** Les Etats-Unis demeurent en situation technique de récession — et pas seulement parce que Warren Buffett le répète à l’envi pratiquement chaque semaine. Leur voisin du sud, le Mexique, que j’ai quitté lundi soir par une température de 100°F (pardon… 37,5°C), est au contraire au bord de la surchauffe dans la région du Yucatan.
Il suffit de s’arrêter quelques minutes pour faire le plein d’essence dans une station service installée sur le bord de la voie rapide qui relie Cancun à Chetumal — un axe routier vital et parfaitement rectiligne d’environ 300 kilomètres — pour s’en convaincre.
Vous assisterez à un défilé permanent de "trains routiers". Ces camions tractant deux énormes remorques de 30 tonnes chacune sont remplis de poutres ou de dalles en béton précontraints, de centaines de mètres cubes de parpaings ou de sacs de ciment — bref, de tout le matériel nécessaires à la construction de complexes hôteliers et de résidences de loisirs comptant de 500 à 5 000 unités avec des chambres et des appartements, un golf de 18 à 36 trous, un tennis et centre commercial intégré.
L’hiver, la clientèle qui investit la Riviera maya est majoritairement canadienne. Au printemps, de fin février à fin avril, elle devient presque exclusivement américaine dans la ville de Cancun, à l’occasion du fameux spring break pendant lequel la jeunesse estudiantine américaine se livre à tous les débordements alcoolisés et sexuels que l’Amérique de la Bible Belt et de la droite conservatrice bien pensante réprouvent.
La fête est d’autant plus folle que les plusieurs dizaines de milliers de participants — à cette échelle, il ne s’agit pas d’un phénomène anecdotique — proviennent des états les plus répressifs en matière de moeurs aux Etats-Unis. Pendant une douzaine de jours, l’ambiance dans les principaux hôtels de Cancun vire à la débauche et devient un mélange détonnant de carnaval de Rio, du Manoir Playboy et de troisième mi-temps de match de hockey sur glace.
** La police locale ferme (presque) les yeux — mais pas toujours le carnet à souche — sur ces débordements, tandis que les dollars coulent à flots, tout comme la bière et la tequila. Les billets verts viennent ainsi inonder l’économie de la Riviera maya dont le tourisme est plus que jamais la principale ressource, voire l’unique s’agissant de la province du Quintana Roo.
La côte caraïbe de la péninsule du Yucatan est une des terres les plus pauvres du monde. Il s’agit d’un vaste plateau calcaire archi-stérile correspondant à la partie émergée d’un récif corallien — le second en superficie après la Grande barrière australienne — qui se meurt aujourd’hui à petit feu du fait du réchauffement planétaire.
Il n’y pleut guère plus qu’une trentaine de jours par an. L’eau disparaît immédiatement dans le sol comme s’il s’agissait d’une énorme pierre ponce… de la taille de la Floride, c’est-à-dire l’équivalent du Bénelux et du Danemark réunis, mais en encore plus plat.
Le maïs, l’emblème du Yucatan, y poussait naturellement il y a un siècle ou deux avec l’aide d’une irrigation intensive tirée de poches d’eau douce à ciel ouvert appelées cenotes (comme du temps de la splendeur olmèque puis maya). Mais en ce début de 21ème siècle, seuls les pylônes de relais de téléphonie mobile qui se dressent tous les 10 kilomètres semblent en mesure de prospérer à la verticale.
Depuis une décennie, le Yucatan est devenu une région écrasée de soleil. Elle est marquée par une spectaculaire élévation des températures moyennes, été comme hiver, et par une pluviométrie en chute libre — alors que cette dernière est devenue diluvienne 500 km plus au nord, avec des inondations catastrophiques dans les régions montagneuses au sud de Mexico.
Là, nous allons refermer définitivement la parenthèse souvenirs de vacances pour nous intéresser à ce phénomène thermique qui risque d’influencer de manière décisive les cours du pétrole dans les jours prochains et jusqu’au milieu du mois d’octobre : par rapport à 2007, les eaux du golfe du Mexique sont plus chaudes d’un degré, un degré et demi entre la Jamaïque, Cuba et les côtes américaines par rapport à 2007.
