverture ce mercredi.
Elle émane de Goldman Sachs, qui relève son objectif de cours de 20%, passant de 15 $ à 18 $. Paradoxe, le courtier était encore très négatif sur GE au printemps dernier (objectif 10 $)… et nous avons du mal à cerner ce qui justifie une révision à la hausse de +80% de la valorisation du titre en l’espace d’un seul trimestre.
Mais bon, cette capacité de retourner sa veste sans états d’âme, c’est tout ce qui fait la différence entre une firme compétente, respectée (depuis qu’elle a démontré à l’automne dernier sa capacité à faire éliminer par la Fed et la Maison Blanche ses rivaux les plus encombrants), sérieuse… et les rédacteurs des Publications Agora !