▪ Avec tout ce qui s’est dit sur le plan de sauvetage grec et sur l’abandon « volontaire » d’une partie des créances des investisseurs privés, il me semble nécessaire de faire un petit bilan et de quantifier quel est le montant réel des pertes.
▪ Reprenons déjà le déroulement des opérations
1/ Mai 2010 : premier plan de sauvetage. L’Europe décide d’accorder 110 milliards d’euros à la Grèce, financés pour les 2/3 par le FESF et l’Union européenne et, à 1/3, par le FMI. Ce plan existe toujours avec des déblocages successifs sur trois ans et une durée de remboursement initiale de cinq ans, rallongée à sept ans. Rappelez-vous : ce plan était censé couvrir les besoins de la Grèce sur 2011-2014… Sauf que l’on s’est rendu compte, au printemps 2011, que ces besoins étaient plutôt de l’ordre de 120 milliards d’euro de plus, excusez du peu. Des impôts qui ne rentrent toujours pas, des dépenses inutiles qui ne baissent toujours pas, une croissance économique toujours pas au rendez-vous, bref la totale (et pas assez d’inflation diront les plus indulgents).
2/ Donc second plan d’aide le 21 juillet 2011 avec cette fois-ci deux volets :
– nouveau plan de 109 milliards d’euros selon la formule habituelle (2/3 FESF et 1/3 FMI avec déblocages successifs). Sauf que là, on utilise l’artillerie très lourde en achetant massivement du temps : maturité minimale de 15 ans et maximale de 30 ans ;
– et puis nouveauté, on instaure une contribution dite « volontaire » des créanciers privés avec abandon de créance de 21% — soit une contribution de près de 50 milliards d’euros.
3/ Mais ce plan ne suffit pas pour venir à bout de l’insolvabilité grecque (le problème c’est que l’on cherche à venir à bout de l’insolvabilité comme si l’on était face à une crise classique de liquidité). Donc second plan bis du 27 octobre 2011 avec toujours les deux volets :
– toujours les 109 milliards d’euros (2/3 FESF et 1/3 FMI) ;
– et cette fois, les créanciers privés abandonnent toujours « volontairement » 50% de leurs créances — soit une contribution cette fois-ci de près de 100 milliards d’euros.
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L’Etat-Providence a signé son propre arrêt de mort ! A présent, c’est chacun pour soi
Mais dans cette nouvelle donne, une poignée de Français pourrait être jusqu’à quatre fois plus riche d’ici deux ans.
Comment en faire partie ? Il suffit de suivre le guide…
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4/ Dernier rebondissement puisque ce deuxième plan bis ne suffit toujours pas et les conditions exigées par le trio Union européenne/BCE/FMI sont de plus en plus pressantes avec l’idée d’une mise sous tutelle. Le second plan bis est donc remplacé par un second plan ter le 20 février 2012. On verse de plus en plus dans la sophistication et on compte désormais trois volets :
– les 109 milliards d’euros se transforment en 130 milliards d’euros. Là ou le bât blesse, c’est que l’on semble s’éloigner de la répartition désormais habituelle (2/3 FESF et 1/3 FMI) puisque le FMI ne versera finalement que 18 milliards d’euros (donc seulement 13% du package de 130 milliards d’euros) ;
– la contribution (toujours « volontaire ») des créanciers privés passe à 53,5% (soit 107 milliards d’euros). Un petit calcul actuariel simple montre qu’avec l’allongement significatif à 30 ans de la dette portée par les investisseurs et les abaissements de coupons sur les nouveaux papiers échangés, la perte économique actuarielle se situera entre 75% et 80% selon la maturité des titres apportés (mais d’irréductibles optimistes vous diront que tout va bien puisqu’autour de 70% a été provisionné dans les comptes au 31/12/2011 et donc que le système peut absorber tout cela… Drôle de mentalité quand même, d’autant que l’on verra plus loin que l’histoire n’est malheureusement pas finie) ;
– et comme tout ceci ne suffisait toujours pas pour faire retomber le ratio dette/PIB grec d’ici 2020 (rions un peu quand on sait qu’aucun ministre des Finances n’est capable — et ce n’est pas une tare — de savoir ou sera le ratio dette/PIB de son pays à la fin de cette année !!)… on a donc pensé à inviter très officieusement l’incontournable BCE dans le sauvetage.