** En d’autres termes, les ouragans devraient trouver cet automne une réserve d’énergie considérable pour gagner en puissance au fil des semaines. Fay, une simple tempête tropicale, s’est attardée mi-août sur la Floride sans causer de dévastations ni submerger l’archipel des Keys ou de la côte de la Floride… mais le cyclone Gustav — dont l’oeil traverse actuellement Haïti — pourrait se révéler beaucoup plus menaçant. Il le serait d’autant plus s’il rechargeait ses batteries en suivant une trajectoire océanique de type nord/nord-ouest plutôt que plein nord car le survol de Cuba l’affaiblirait.
Les ordinateurs ont calculé que sa trajectoire avait de fortes probabilités de s’infléchir vers le Mississipi ou le Texas. C’est là que sont implantées 80% des installations pétrolières du golfe du Mexique et l’essentiel des raffineries américaines.
Le Nymex a modérément réagi aux derniers bulletins météo — le WTI a pris 1% à 116,3 $ — car une statistique assez inattendue a stoppé la remontée du baril à la mi-journée hier. En effet, la demande en produits raffinés a diminué de 5,6% aux Etats-Unis au mois de juin, soit de pratiquement 1,2 million de barils par jour d’après les données fournies par l’Administration américaine de l’information sur l’énergie (AIE). Ce chiffre confirme les milliards de kilomètres en moins parcourus chaque mois depuis le début du deuxième trimestre 2008.
L’autre facteur haussier sur le pétrole demeure la tension entre la Russie et les pays occidentaux au sujet de la partition de provinces russophones de Géorgie : l’Ossétie et l’Abkhazie sont désormais reconnues comme des entités indépendantes par Moscou. Cette reconnaissance rétrécit considérablement la largeur du corridor géorgien par lequel transite l’oléoduc qui relie la mer Caspienne à la Méditerranée (Turquie).
Le blocus des ports géorgiens de la mer Noire par la marine russe pourrait rapidement provoquer l’asphyxie économique de la capitale, Tbilissi. Il pourrait aussi déboucher sur l’annexion de cette ancienne république du bloc soviétique, coupable d’avoir trop ouvertement manifesté ses velléités d’ouverture vers l’ouest ces derniers mois. Nous vous en avions rappelé les enjeux lors d’une Chronique publiée en juillet dernier.
Cela n’a pas véritablement perturbé les places européennes (+0,5% en moyenne) ni Wall Street (stable mardi soir) : les experts en pétro-stratégie ne croient pas à une escalade diplomatique et militaire de type guerre froide dans la région — peut-être à tort. La faiblesse persistante de l’once d’or, qui plafonne sous les 825 $, traduit le peu d’inquiétude véritable des marchés.
** Les investisseurs ont choisi de privilégier la vigueur du dollar, à 109,6 yens et 1,463/euro. Elle résulte de la hausse du baromètre de confiance du Conference Board qui grimpe à 56,9 ce mois-ci, contre 51,9 en juillet. Si la sous-composante relative à la situation actuelle a reculé de 2,6 points à 63,2, contre 65,8 en juillet, l’indice des anticipations a en revanche repris plus de 10 points à 52,8 en août (contre 42,7 en juillet).
En Allemagne, l’institut économique IFO a publié mardi matin un indice du climat des affaires en net recul au mois d’août, à 94,8, contre 97,5. La France aurait enregistré au premier semestre une spectaculaire chute de 30% des transactions immobilières par rapport à la mi-2007, avec un repli général des prix négociés dans l’ensemble de l’Hexagone — sauf en Champagne-Ardenne, une région désormais irriguée économiquement par le TGV Paris-Strasbourg-Bâle et qui restait à la traîne depuis la précédente crise des années 90.
L’immobilier demeure également un point noir aux Etats-Unis — mais vous avez déjà pu lire de nombreux commentaires à ce sujet — dans le sillage de l’effondrement de Freddie Mac et de Fannie Mae la semaine dernière. Les deux titres sont tombés à leurs plus-bas depuis 20 ans.
Nous reviendrons jeudi sur la question, à la lumière de témoignages de touristes américains rencontrés ces 15 derniers jours au pied des pyramides mayas — nous en avons visité cinq… ce qui nous en laisse encore 32 995 à explorer au cours de prochains voyages à destination de l’Amérique centrale !
Philippe Béchade,
Paris