▪ Puisque vous disposez du week-end pour y réfléchir, voici quelques pistes stratégiques qui vous permettront de mettre vos idées au clair, alors que les analyses des différents rédacteurs qui collaborent à la Chronique Agora peuvent parfois vous apparaître contradictoires.
Je ne m’exprimerai pas pour autant au nom de mes collègues… Mais je reprendrai les grandes lignes de leur diagnostic économique à court et moyen terme afin de les confronter aux anticipations que je formule depuis que les places boursières européennes ont atteint le seuil des -25%.
Je partage le constat qu’aucun des problèmes ayant conduit à l’effondrement des places européennes n’est résolu. En ce qui concerne Wall Street, nous ne voyons qu’une simple correction sans grande intensité…
Je me fie volontiers à M. Trichet lorsqu’il affirmait, ce jeudi, que nous sommes confrontés à d’énormes incertitudes économiques et à un ralentissement de la croissance.
Je crois sur parole Ben Bernanke qui déclarait quelques heures plus tard que l’activité décline dans de nombreuses régions des Etats-Unis. En effet, l’immobilier reste en situation de mort clinique, le marché de l’emploi affiche la même vigueur qu’une méduse échouée — ce n’est pas une traduction littérale, mais c’est fidèle au message sous-jacent.
Je reste par contre sceptique lorsque Monkey Business Ben prétend que même si les indicateurs sont faibles, ils ne pointent pas vers la récession. J’aimerais savoir ce qui se passerait si le Congrès US acceptait de mettre en place les mesures de rééquilibrage budgétaire qu’il réclame.
▪ A propos d’assainissement des finances publiques, les efforts de la Grèce se soldent par une récession de -7,3% au deuxième trimestre. Verdict de l’Allemagne : Athènes n’en fait pas encore assez et n’applique pas avec suffisamment de célérité les directives de Bruxelles.
Bien mené, l’exécution du plan de rigueur préconisé par les pays du nord de l’Europe devrait rapidement conduire à une contraction de 10% du PIB d’ici la fin de l’année.
Dans ces conditions, les déficits devraient exploser pour atteindre des niveaux également proches de 10% du PIB. Si ce cas de figure se produit, le ministre des Finances néerlandais a la solution : mise sous tutelle de la Grèce.
Si elle ose protester contre ce viol de sa souveraineté (et après un épisode peu agréable où les créanciers lui ont fait les poches avec le plan de privatisation de 50 milliards d’euros voté en juillet), la sanction inéluctable sera l’éviction pure et simple de la Zone euro.
Les touristes hollandais et allemands peuvent désormais aller passer leurs vacances de la Toussaint à Delos ou en Crète (loin de la grisaille nordique)… Le meilleur accueil leur sera réservé !
Mais au fait, que représente le budget de la marine nationale dans les finances hollandaise ? Elle aussi doit protéger un chapelet d’îles au nord-ouest de son territoire. C’est juste qu’elles sont 1 000 fois moins nombreuses que celles formant l’archipel situé en mer Egée. En effet, les îles helléniques seraient 9 800, d’après l’ambassade grecque (qui compte chaque bout de rocher émergeant des flots), mais 780 d’après les guides touristiques et 170 seulement sont habitées.
▪ La France aussi possède quelques îles lointaines qui lui coûtent fort cher et ne dégagent jamais aucun excédent commercial avec la métropole. Selon l’approche comptable hollandaise, il serait grand temps qu’elle les mette aux normes de Maastricht ou qu’elle s’en débarrasse !
Et pourquoi conserver la Corrèze ? Elle fournit certes de potentiels présidents de la République… mais pour le reste, ce département quasi désert est un gouffre pour les finances de l’Etat.
Et les ex-bassins houillers du Nord et de la Lorraine, ces zones post-industrielles sinistrées avec leur chômage endémique ? Ce sont des boulets budgétaires que la France traîne depuis 30 ans. Et dire qu’il a fallu deux guerres pour les reprendre aux Allemands !
Il y a 50 ans, les Hollandais auraient conseillé au Général de Gaulle de rendre la Savoie à l’Italie. Les sports d’hiver n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements, cette région déshéritée n’était qu’un désert de cailloux et de glaciers et la neige cinq mois par an était une véritable malédiction. En revanche, la France avait tout intérêt à conserver le comté de Nice, parce que la Côte-d’Azur possède plein de beaux hôtels et de casinos qui sont rentables, eux !
Avec ces exemples, vous touchez du doigt ce qui vous apparait délibérément absurde, les limites de la logique économique. Mais où faut-il placer le curseur lorsque l’on commence à raisonner en termes « d’équilibre budgétaire » ?
La prospérité ou la disgrâce d’un pays ne sont jamais fixés pour l’éternité. Si l’on découvrait qu’une certaine variété d’oliviers qui ne pousse que dans le Péloponnèse fournit des composés chimiques uniques au monde qui favorisent la guérison de nombreux types de cancers, la Grèce deviendrait le pays le plus riche d’Europe, avec des excédents colossaux.
L’Allemagne la supplierait de voler au secours de ses banques qui n’en finissent pas de souffrir des dettes toxiques héritées de la crise des subprime. Athènes ne manquerait pas de leur faire la leçon : « a-t-on l’idée d’être aussi bête de se fier à un pays qui imprime de faux dollars avec la même détermination que nous extrayons notre huile miracle ».
