Les leçons à tirer du déclin spectaculaire de l’empire d’Espagne…
« Le gouvernement espagnol, à court de revenus pour financer ses coûteux projets impériaux, augmente la pression fiscale et manipule la monnaie, ce qui déclenche l’inflation et aggrave les dommages causés à l’économie espagnole. » – Christopher Storrs, évêque anglican du milieu du XXe siècle.
L’inflation et la guerre. La guerre et l’inflation. Le mal et la stupidité. Les bouffons et les scélérats.
Eux aussi suivent des schémas.
On a envoyé une merveilleuse armada pour s’occuper des Anglais. Une armada impressionnante, avec ses énormes navires en chêne qui fendaient les eaux, mesurant jusqu’à 45 mètres de long et 15 mètres de large, avec pas moins de 60 canons sortant de ses portails. Drapeaux au vent. Trois long mâts et de grandes voiles gonflées. C’étaient les magnifiques porte-avions de l’époque, dont la construction a nécessité deux ans et 2 000 arbres robustes.
Ils portaient le nom de Saints, ils transportaient un prêtre à bord pour les offices quotidiens… et étaient ornés d’un lion en or coiffé d’une couronne (pour les vaisseaux de la royauté). On savait qui dirigeait les océans !
Une messe sacrée y était organisée ; le Pape lui-même avait béni la flotte. Il s’agissait très certainement d’une armada invincible !
Et puis, sans crier gare… elle a coulé.
L’Espagne, qui faisait partie de l’empire des Habsbourg, était le premier empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais. Il avait les Philippines à l’Est, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud à l’Ouest, et en Europe, il était l’hégémon, la nation indispensable de son temps.
Lorsque des terroristes anglais ont commencé à attaquer les navires espagnols, Philippe II a décidé de prendre des mesures fermes et résolues. Son empire était le plus important de l’époque, avec le plus gros budget militaire du monde et l’équivalent d’une monnaie de réserve au XVIe siècle. En d’autres termes, l’Espagne recevait des cargaisons d’or et d’argent du Nouveau Monde, stimulant ainsi l’économie du Vieux Monde avec de l’argent nouvellement frappé.
Cela ne vous rappelle rien ? Nos lecteurs avertis identifieront deux thématiques importantes dans cette histoire.
L’argent
Tout d’abord, l’inflation. Ou, plus généralement, la maladie hollandaise, communément comprise comme le paradoxe qui se produit lorsque la chance – trouver des milliards d’or et d’argent qui pourraient être facilement volés – transforme votre économie en un trou à rats.
Nous considérons généralement l’or comme une protection contre l’inflation. Dans le cas présent, il en a été la cause. En règle générale, l’or protège contre l’inflation parce qu’il est très difficile à obtenir. Il faut le trouver et l’extraire… il est donc très difficile de l’ajouter à la masse monétaire. Et comme le prix de l’or est fixé sur le marché libre, comme tout le reste, la quantité d’or disponible en tant que monnaie tend à augmenter en même temps que tout le reste, à un rythme plus ou moins égal à celui de la croissance du PIB. Si l’offre est insuffisante, le prix de l’or augmente et les mineurs sont incités à travailler davantage. En revanche, s’il y a « trop » d’or, le prix de l’or a tendance à baisser… et les mineurs ne sont plus rentables.
Le fait que les Espagnols aient trouvé tant d’or et d’argent dans les mains des Aztèques et des Incas, et qu’ils aient pu s’en emparer et les renvoyer en Espagne est le fruit d’un hasard et d’un coup de chance. Par exemple, l’aventurier Pizarro avait capturé le chef inca Atahualpa. Pour le libérer, le conquistador exigeait d’Atahualpa qu’il remplisse l’une de ses chambres d’or. L’Inca remplit consciencieusement la pièce… mais Pizarro l’exécuta malgré tout.
Cette augmentation de la masse monétaire espagnole a eu un effet immédiat – elle a enrichi l’Espagne – et un effet secondaire, elle a provoqué une inflation qui a appauvri l’Espagne.
L’Espagne était encore riche en juillet 1588, lorsque la grande flotte s’est rassemblée pour naviguer vers le nord, en direction de la Manche. Composée de 137 navires, dont les grands galions et les caravelles de classe Atlantique, elle était destinée à escorter des barges remplies de soldats, de chevaux, de vivres et d’armes en provenance des Flandres, et à traverser la Manche en vue d’une invasion de l’Angleterre.