▪ Comment cet argent est versé et d’où vient-il réellement ?
Le FESF n’a pas d’argent et doit recourir à des émissions au compte-gouttes sur les marchés. Or face à l’urgence qui le tenait pour faire face à l’échéance grecque de 14 milliards d’euros du 20 mars dernier, on ne pouvait compter intégralement sur lui car cela l’aurait obligé à accélérer son programme d’émissions sur les marchés et donc à dégrader ses conditions de refinancement. Donc les montants d’aide FESF n’existent pas en tant que tels et ils sont donc à emprunter.
Le FMI a des ressources monétaires — les fameux quote-parts des Etats sous forme de DTS. Chaque pays dispose au FMI, en fonction de son poids économique, de DTS. Nous avons un total de 58 milliards d’euros de DTS dans la Zone euro. Il existe une règle qui fixe à 10 fois les quotas la limite de financement : cela signifie que la Zone euro a théoriquement la capacité de lever jusqu’à 580 milliards d’euros. Une partie de ces 580 milliards est utilisée ; et on peut imaginer que le FMI utilise la quote-part d’autres Etats pour financer au compte-gouttes la Grèce ce mois-ci et par la suite. En tout cas, cet argent existe mais les moyens du FMI s’amenuisent — d’où les appels au secours à certains émergents (qui n’ont toujours rien promis) pour le renflouer.
Donc il est tout à fait possible que l’on ait aussi affaire à un tour de passe-passe de la BCE avec un financement indirect de cette échéance à la Grèce via un peu de LTRO spécifiquement alloué aux banques grecques : on utilise les collatéraux de plus ou moins bonne qualité…
▪ Etape suivante, très technique : la mise en oeuvre du PSI (private sector involvment)
Comment techniquement les créanciers privés peuvent-ils abandonner 53,5% de leurs créances sur la Grèce ? Eh bien il a été décidé de créer une usine à gaz pour cette offre publique d’échange ; c’est bien connu, plus c’est complexe, plus cela a la prétention d’un montage financier solide et crédible et moins les marchés se posent de questions.
Prenez un investisseur qui avait 10 millions d’euros d’exposition sur des titres grecs. Celui-ci va se voir échanger contre ses anciennes positions :
– 31,5% de nouveaux titres de l’Etat grec divisés en 20 lignes distinctes échéancées entre 2023 et 2042 (on croit rêver, n’est ce pas !) et amortissables de 5% du capital chaque année. Donc au total, notre investisseur privé recevra 3,15 millions d’euros divisés en parts égales sur ces 20 maturités. Afin de ne pas trop alourdir le fardeau, les coupons versés sur ces papiers seront très progressifs : 2% jusqu’en 2015, 3% jusqu’en 2020, 3,65% en 2021 et 4,3% entre 2022 et 2042 ;
– deux fois 7,5%, soit 15% de titres émis par le FESF avec une maturité maximale de deux ans (on ne reviendra pas sur les perspectives négatives de la qualité de crédit de cet émetteur) ;
cerise sur la gâteau, les investisseurs vont « bénéficier » d’une sorte d’option gratuite donnant droit à des titres grecs supplémentaires (jusqu’aux 31,5% récupérés lors de l’échange) avec un taux d’intérêt égal à la différence entre la croissance réelle de l’économie grecque et la croissance du PIB prévue réalisée et l’objectif fixé (entre 2% et 2,8% sur les 30 ans qui viennent). Donc tout ceci suppose que la croissance grecque surperformera les objectifs. Mon point de vue : tout ceci n’est fait que pour amuser la galerie, d’autant que ces options ne valent pas grand-chose.