▪ J’avoue qu’en ce qui concerne la Grèce, je ne connais pas l’avenir. En revanche, je connais bien les marchés financiers. Certains opérateurs ont pris un grand plaisir à noircir exagérément le tableau pour faire exploser les profits sur leurs positions de vente à découvert (via des ETF notamment) et leurs contrats à terme sur les métaux précieux. D’une pierre deux coups, elle est pas belle la vie ?
En d’autres termes, l’essentiel du jus du citron de la crise grecque a été extrait. Désormais, il va falloir trouver autre chose pour justifier le niveau de valorisation ridiculement bas des actions, non seulement des entreprises tournées vers les services aux collectivités mais également des banques.
Prenez par exemple la BNP Paribas : 1 500 milliards d’euros de conservation, 12 millions de clients au sein de la seule Zone euro (17 millions dans le monde entier) et des milliards de profits cumulés en dix ans. Mettez en balance la Grèce : 300 milliards d’euros de PIB pour 11,5 millions d’habitants.
En le présentant autrement, les 50 plus grandes banques européennes affichent 2 000 milliards d’euros de fonds propres. Certaines sont « un peu justes » (l’OCDE et Christine Lagarde ont raison sur ce point), d’autres en ont en excédent. Globalement, cela représente 10 fois les 200 milliards d’euros de pertes qu’elles pourraient encourir en prenant la pire hypothèse en matière de défaut de la Grèce (60% de dépréciation sur l’ensemble des instruments de dette émises).
La faillite de la Grèce absorberait 10% des fonds propres des banques. Celles qui se trouveraient en difficulté se tourneraient vers la BCE (qui a promis ce jeudi de continuer à les aider) ou le Trésor Public de leur pays d’origine, faisant du contribuable le garant en dernier ressort.
C’est désagréable à entendre mais c’est comme ça. La France vient de voter une enveloppe de 15 milliards d’euros en faveur de la Grèce. Cela représente la moitié du trou de la Sécurité sociale (que nous comblerons une fois encore à coup de hausse de CSG et de RDS).
S’il faut mettre 15 milliards d’euros sur la table (1% de notre PIB, amortissable sur 15 ans, soit 100 millions par an) pour sauver l’Europe, c’est un prix qui n’apparaît pas exorbitant et nos banques, comme nos ministres des Finances, sauront où trouver l’argent : dans nos poches probablement !
▪ Pour résumer mon sentiment et vous éclairer définitivement sur ma stratégie à court et moyen terme, je pense que la Grèce ne fera pas faillite d’ici octobre (le mois des krachs boursiers). Les marchés ont donc de bonnes chance de rebondir de 10% ou plus — et les banques de 25 ou 30% voire davantage — avant la fin du mois de septembre.
Les placements défensifs (OAT, Bunds, T-Bonds, or, argent métal…) pourraient alors subir des arbitrages en faveur des actions, ce qui occasionnerait un repli temporaire.
Mais il impossible de se désendetter en s’endettant. De la Grèce à l’Espagne en passant par la Californie, l’Etat de New York, les fins de mois difficiles de la France ou encore le financement des guerres impériales des Etats-Unis… les pays occidentaux pourraient décider que l’inflation — une inflation demeurant sous contrôle dans un monde idéal — est la seule issue possible.
Ce qui signifie à moyen terme « l’euthanasie des rentiers » si la créature échappe à ses inventeurs, ce qui est toujours le cas dans les films d’horreur. Qui pourrait nier que nous vivons un film d’horreur économique depuis l’été 2008 ? Certainement pas moi !
Ma stratégie ? Profiter d’un rebond ponctuel des marchés d’actions pour racheter de l’or.
Voilà, cela tient en une phrase, j’espère que tout vous apparaît clair comme cela !
3 commentaires
Très bel article (comme d’habitude). Merci.
« Profiter d’un rebond ponctuel des marchés d’actions pour racheter de l’or. »
Vous achèterez donc de l’or sur repli. Mais quid des actions? Vous les revendez sur le rebond? Elles seront pourtant quand même à garder en cas de forte inflation.
Quel scénario favorisez vous: stagflation ou déflation?
Merci.
je suis admiratif 🙂 sérieusement, je pense que la voie de l’inflation sera empruntée par les politiciens, car c’est la plus confortable, la moins courageuse, bref adaptée à la vigueur morale de ces personnages 🙂
« Le caractère, vertu des temps difficiles. » Charles De Gaulle
Philippe a raison,les banques sont inutilement massacrées ainsi que bon nombre de sociétés cotées jetées indifféremment par dessus bord par les ordinateurs robots.(si l’intelligence artificielle existe,ils ont dû passer au large!).Donc une vague d’achats se prépare chez les « initiés » et les capitaux quitteront un peu les métaux précieux pour revenir sur les actions.Ce sera effectivement le moment d’être un bon contrarien.Rien n’empêche d’ailleurs de profiter des 2 mouvements sauf peu être l’incertitude sur la date.Merci à toute l’équipe pour ses editoriaux précieux et si loin du « politiquement convenu »