▪ L’inscription de sept séances de hausses consécutives s’apparente dans l’inconscient de beaucoup d’investisseurs à une sorte d’Everest boursier a priori insurpassable. Et pourtant… la Bourse de Paris vient de rentrer dans une nouvelle dimension avec l’inscription d’une huitième séance positive.
Partant du constat que le cycle haussier amorcé le 20 décembre dernier perdure depuis 13 semaines (et en entame peut-être une quatorzième ce lundi), pourquoi le CAC 40 ne pourrait-il pas égaler ce score en données hebdomadaires en alignant cinq séances de hausse supplémentaires ?
Puisque plus personne ne se pose la question de la valeur pour ne considérer que le prix… puisque tout lien entre le cours de Bourse et la réalité économique est coupé par la morphine du LTRO… puisque l’enchaînement des excès n’appelle pas de correction, mais au contraire constitue une invitation à en commettre d’autres — tout semble désormais possible !
▪ Les marchés voudraient-ils entrer dans le Livre des Records ?
C’est comme marcher sur de la braise (un truc vieux comme le monde : il suffit d’avoir la plante des pieds un peu humide et d’avancer d’un pas léger, mais pas plus de cinq secondes) ou d’avaler cul sec une bombonne de cinq litres de bonne eau fraîche.
Figurez-vous qu’une capacité stomacale moyenne permet en théorie d’absorber une telle quantité sans dommage — l’eau étant par définition d’une totale innocuité. Mais tenter de réaliser ce genre d’exploit en vrai peut mener à une mort quasi-certaine par blocage de la respiration et arrêt cardiaque.
Difficile de démontrer que les marchés sont parvenus à l’extrême limite de ce qu’ils sont capables d’absorber en matière de hausse sur un laps de temps aussi court. S’ils font un malaise, les opérateurs ne tarderont pas à conclure qu’il s’agissait d’un record un peu idiot.
Mais ils sont tout aussi enclins à penser que si les marchés obligataires consolident, l’argent qui déserte les marchés de taux va filer tout droit s’investir dans les actions. Cela ne manquerait pas de provoquer une flambée du CAC 40 vers 4 000 points et un retracement du record historique de l’été 2007 par le Dow Jones d’ici les élections américaines.
▪ Quand les points de vue s’opposent
D’un point de vue mécaniste (rotation sectorielle entre valeurs à revenu fixe et à revenu variable), cet argument tient parfaitement la route. D’un point de vue stratégique, c’est comme prétendre qu’un amateur de whisky va se convertir du jour au lendemain en amateur de saké et qu’il va même doubler sa consommation d’alcool nippon pour l’occasion.
Peu de stratèges osent envisager qu’une tension des taux pourrait placer la Fed en porte-à-faux par rapport à ses achats d’emprunts longs (twist de maturité), et exercer une concurrence par rapport aux actions dont le rendement est souvent gonflé par des rachats de titres et non par une progression substantielle des marges et des revenus.
Ce genre de considération était tout à fait subalterne vendredi, puisque l’évolution des indices était toute entière dictée par les considérations techniques relatives aux « Quatre sorcières ».
▪ Wall Street fait du sur-place en raison des « Quatre sorcières »
Wall Street a connu dans ce contexte très particulier sa séance la moins volatile de l’année, notamment entre 16h et 21h (heure de Paris). Les opérateurs ont verrouillé les gains trimestriels et les indices américains n’ont pu aller nulle part durant six longues heures.
L’essentiel, c’est que le S&P a clôturé en hausse de 0,11% en confirmant le débordement des 1 400 points. Il inscrit ainsi une huitième séance de progression consécutive et un superbe 5/5 à la hausse cette semaine pour un score global de 2,43%. L’indice doit cela aux valeurs financières qui ont engrangé 5,9% en moyenne, Bank of America s’envolant de 6% à 9,8$.
Le S&P parvient à conclure en beauté le cycle haussier ayant démarré au lendemain même de la précédente journée des « Quatre sorcières », le 20 décembre 2011. Il matérialise ainsi sa plus longue séquence haussière — sans repli hebdomadaire supérieur à 0,6% depuis l’été 1944 !
Le Nasdaq s’est effrité de 0,04%, après avoir testé 3 061 points au plus haut à la mi-séance : cela ne l’empêche pas d’aligner une cinquième semaine de hausse consécutive.
Le Dow Jones clôture également en repli de 0,15%. Notons que les opérateurs qui avaient arraché l’indice de 13 200 vers 13 250 points au cours des cinq dernières minutes jeudi n’ont pas levé le petit doigt pour lui permettre de clôturer symboliquement dans le vert.
Bien que cet effritement n’ait pas grand-chose à voir avec les chiffres américains, Wall Street a découvert que la production industrielle des Etats-Unis avait stagné le mois dernier (contre une hausse de 0,4% à 0,6% attendue).
Confirmant un possible ralentissement conjoncturel, le taux d’utilisation des capacités de production a diminué de 0,1 point à 78,7%.
Les prix à la consommation se sont appréciés de 0,4% dans le sillage du prix des carburants. Ces derniers ont également contribué à soutenir les ventes de détail par un effet purement mécanique.
La confiance des consommateurs du Michigan est ressortie en repli pour la première fois depuis août 2011 (à 74,3 contre 75,3 en estimation préliminaire). Cette baisse de moral serait due en quasi-totalité au renchérissement du pétrole, mais la Fed assure que l’impact sur l’inflation sera temporaire et limité.
Autant encourager la spéculation à tenter de situer où se situe le seuil de douleur pour l’économie américaine… Le baril de pétrole a repris 2 $ pour en terminer au-dessus des 107,2 $.
▪ Paris de retour sur des niveaux de 1998
Pas de quoi susciter la moindre inquiétude à Paris. Les opérateurs sont tout à leur joie de voir le CAC 40 terminer la séance, la semaine, le trimestre au plus haut (à 0,1% près), après avoir inscrit un zénith de 3 600,48 points à 90 minutes de la clôture.
Le CAC 40 efface ainsi 62% de la baisse subie de début juin à fin octobre 2011 et 100% du repli depuis le 1er août dernier.
Un tel mouvement, aussi puissant, aussi irréversible — et pour tout dire sans précédent depuis le premier trimestre 1998 — peut sembler extravagant et complètement déconnecté de la récession qui frappe l’Europe… de la hausse du pétrole qui menace la croissance américaine et même des risques de trou d’air dans le secteur immobilier en Chine. Les prix reculent d’ailleurs un peu à Pékin et Shanghai (ce qui est plutôt sain), les transactions plongent (ce qui est plutôt inquiétant).