Si nous vous annoncions avoir découvert une chute de 40 à 60% en rythme annuel du nombre de ventes de biens immobiliers dans les trois principales métropoles d’un pays développé, penseriez-vous que la dynamique de croissance économique est positive ? Penseriez-vous accessoirement que c’est un bon endroit pour y investir votre argent ?
Les investisseurs asiatiques ont répondu non mardi matin de la manière la plus formelle. Cela s’est traduit par une chute de 4,25% de la Bourse de Hong Kong, qui passe sous les 18 000 points.
Ils ont occulté le chiffre brut de la croissance chinoise, qui ressort à 9,1%, pour ne retenir que le ralentissement séquentiel de 0,4% — compte tenu de la précédente estimation ressortie à 9,5%.
Même si l’inflation a diminué, à 6,1% (chiffre officiel), le soupçon d’une dérive des prix durablement supérieure à 7% continue d’inquiéter les économistes. Etant donné les très fortes disparités de revenus au sein de l’empire du Milieu, l’inflation atteint de façon extrêmement inégalitaire la classe ouvrière et les classes moyennes… Et elle est parfaitement indolore pour les Chinois récemment enrichis qui possèdent des comptes en devises et qui commercent à l’international.
Même en se fiant aveuglément aux statistiques fournies par Pékin, il est facile de constater en observant les graphiques du PIB et de l’indice des prix que les courbes pourraient se croiser dès la mi-2012. Cela signifie que la majorité de la population se trouverait confrontée à un déflateur négatif et donc à une érosion du pouvoir d’achat. Même si la Chine continue d’engranger des excédents commerciaux, elle n’est pas à l’abri de l’explosion d’une bombe à retardement sociale… et, les derniers chiffres le démontrent, de l’explosion d’une bulle immobilière à la japonaise.
Le seul moyen de prévenir ces périls serait de solvabiliser les « masses laborieuses » afin que la pierre devienne enfin accessible aux dizaines de millions de travailleurs qui vivent dans d’infâmes taudis à la périphérie des grandes villes. Parallèlement, les prix de produits de première nécessité seraient gelés pour éviter que la vie chère n’engendre grèves, émeutes et vent de révolte dans les campagnes et les banlieues défavorisées.
Si le mouvement des indignés trouvait un terreau propice en Chine (après s’être implanté dans déjà 82 pays), le monde ne tarderait pas à découvrir les limites de la « transition démocratique » que gère le parti communiste chinois depuis d’admission du pays à l’OMC au début des années 2000.
Mais la Chine dispose de cet immense avantage de gérer l’abondance de capitaux. Il s’agit de les utiliser à bon escient, tout comme l’arme des taux destinée à prévenir l’inflation. Si la raréfaction du crédit menaçait la stabilité du pays, Pékin a les moyens de faire de la relance… et cela n’est pas près de menacer son équilibre budgétaire. En effet, il s’alimente des fameux « excédents primaires » dont l’Italie se targue pour rassurer ses créanciers (mais que sont-ils devenus ces derniers mois ?).
▪ Les investisseurs ont cependant déduit de la chute des places asiatiques mardi matin qu’il y avait un malaise. L’Inde s’inquiète également des retombées négatives d’un ralentissement économique chez son puissant voisin.
L’Allemagne est de tous les pays européens le plus vulnérable à ce scénario. Le gouvernement aligne ses prévisions sur celui des huit principaux instituts économiques germaniques : l’anticipation de croissance est abaissée de 1,8% à 0,8% l’an prochain.
En France — premier partenaire économique de l’Allemagne — François Fillon et François Baroin reconnaissent implicitement que les prévisions gouvernementales en matière de PIB étaient trop optimistes pour 2012.
Des mesures sont déjà à l’étude pour compenser les pertes de recettes fiscales dans l’hypothèse hautement probable où les 1,75% à 2% ne seraient pas atteints, un score de 1,5% apparaissant plus réaliste.
C’est ce risque d’inexécution des engagements français en matière de déficits qui justifierait la mise garde de Moody’s sur la notation de notre dette. Le AAA serait désormais menacé. Une perspective négative pourrait être envisagée début 2012 ; la perte du « triple A » pourrait survenir à un horizon de 12 à 18 mois. Moody’s salue cependant « la solidité de l’économie de l’Hexagone, la puissance de ses institutions et la très grande détermination de son gouvernement « .
▪ Les marchés se montrent beaucoup plus sceptiques… et cela dure depuis plus de deux ans. L’écart de rendement entre le Bund et les OAT, qui jouissent de la même note, vient de passer de 25 à 105 points. Un tel écart n’avait jamais été observé depuis la création de la monnaie unique ; au pire, le spread avait atteint 35 points entre 1999 et 2009.Un abaissement de notation vers AA+ est déjà acté puisque le rendement de l’OAT 2020 dépasse maintenant les 3,10% (contre 2,05% pour le Bund de même maturité).
Nous ne manquerons pas de nous étonner que le AA+ américain reste aussi bien noté que le AAA allemand et bien mieux que le AAA français. Cela tiendrait-il à un différentiel de stock d’ogives nucléaires ?
Ce déficit de confiance implicite s’est également traduit dans les cours de Bourse : Paris cédait 0,8% tandis que Francfort affichait symétriquement +0,3%. Le CAC 40 a chuté de plus de 2% à plusieurs reprises mardi. Le palier des 3 100 points a été testé par trois fois en l’espace de six heures. Cependant, le rapide redressement des indices américains après une entame de séance plombée par l’inertie baissière de lundi soir a permis aux valeurs françaises de revenir au contact de leurs planchers de la veille.
Wall Street affichait une progression voisine de 1% à la mi-séance. Les opérateurs ont privilégié les profits de 5,9 milliards de dollars de Bank of America (peu importe que cela provienne d’acrobaties comptables, d’abandon de provisions et de produits de cession exceptionnels) plutôt que les pertes de Goldman Sachs (-84 cents par titre contre -16 cents anticipé).
▪ Les chiffres du jour n’appelaient guère de commentaires. La forte hausse des prix à la production aux Etats-Unis (+0,8% en données brutes) n’a pas suscité une grosse émotion… Pas plus que le rebond de quatre points du baromètre immobilier NAHB (à +18 points) n’a provoqué un semblant de réconfort.
Cela risque pourtant de peser à terme sur les marges des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages si la tendance se confirmait en octobre. Toutefois, la rechute du cours des matières premières et du baril de pétrole sous 90 $ (depuis la mi-septembre) puis sous 85 $ (début octobre) nous permet d’anticiper que ce ne sera pas le cas.
La contrepartie, c’est que les ventes de détail vont décroître… ce qui alimentera le scénario d’une croissance anémique.