** S’il est toujours aussi difficile de trouver quelques milliers de dollars pour une campagne de vaccination pour des pays où une grande partie de la population n’a pas accès à l’eau potable, il est beaucoup plus aisé de trouver, non pas des centaines de milliards — le renflouement d’AIG a déjà prouvé que c’était possible –, mais bien des milliers de milliards de dollars.
Lors de son discours de clôture prononcé jeudi après-midi, Gordon Brown a annoncé fièrement que les pays réunis à Londres pour le G20 vont injecter au total 5 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale d’ici fin 2010.
Une telle masse d’argent semble défier l’entendement ; elle correspond à environ un tiers du PIB américain (réparti sur un peu moins de deux ans) ou à trois PIB français — l’Hexagone n’est décidément plus qu’une petite chose à l’échelle des grands enjeux mondiaux.
Mais il faut savoir de quoi l’on parle — et déterminer à qui le G20 destine la citerne de punch que viennent de livrer les grands argentiers de la planète sous la pression des "vrais gens", révoltés de payer cash les erreurs et l’avidité des brasseurs d’argent.
Quelle partie de cette manne d’argent public — ou garanti en dernier ressort par le contribuable, ce qui revient au même — va retourner effectivement dans la poche de ce public dont l’opinion sur son propre avenir n’avait jamais été aussi sombre depuis la Seconde guerre mondiale ?
** En réalité, le feu continue de couver sous le coeur du réacteur nucléaire des dérivés de crédit. Ce dernier avait explosé au milieu de l’été 2008 après une première rupture de canalisation en Californie fin février 2007, avec la faillite de New Century Financial, puis la grande panne des systèmes de refroidissement de l’été 2007 (avec une interruption des échanges interbancaires).
A ce jour, le stock de produits radioactifs — également baptisés toxic assets — entreposés dans les entrailles des banques américains représente encore 2 000 milliards de dollars et autant de pertes potentielles sur un total de 3 000 milliards de dollars, dont seuls 1 000 milliards de dollars sont déjà connus.
Les banques européennes ne doivent pas être très loin des 1 250 milliards de dollars selon les estimations de Goldman Sachs. Les banques chinoises et hongkongaises détiendraient également un stock de créances douteuses avoisinant les 500 milliards de dollars. Pékin s’en défend mais s’il ne s’agit pas de CDO, d’ABS ou de RMBS américains, les entreprises locales qui font faillite par milliers ne sont plus en mesure de rembourser quoi que ce soit. Et personne n’a les moyens de contraindre les banques chinoises à procéder à une opération vérité.
Autrement dit, suite au Tchernobyl financier de 2007/2008, et alors que le nuage de scories radioactives continue de se promener au-dessus de nos têtes, le G20 vient principalement de nous annoncer le prix de construction du sarcophage.
La première enceinte de confinement, baptisée plan Paulson — ou TARP — et d’un coût de 700 milliards de dollars est déjà fissurée de partout. Le renforcement des cloisons par le biais du TALF, soit 750 milliards de dollars à 800 milliards de dollars de plus, est tout aussi inefficace. Les grands argentiers ont donc décidé d’employer les grands moyens et de construire une méga-bulle en plomb qui a pour vocation d’isoler les matériaux contaminés pour 15-20 ans, la durée moyenne d’un prêt hypothécaire.
C’est spectaculaire, extrêmement coûteux, ce sera probablement inefficace — comme tout renflouement de mauvaises dettes par de la création monétaire. D’autres Tchernobyls nous guettent du côté des cartes de crédit ainsi que, nous l’avons déjà indiqué, du côté de la Chine.
** L’effet citerne de punch fonctionne pourtant, et les marchés s’enivrent bruyamment. Paris s’est envolé de 5,4% ; le seuil des 3 000 points a été testé au point près vers 17h15. Francfort a grimpé de 6,1%, l’Euro Stoxx 50 a flambé de 5,7%. Quant aux indices américains, ils affichaient à mi-séance une hausse moyenne de 4%. Le Dow Jones a gagné au final 2,79% après avoir refranchi le cap des 8 000 points en cours de séance.
Le premier vent d’euphorie a commencé à souffler sur les marchés dès le milieu de l’après-midi, lorsque le principe d’un accroissement spectaculaire des moyens d’intervention du FMI a été dévoilé par certains participants au G20.
La force de frappe financière du FMI pourrait être portée à 1 000 milliards de dollars par diverses mesures telles que des émissions obligataires ou des droits de tirage spéciaux. Dans l’immédiat, sa dotation en capital serait portée à 500 milliards de dollars avec l’appui — une fois n’est pas coutume — des Etats-Unis. Dominique Strauss-Kahn pourrait ainsi devenir le second banquier le plus puissant du monde. Autant d’argent confié à un Français, et un socialiste convaincu par-dessus le marché, c’est une véritable révolution pour la Maison Blanche qui avait pris l’habitude depuis 30 ans d’oublier de verser son écot ou de payer sa cotisation avec retard !
Le doublement ou le triplement des moyens d’intervention du FMI écarte en principe les craintes de défaillances de nombreux pays en voie de développement et qui sont au bord du risque de défaut de paiement sur leur dette. Des pays comme l’Irlande, la Lettonie ou l’Ukraine sont aussi au plus mal, même si le syndrome islandais semble pouvoir être évité.
Nicolas Sarkozy se réjouit d’un sommet qui est allé au-delà de ses espérances. Il est vrai que la demande française de rendre plus transparents les paradis fiscaux a également été entendue puisque le G20 devrait publier une liste des pays fiscalement "non-coopératifs".
** L’autre bonne surprise du jour provenait des Etats-Unis où les commandes à l’industrie ont rebondi de 1,8% en février. Un rebond supérieur à celui anticipé mais qui survient après une forte révision à la baisse des chiffres de janvier (-3,5% contre -1,9%).
Les marchés ont de nouveau fait l’impasse sur les mauvais chiffres concernant l’emploi. La hausse des inscriptions hebdomadaires au chômage s’est élevée à 12 000 aux Etats-Unis à l’issue de la semaine du 14 mars. Le département du Travail recense 669 000 demandeurs d’indemnités.
La Banque centrale européenne a de son côté abaissé de 25 points de base son taux directeur pour le porter à 1,25%. Elle n’exclut pas de faire un geste supplémentaire lors d’une prochaine réunion. Les économistes estiment que la BCE pourrait amorcer une politique d’assouplissement quantitatif — injection de masse monétaire — comme l’ont récemment mis en pratique la Banque Centrale du Japon et la Fed… mais elle le fera discrètement.
Philippe Béchade,
Paris