Il s’agit plus ou moins de la même force navale qui a remporté la bataille de Lépante en 1571, une bataille cruciale de l’Europe chrétienne contre les infidèles du monde musulman. La bataille s’est déroulée à l’ancienne, à l’épée, au couteau, au mousquet et au pistolet. C’est cette bataille que l’armada de Philippe II était prête à livrer à nouveau.
Ce qui nous amène à notre second thème : les rebondissements surprenants et souvent malvenus de la guerre.
Les armes
L’Invincible Armada a été surprise par le fait que les Anglais ne se battaient pas comme les Ottomans. Ou encore les Romains ou les Grecs avant eux. La bataille de Gravelines n’était pas une simple bataille d’infanterie, basée sur des plateformes flottantes déplacées par des galériens.
A l’insu du reste du monde, les Anglais ont réalisé des progrès techniques. Leurs navires étaient petits, plus rapides, mais moins puissants. Ils avaient déjà fait leurs preuves entre les mains de corsaires anglais – des terroristes ! – comme Sir Francis Drake. Ils attaquaient l’ennemi au vent. Leurs proies s’étaient alors inclinées, le ventre (sous la ligne de flottaison) et le gouvernail exposés.
Plutôt que de s’accoster, de lancer des grappins et d’essayer d’aborder le navire, les Anglais ont simplement essayé de le couler (ou, mieux encore, d’abattre ses mâts et de détruire son gouvernail pour le rendre impuissant). Ils y sont parvenus. Tout d’abord, ils ont brisé la formation espagnole au large de Calais en envoyant des brûlots parmi les navires amarrés. Les Espagnols ont paniqué, coupant les ancres et dispersant la flotte.
Le jour suivant, à la bataille de Gravelines, les deux flottes se sont affrontées. Les Espagnols ont exécuté la manoeuvre qu’ils avaient utilisée avec succès à Lépante. Ils ont tiré une fois au canon et se sont préparés à aborder les navires ennemis. Ils ne pouvaient tirer qu’une seule fois, car leurs canons n’étaient pas conçus pour être rechargés – pas dans le feu de l’action. Les Anglais, quant à eux, ont gardé leurs distances et ont continué à tirer. Lorsqu’ils n’avaient plus de munitions, ils avaient endommagé et/ou coulé tellement de navires de l’armada que la bataille était gagnée.
FIN
Après tout, l’Armada était invincible. Le vent soufflait alors du sud et offrait aux Espagnols une échappatoire vers le nord. Les navires survivants, souvent en mauvais état, ont tenté de contourner l’Ecosse et l’Irlande afin de rejoindre la péninsule ibérique sans rencontrer les navires de guerre anglais. Hélas, beaucoup se sont échoués en Irlande, où leurs navires ont été dépouillés et les marins tués sans pitié. D’autres sont morts de froid, de faim et de maladies. (Ils n’étaient pas préparés pour un long voyage au milieu de l’océan.) Peu d’entre eux sont parvenus à regagner l’Espagne.
Et si la guerre a fait des dégâts, l’argent frais en a fait encore plus. Il a déclenché un schéma désormais familier d’actions et de réactions. Les conquistadores se sont emparés d’énormes quantités d’or et d’argent.
Cette augmentation de la masse monétaire de base a entraîné une hausse des prix en Espagne et au Portugal de 500% au cours des 150 années suivantes. L’augmentation des prix, conjuguée à la hausse des taux d’intérêt, a contraint l’empereur espagnol à emprunter de plus en plus d’argent pour maintenir son coûteux empire en activité. Elle a également fourni un substitut à la production réelle dans la péninsule ibérique. Les Espagnols et les Portugais avaient de l’argent, ils pouvaient acheter des choses, ils n’avaient pas besoin de les fabriquer. « Laissez-les suer, auraient-ils pu se dire. Nous, nous conquérons. »
Mais en négligeant leur propre commerce et leurs produits manufacturés, les Espagnols et les Portugais se sont exposés à de lourdes pertes. Lorsque l’Invincible Armada a pris la mer, l’afflux d’argent frais en provenance des colonies était déjà en déclin.
Après la bataille de Gravelines, la puissance espagnole a également sombré et ne s’est jamais rétablie. Ensuite, les Espagnols n’ont pu ni conquérir ni suer. La guerre et l’inflation les ont condamnés à quatre siècles de marginalité.
2 commentaires
Un amical salut à Bill Bonner que je connais depuis une quarantaine d’années.
Je lui recommande la lecture de The Year Of The Locust que ma femme Sophie vient de traduire pour Lattès
Sic transit gloria mundi