La perte est donc de 53,5% pour les créanciers privés et ils possèdent des nouvelles positions qui valent 46,5% (soit 31,5% +7,5% +7,5%) de la valeur des anciennes expositions. Si l’on veut estimer la perte économique réelle pour les investisseurs, c’est bien plus que 53,5% (qui est une perte apparente comptable).
Une façon simple d’estimer la perte économique est la suivante :
– on prend les 31,5% de nouveaux titres grecs. On va actualiser les coupons annuels estimés à 3,70% en moyenne sur 20 ans (durée moyenne du nouvel échéancier de dette grecque puisque les titres sont supposés s’amortir de 5% par an). On a supposé que le taux d’actualisation est plutôt doux à 12% (moins que les niveaux de taux sur la dette portugaise). La valeur économique est donc de 10,8% (vous actualisez à 12% des revenus futurs à 3,70% l’an, donc vous ne pouvez que détenir un titre déprécié) ;
– plus simple, on prend les 7,5% de nouveaux titres FESF à un an que l’on actualise au taux un an de ce type d’émetteur, soit 0,60%. Pas de décote ici, la valeur économique égale la valeur comptable donc 7,5% (taux coupon = taux d’actualisation) ;
– plus simple encore : on prend les 7,5% de nouveaux titres FESF deux ans que l’on actualise au taux deux ans de ce type d’émetteur, soit 0,90%. Là aussi, la valeur économique égale la valeur comptable, donc 7,5%.
Résultats des courses : l’investisseur qui a comptablement perdu 53,5% et qui possède de nouveaux titres à 46,5% de son ancienne valeur de bilan dispose en réalité d’une valeur économique de 10,8% + 7,5% + 7,5% = 25,8%.
Que va-t-il se passer si les marchés font monter sur les marchés secondaire les taux à 20 ans sur la dette grecque (ce qui est inévitable) ? Ils sont aujourd’hui à 12% :
– s’ils passent à 15% au lieu de 12%, les 10,80% de valeur économique deviennent 8,02% ;
– à 20%, les nouveaux papiers ne valent plus que 5,80% ;
– et à 30%, la valeur moyenne de ces titres grecs baisse à 3,80%.
On aura l’occasion, me semble-t-il de vérifier très vite sur le marché secondaire mes petits calculs actuariels…
Mais, braves gens, ce qu’il faut retenir c’est que l’échange a officiellement réussi ! Je vous rappelle que trois scénarios étaient possibles :
– une participation des créanciers privés dépassant les 90% ;
– une participation se situant entre 75 et 90%, conduisant les autorités grecques à activer ce que l’on a appelé les CAC (pour clauses d’actions collectives) pour contraindre les réfractaires à participer à l’offre et porter le taux de participation au-dessus de 90% (afin de satisfaire l’objectif prévu par le plan de réduction du ratio dette/PIB) ;
– une participation inférieure à 75%, conduisant à l’abandon du PSI car insuffisant pour réduire le ratio de dette.
Vous le savez, c’est le scénario 2 qui a finalement prévalu. Les détenteurs de 152 milliards d’euros de titres grecs régis par la loi grecque (soit 85,8%) et 20 milliards d’euros régis par le droit anglais (69%) avaient accepté « volontairement » l’offre d’échange du PSI. Donc, au total, ce sont 172 milliards d’euros qui ont été apportés pour un encours total concerné de 207 milliards d’euros, soit 83,4%. Ce taux de participation a donc conduit à déclencher les CAC pour permettre à la Grèce d’obtenir 25 milliards d’euros de participation supplémentaire.
[NDLR : Qu’est-ce que tout ça signifie pour vous et votre épargne, concrètement ? Mory Doré vous donne quelques éléments de réponse par ici… ]
Première parution dans Le Billet du Trader du 22/03/2012.