▪ « Les marchés, c’est une affaire de psychologie », nous rabâchent les hypocrites qui connaissent sur le bout des doigts toutes les ficelles de la manipulation algorithmique des actifs boursiers et des indicateurs de volatilité.
Il serait complètement hors sujet d’incriminer des stratégies vicieuses basées sur la prise à contrepied systématique des consensus découlant de l’actualité conjoncturelle, et encore plus absurde de s’en prendre au trading haute fréquence.
Alors on se demande bien pourquoi les autorités boursières allemandes s’attaquent sottement aux HFTP (high frequency trading programs) ; ou encore pourquoi la SEC (le gendarme de la Bourse américaine) se met à exiger des opérateurs utilisant des super-robots la preuve qu’ils sont capables de reprendre la main et de contrôler les emballements de leurs machines infernales. C’est vrai qu’après plusieurs flash krachs retentissants survenus en début de semaine sur certaines valeurs moyennes du Russell 2000, on se permet d’avoir quelques doutes…
▪ Le trading haute fréquence n’est que le reflet de la psychologie
Mais bon sang, quelle mouche a soudain piqué les régulateurs de tous acabits ? En quoi le trading haute fréquence est-il responsable de la soudaine désaffection imbécile — ou de l’emballement sans aucune justification — des investisseurs sur certains titres ?
Il ne s’agit que de la manifestation (parfois un peu brutale) de changements psychologiques… Heureusement que les HFTP sont là pour offrir de la liquidité au marché, sinon où irions-nous ?
Comment cela… les ordinateurs manipuleraient les carnets d’ordre en faisant apparaître de fausses lignes d’achat ou de vente pour simuler des supports ou des résistances imaginaires ?
Mais d’où tenez-vous que 99% des ordres rentrés dans les machines ne correspondent en fait à aucune quantité de titres négociables, à l’achat comme à la vente — et s’annulent en quelques milliseconde dès qu’un véritable opérateur introduit un stop dans le système ?
Vous n’avez tout simplement rien compris au rôle d’animateur ou de teneur de marché : il faut bien qu’ils ajustent leurs positions en fonction du décalage des cours !
Comment cela… les cours décalent dans le vide, dans le sens qui convient à quelques tricheurs qui simulent des transactions totalement fictives, par le jeu de « achetés/vendus » ?
Pas du tout ! C’est pour le bien des petits porteurs, afin qu’ils se sentent moins seuls et ne se mettent pas à rentrer des limites qui auraient peu de chances d’être atteintes. Comme cela au moins, ils disposent de bons repères et sont mieux à même de protéger leurs portefeuilles avec des stops plus serrés qui correspondent à des seuils plus pertinents.
Dans la réalité, 99% des ordres placés avant les stops n’existent pas et les robots se font un bonheur de les déclencher artificiellement afin de ramasser le papier beaucoup plus bas ou de propulser les cours beaucoup plus haut que ne le justifie l’actualité sous-jacente.
Nous pourrions nous livrer à un jeu de massacre en démontant un à un tous les rouages des stratégies de manipulation des cours que les HFTP exploitent à grande échelle — et ce sur le dos des petits porteurs ou des gérants d’OPCVM qui passent de vrais ordres. Mais il nous apparaît beaucoup plus amusant de prendre au mot tous ces illusionnistes concernant la psychologie du marché en confrontant ce concept à l’actualité économique de ce jeudi.
Quel genre de psychologie animait donc les marchés jeudi soir ?
▪ L’Espagne sombre, Wall Street applaudit
Ce que tout le monde a pu observer nous semble édifiant, mais nous allons encore grossir le trait en reprenant les gros titres des sites d’information économique anglo-saxons.
C’est parfaitement édifiant : « Wall Street applaudit les mesures d’austérité annoncées par l’Espagne », « Wall Street est rassuré par la modération des hausses d’impôt et se réjouit de l’arbitrage en faveur de la réduction des dépenses et des programmes sociaux (40 milliards d’euros d’économie en 2013) ».
Traduit en langage politiquement incorrect — c’est-à-dire celui qui appelle un chat un chat –Wall Street exulte à la lecture d’un train de mesures synonymes de désintégration du système de protection sociale et des retraites mis en place depuis l’entrée de ce pays dans l’Union européenne en 1985.
Les marchés auraient par ailleurs eu de quoi être effrayés par la perspective de voir l’Espagne contrainte de rechercher 150 milliards d’euros d’économie supplémentaires d’ici fin 2014. Cela représente un effort annuel représentant 5% de son PIB — ce qui apparaît colossal, surtout sur fond de récession. Rappelons également que son déficit 2012 pourrait avoisiner 10% au lieu de 8,9% cet été et loin des 6% espérés.
Wall Street ne se montrait pas davantage impressionné par les manifestations de colère des Espagnols des dernières 48 heures. Pourquoi ces gens perdent-ils leur temps à protester alors qu’ils pourraient tranquillement jouir de la hausse de leurs portefeuilles de valeurs mobilières ?
Plus leur économie dégringole, plus les bons du Trésor et les actions américaines s’envolent.
C’est un bête phénomène de vases communicants, ce n’est tout de même pas sorcier à comprendre : tout est affaire de psychologie on vous dit !
▪ La place américaine affiche la hausse malgré des chiffres consternants
Les indices américains affichaient jeudi soir des performances bluffantes : 1,4% pour le Nasdaq, 0,95% pour le S&P, 0,55% pour le Dow Jones qui renouait avec les 13 500. En revanche, les chiffres publiés aux Etats-Unis ce jeudi étaient carrément consternants !
Même avant d’applaudir l’éradication de 25 ans de progrès social en Espagne, les indices américains reprenaient déjà 0,3%, « saluant » des chiffres d’activité économiques américains bien pires que prévus.
Les commandes de biens durables ont en effet plongé de 13,2% aux Etats-Unis en août, soit trois fois plus lourdement que ce que le marché attendait — plus forte baisse depuis janvier 2009.
Hors transports, le recul est plus modeste (1,6%) mais là encore, une stabilité, voire une légère progression était attendue.
Autre déception, la croissance de l’économie américaine a été révisée en forte baisse, de 1,7% à seulement 1,3% (25% de moins qu’en seconde estimation) en rythme annualisé au deuxième trimestre.
Il faut comparer ce score à une progression de 2% sur les trois premiers mois de l’année. Les économistes s’attendaient à une confirmation de l’estimation précédente et tablent sur un rythme annuel d’au moins 2% d’ici fin 2012. D’où va donc surgir cette hausse ?
Toutes ces statistiques sont si mauvaises qu’elles ne peuvent même pas donner lieu à des interprétations telles que « c’était moins pire qu’attendu »… ou « la Fed va opter pour un QE3 illimité » puisque c’est déjà chose faite. A quel type de psychologie avons-nous affaire ?
De telles performances de la part de Wall Street peuvent apparaître surnaturelles. Mais si nous restons fidèles à notre ligne — qui consiste à ne pas se moquer de notre lectorat en lui proposant des explications auxquelles personne de sensé ne peut croire une seconde — alors il faut admettre que tout s’est déroulé comme si le scénario de la séance était écrit d’avance. C’est comme si les indices américains n’avaient eu d’autre choix que de grimper, peu importe les chiffres !
Ne perdons pas de vue que cette séance de jeudi était l’avant-dernière du troisième trimestre et que les habillages de bilan l’ont emporté sur toute autre considération : ça c’est de la psychologie !