▪ Imaginez un instant : les dirigeants chinois décident de se débarrasser de 10% des bons du Trésor américains qu’ils possèdent — d’une valeur d’environ 100 milliards de dollars — contre l’or détenu à West Point. Même avec un or à 1 000 $ l’once, cela représente 2 840 tonnes d’or — plus d’un tiers de l’or que possède officiellement l’Etat américain.
Dans son ouvrage Currency Wars ["Guerres des devises", ndlr.], James Rickards imagine comment se déroulerait la scène : "les navires chinois arrivent dans le port de New York. Un convoi de l’armée américaine lourdement armé se déplace le long de l’autoroute Palisades Interstate Parkway depuis West Point pour venir à la rencontre des navires et charger l’or qui sera expédié dans des coffres-forts nouvellement construits à Shanghai".
Il est un fait intéressant à noter : en 2008, la Chine a effectivement dégagé pour 100 milliards de dollars de bons du Trésor. Jusqu’en 1971, les Etats-Unis auraient été obligés de livrer l’or.
"Alors que cet exemple peut sembler extrême", écrit Rickards, "il montre pourtant exactement comment fonctionnait le système monétaire mondial jusqu’à il y a 40 ans… En fait, l’Amérique enregistre un déficit commercial important, assez important pour que, sous les anciennes règles du jeu, toutes ses réserves d’or disparaissent".
▪ Jeux de guerre… financière
Jim Rickards n’est pas un gestionnaire de hedge fund ordinaire. Beaucoup de gens s’enorgueillissent d’une carrière de 35 ans à Wall Street. Seul Rickards est également avocat ; il a été le principal négociateur lors du sauvetage en 1998 de Long-Term Capital Management — dans lequel 14 des plus grandes banques au monde ont dû verser 3,6 milliards de dollars pour empêcher un effondrement financier global. En outre, seul Rickards est consultant auprès du Pentagone ; il a aidé les grands planificateurs militaires lors de leur tout premier "jeu de stratégie militaire financière".
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Currency Wars s’ouvre sur deux chapitres relatant ce jeu de stratégie militaire qui s’est tenu au Warfare Analysis Laboratory à Laurel, dans le Maryland — un centre de stratégie dont le site internet vante "les 14 équipements plasma pour des exercices de défense" et "une modélisation et visualisation de scénarios en 3D".
Ce jeu de stratégie militaire financière a pris une intensité particulière du fait qu’il a eu lieu au beau milieu de la panique boursière fin 2008-début 2009. Sans rentrer dans les détails, je dirais juste que l’Equipe Russie a annoncé qu’elle accepterait uniquement de l’or en échange de son pétrole et de son gaz — pas de dollars. Puis l’Equipe Chine a elle aussi tenté de son côté de "resserrer le noeud autour du cou du dollar américain".
Lors du second et dernier jour du jeu de stratégie, la Russie de Vladimir Poutine a déclaré à propos du dollar, "l’unique monnaie de réserve est devenue un danger pour l’économie mondiale : c’est à présent évident pour tout le monde".
Selon Rickards, la véritable guerre monétaire présagée par Poutine a commencé début 2010. Il l’a nommée la Guerre monétaire III.
▪ Trois foyers de conflit
"Les guerres monétaires" écrit Rickards, "sont livrées au niveau mondial dans tous les principaux centres financiers en même temps, 24 heures sur 24, par des banquiers, des traders, des hommes politiques et des systèmes automatisés — et le destin des économies et des citoyens qui en dépendent est en jeu".
Le 27 janvier 2010, le président Obama a tiré la première salve de la Guerre monétaire III dans son discours sur l’état de l’Union. Il a annoncé le National Export Initiative et son objectif : doubler les exportations américaines en cinq ans.
"Le moyen le plus courant et le plus rapide d’augmenter les exportations a toujours été de rendre meilleur marché la monnaie", explique Rickards dans Currency Wars. Tout le monde le sait.
Plus tard en 2010, la Réserve Fédérale a lancé une deuxième vague d’assouplissement quantitatif — c’est-à-dire encore plus d’impression de monnaie. "En utilisant l’assouplissement quantitatif pour générer de l’inflation hors de ses frontières, les Etats-Unis augmentaient la structure de coût de presque tous les grands pays exportateurs et des économies émergentes à croissance rapide en même temps".
C’est ainsi que commença un autre nivellement par le bas, une nouvelle vague de dévaluations concurrentielles. "Nous sommes au beau milieu d’une guerre monétaire internationale", a déclaré le ministre des finances brésilien Guido Mantega en septembre 2010, "un affaiblissement général de la monnaie".
Personne ne sera épargné par la Guerre monétaire III mais Rickards affirme qu’elle aura lieu dans trois théâtres principaux. Dans deux théâtres, les combattants ont des objectifs communs. Le troisième est la source la plus probable de conflit ouvert.
▪ Alliés et ennemis
Le théâtre Atlantique est entre les Etats-Unis et la Zone euro. "L’euro et le dollar", explique Rickards, "sont comme deux passagers sur le même navire… se déplaçant à la même allure, se dirigeant vers la même destination".
L’euro a atteint son plus haut à 1,59 $ en juillet 2008 et son plus bas à 1,10 $ en juin 2010. Au moment où j’écris ces lignes, il se situe à 1,29 $ — grosso modo là où il était début 2007, et à nouveau début 2011.
Cette relative stabilité n’est pas due au hasard : Washington veut soutenir l’euro au point que la Fed a concocté un renflouement secret des banques européennes en 2008 — 308 milliards de dollars de prêts qui ne sont devenus publics qu’en 2011.
Entre temps, le théâtre eurasien de la guerre se situe entre l’Europe et la Chine. "L’intérêt vital de la Chine est un euro fort", écrit Rickards — en particulier parce que l’Union européenne est le plus grand partenaire commercial de la Chine, plus grand même que les Etats-Unis.
En résumé : "l’Europe, la Chine et les Etats-Unis sont unis dans leurs efforts pour éviter un effondrement de l’euro malgré des raisons différentes et des postures contradictoires dans d’autres domaines".
Ce qui nous amène au théâtre Pacifique — le grand show.
Le déficit commercial américain avec la Chine était de moins de 50 milliards de dollars en 1997. En 2006, il s’élevait à 234 milliards de dollars. Les hommes politiques parlent sans cesse des emplois américains "perdus à jamais pour la Chine" et des leaders chinois qui "manipulent" leur monnaie.
Peu importe si la preuve qui relie la valeur de la monnaie à l’emploi est, dirons-nous, au mieux très mince. Même si la valeur du yuan doublait, Rickards souligne qu’un fabricant de meubles chinois gagnerait 236 $ par mois — un fabricant de meubles en Caroline du Nord ne serait pas concurrentiel.
Si nous avions encore un étalon or — ou même le système de Bretton Woods qui était en place entre 1944 et 1971, de tels écarts commerciaux seraient impossibles. Les flux d’or entre nations créditrices et nations débitrices maintiendraient, naturellement, un équilibre.