** Bernard Madoff est en prison. Il n’a laissé à sa femme que 800 malheureux millions de dollars pour acheter quelques légumes et un peu de beurre de cacahuètes… le fisc américain cherche à mettre la main sur 220 millions de dollars de taxes dues par le présumé (il n’a rien avoué) escroc Allen Stanford… Barack Obama réclame un soutien sans faille du Trésor américain aux petites entreprises… les Européens se décident à aider financièrement les banques centrales des pays de l’Est en difficulté… Natixis est sous le coup d’une enquête préliminaire pour information trompeuse lors de son augmentation de capital en 2006… l’équipe de France de rugby s’est pris une raclée ce week-end face aux Anglais… Bref, le monde semblait marcher de nouveau sur ses deux jambes, comme aurait dit Mao au début des années 60 avant de faire courir son pays vers un nouveau désastre.
Vous avez pu croire durant 24 heures que la planète avait cessé de marcher sur la tête — mais c’était compter sans AIG qui révèle le versement 165 millions de dollars de bonus à ses plus hauts dirigeants… lesquels ont fait couler le n°1 mondial de l’assurance (renfloué pour une somme provisoire de 180 milliards de dollars prélevée sur l’argent des contribuables).
L’émotion est vive à la Maison Blanche : le secrétaire au Trésor, Tim Geithner, a tout fait pour empêcher l’attribution de ces primes surréalistes mais n’a pu obtenir qu’une minoration des montants alloués.
Son prédécesseur sous l’administration Clinton, Lawrence Summers, explique que c’est absolument inadmissible. Austan Goolsbee, professeur d’économie mais également une des pointures de l’Ecole (ultralibérale) de Chicago, qui à l’oreille du président, déclare que ça n’a aucun sens ; Nancy Pelosi, chef des démocrates au Congrès US, est du même avis.
Cela fait beaucoup de beau monde dans la boucle mais personne — aussi placé ou influent qu’il puisse paraître — n’a le pouvoir d’infléchir les décisions des dirigeants d’une entreprise privée dont les moindres "maladresses" peuvent empoisonner les plus hautes sphères du pouvoir.
** Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Le plus obscur avocat du droit des affaires vous éclairera en une demi-phrase : "un contrat, c’est un contrat" ! Et un contrat conclu noir sur blanc dans la sphère privée du monde de l’entreprise a bien plus de poids juridique que le concept de contrat social qui régit de façon implicite une société civilisée.
Aux Etats-Unis, il est possible de mettre un terme immédiat et sans motif à un contrat liant un salarié à son entreprise — pour cause de "perte de confiance", de restructuration imaginaire d’un service… ou tout autre motif complètement fumeux. Mais s’il s’agit d’un bonus totalement immérité, alors là non, le contrat ne saurait être rompu pour quelque motif que ce soit, aussi sérieux, voire révoltant soit-il : aucune clause ne prévoit ces cas de figure.
Les ministres des Finances du G20 ont promis ce week-end de réfléchir aux moyens de restaurer la confiance dans le système financier à l’occasion du sommet du 2 avril prochain. Le cas AIG démontre qu’ils vont pouvoir réfléchir encore un peu avant de "sauver le monde".
** Nous ne savons pas si certains investisseurs doutent qu’ils y parviennent (notre a priori n’est pas totalement favorable non plus)… mais les belles dispositions de Wall Street de l’ouverture et jusqu’à la mi-séance (et même l’heure du café à New York) se sont évaporées au cours de la dernière heure hier.
Le Dow Jones, qui gagnait jusqu’à 170 points (+2,4%), a perdu au final 0,10%, à 7 217 points, malgré une hausse de 30% du titre Citigroup. Le S&P est retombé d’un zénith de +2,5% à -0,35% et le Nasdaq a dévissé de 1,92%, à 1 404 points contre 1 445 points vers 18h (heure française).
Les places européennes n’ont pas vu le coup venir — et pour cause : lundi soir, les commentateurs américains se perdaient eux-mêmes en conjectures (prise de profits après 12% de hausse, peur de la dépression économique, augmentation de capital chez Alcoa… la liste n’est pas exhaustive).
En Europe, la hausse des indices boursiers semblait devenue aussi inexorable que la baisse 10 jours auparavant. L’accélération à la hausse en fin de séance démontrait que les vendeurs à découvert (en particulier les day traders) ont été pris à la gorge ; les rachats de dernière minute ont propulsé le CAC 40 au plus haut du jour, à 2 791 points, soit près de 3,2% de hausse.
** Nombreux sont ceux qui s’en tiennent à la dégradation de la conjoncture, que les toutes dernières statistiques viennent de confirmer. Ils ne croient pas à un rebond durable, pas plus aujourd’hui qu’à la mi-octobre ou fin novembre, car rien ne s’est arrangé depuis, ni dans le secteur immobilier, ni dans celui des services, ni dans le secteur manufacturier.
La meilleure preuve du marasme persistant fut l’indice Empire State, qui mesure l’évolution de l’activité manufacturière dans la région de New York. Ce baromètre de la Fed est tombé à un plus bas historique de -38,2 au mois de mars, contre -34,7 en février.
De même, la production industrielle américaine a reculé de 1,4% au mois de février et le chiffre de janvier a été révisé en baisse à -1,9%, contre une première estimation de -1,8%. Le mois de février constitue le quatrième mois consécutif de baisse ; pas moins de dix replis successifs ont été enregistrés au cours des douze derniers mois.
Les investisseurs semblent penser que l’essentiel est ailleurs — dans la levée partielle du risque systémique avec la perspective d’une aide du FMI en faveur des ex-pays de l’Est dont les emprunts, contractés à 90% auprès des banques ouest-européennes, pouvaient devenir les subprime de l’Euroland.
Les ministres des Finances et les banquiers centraux des pays du G20 se sont penchés sur la question de la "défaisance" des actifs toxiques des banques, problème central de la crise financière internationale… mais la balle est dans le camp américain.
** Paris, qui vient d’aligner une cinquième séance de hausse consécutive — ce qui ne s’était plus produit depuis l’épisode haussier du 25 octobre au 4 novembre dernier –, n’en inscrira probablement pas une sixième aujourd’hui : les marchés vont pouvoir souffler.
Les pessimistes ajouteront même qu’ils souffleront la première bougie anniversaire de la faillite de Bear Stearns, histoire de rappeler que des fortunes ont été englouties dans le trou noir des subprime… et que cet argent volatilisé n’est pas près de réapparaître comme par miracle à l’autre bout de la galaxie financière.
Si nous restons dans l’univers métaphorique des phénomènes cosmiques, il est peut-être plus pertinent d’évoquer la chute d’une météorite géante, du type de celle qui a provoqué l’extinction des dinosaures… de la finance. L’analogie avec la disparition soudaine et totale des banques d’affaires américaines en moins de six mois ne vous aura pas échappé.
Reste à savoir si nous sommes en train de vivre l’instauration d’un long hiver météorique qui anéantira encore de nombreuses espèces d’entreprise financières ou industrielles : Ben Bernanke prétend que non. Il estimait sur CBS ce week-end que l’économie américaine devrait montrer des signes de reprise en 2010 tandis que le chômage ralentirait… Une prévision à laquelle nous accordons autant de crédit — c’est de circonstance — qu’à son pronostic d’impact marginal de l’éclatement de la bulle des subprime.
Philippe Béchade,
Paris