Par Sylvain Mathon
La confrontation commence : les banques sont dans le collimateur
Prenez cette déclaration remarquée du patron de la CFTC, Gary Gensler le 7 juillet dernier : "la commission veut réfléchir à imposer des limites de position d’une façon cohérente, pour tous les marchés et à tous les participants, y compris les fonds indexés et les ETF."
Sont visées par ces plafonds, entre autres, les grandes banques américaines : pas question de les renflouer à coups de milliards pour les voir ensuite tout miser au casinuméro pétrolier… et rechigner à prêter aux particuliers et aux entreprises !
A titre d’exemple, 40% des revenus de Goldman Sachs en 2008 provenaient du trading. Cette banque, de même que JP Morgan, le repreneur de Bear Sterns, envisage à présent de se diversifier dans le trading de pétrole "physique".
Et comme par hasard, 10 jours plus tard…
Barclays se dépêchait de publier une étude détaillée expliquant, chiffres à l’appui, que contrairement à certaines idées reçues, ce sont les facteurs fondamentaux qui font varier les cours des matières premières — et pas du tout la spéculation…
"Nous allons mettre au pas les marchés du pétrole…"
Le 6 août, un autre régulateur, la Federal Trade Commission, finalisait un règlement qui permet de sanctionner les manipulations sur le marché pétrolier par des amendes allant jusqu’à un million de dollars par jour… "Nous allons mettre au pas les marchés du pétrole", a déclaré le président de la FTC, Jon Leibowitz. "Et si nous repérons des sociétés qui manipulent le marché, nous ne les lâcherons pas."
Les producteurs de gaz montent au créneau
Enfin, la semaine dernière, ce sont les ténors du gaz naturel que l’on a vus monter au créneau. Devon Energy et Chesapeake affirment que les contrats OTC non garantis sont la clé de voûte de leur hedging : c’est-à-dire qu’ils leur permettent de se couvrir contre les variations des cours. Un passage par une chambre de compensation impliquerait pour eux des appels de marge ruineux, sans compter que la standardisation des deals les empêcherait de mettre en oeuvre leurs opérations de couverture les plus pointues…
La spéculation peut donc se révéler fort utile
Tout d’abord, la spéculation constitue un bouc émissaire facile. La vérité, c’est que l’industrie mondiale, hautement financiarisée, a besoin d’un marché global de matières premières dynamique ; et que la spéculation y joue un rôle clé, parce qu’elle assure la liquidité vis-à-vis des hedgers.
Je vous explique… concrètement
Disons, par exemple, que vous êtes un acteur physique du marché pétrolier : fabricant de plastique, vous consommez du pétrole. Comme vous n’avez pas les moyens d’entretenir de larges stocks, vous l’achetez au fur et à mesure, ce qui expose votre activité aux variations des cours : il vous faut une assurance contre une éventuelle flambée du baril, sinon vous pourriez mettre la clé sous la porte. Vous êtes dans une situation de hedging, ou stratégie de couverture.
Seulement, si le secteur anticipe que les cours vont grimper, vous aurez du mal à trouver un assureur compatissant… A moins qu’un spéculateur, prêt à prendre le pari que les cours vont dévisser — c’est un risque, mais les gains seraient pour lui à l’avenant — ne soit là que pour vous vendre exactement le produit qu’il vous faut.
Et puis la spéculation joue dans les DEUX sens !
Il ne faut pas oublier non plus — on l’accuse souvent de pousser les prix vers les sommets — qu’elle s’exerce aussi à la baisse ! Les accélérations enregistrées récemment sur les cours pétroliers (35 $ le baril en février) sont là pour en témoigner.
Elle est donc un facteur d’équilibre du système, à condition toutefois que trop d’acteurs ne passent pas, en même temps, dans le camp des spéculateurs. C’est une dérive de cette sorte que certains analystes ont pointée du doigt dans la formation, puis l’éclatement de la bulle des matières premières, l’année dernière.
Or de ce point de vue, — n’en déplaise à Barclays — il semble bien que la spéculation ait contribué en bonne partie à la flambée des cours pétroliers entre 2006 et 2008.
Elle est donc loin de n’avoir que des bons côtés, et je vous dirai demain pourquoi.
Meilleures salutations,
Sylvain Mathon
Pour la Chronique Agora