** Journal de bord du capitaine : an de grâce 2009, septième jour…
* Nous avons atterri sur une planète aquatique étrange et merveilleuse — la troisième planète en orbite autour du soleil, une étoile mineure de la galaxie de la Voie lactée. Enfin, ils disent que c’est une planète aquatique ; là où nous nous trouvons, c’est glacé. Mais les autochtones affirment que le climat se réchauffe et que la glace fond. Nous avons des soupçons — ce n’est peut-être que de la pub pour attirer les touristes.
* Ce qu’il y a d’étrange, avec cette planète, c’est que ses habitants semblent tous jouer à faire semblant ; ils se mettent d’accord pour croire à des choses que tous savent être fausses. Et ce qu’elle a de merveilleux, c’est qu’il semble très facile de gagner de l’argent, ici ; on trouve un idiot à tous les coins de rue, attendant de pouvoir se débarrasser de sa richesse.
* Récemment, les humains — la race qui peuple cette endroit — croyaient que leurs habitations et leurs demeures prendraient de plus en plus de valeur… alors qu’il était évident que leurs maisons se détérioraient un peu plus chaque jour, à cause des rayons du soleil, de l’érosion du vent, des taches de vin sur la moquette et autres phénomènes naturels. En se basant sur cette remarquable illusion, ils ont construit toute une économie mondiale… avec des instruments financiers extraordinairement complexes que les plus sages d’entre eux appelaient "armes de destruction financière massive".
* Quelqu’un semble avoir tiré la prise qui alimentait cette illusion il y a quelques mois de ça, si bien qu’ils sont passés à une nouvelle : si l’on donne plus de morceaux de papier vert aux gens, ils seront tous plus riches.
** Le Dow a chuté cette semaine. Mais selon les analystes, les indicateurs techniques sont toujours quasiment tous dans le vert ; ils pensent que les Etats-Unis entament un rebond majeur… voire un nouveau marché haussier.
* Le secteur automobile américain, pendant ce temps, avait de terribles nouvelles à annoncer. Les ventes ont chuté de 36% en décembre ; General Motors a vendu moins de véhicules que durant tout autre mois de décembre ces 49 dernières années.
* Le pétrole a grimpé. Les rendements obligataires grimpent aussi, ainsi que le dollar. Et l’or a chuté — sans raison particulière.
* La presse — le moyen par lequel les illusions sont partagées et propagées — annonce que le gouvernement du pays le plus riche de ce monde, appelé Etats-Unis d’Amérique, prévoit un "plan de relance" d’environ 1 000 milliards de dollars. Qu’est-ce que ce plan est censé relancer ? L’idée est de mettre une plus grande quantité de ces morceaux de papier entre les mains des citoyens, de manière à les encourager à agir comme s’ils étaient plus riches.
* Personne ne semble se soucier d’une chose troublante : la source de la douleur dont tant de gens se plaignent actuellement provient du fait que, par le passé, beaucoup ont agi comme s’ils étaient bien plus riches qu’ils le sont réellement. Le fantasme collectif ne semble pas plus perturbé par le fait que ce plan de relance est créé plus ou moins par ceux-là mêmes qui ne voyaient rien de mal au dernier fantasme en date… et n’avaient mentionné à personne qu’il allait s’effondrer.
* "Tous les espoirs se portent sur les baisses de taux et les plans fiscaux", titre le Financial Times, une des principales sources d’hallucinations financières. L’article explique que ledit gouvernement américain a l’intention de baisser les impôts pour mettre plus de billets verts entre les mains des consommateurs.
* Plus loin dans le même journal, un autre titre — "L’humeur s’éclaircit suite à des rapports sur des baisses d’impôt de 300 milliards de dollars prévues par Obama" — nous annonce que le public se glisse dans le nouveau fantasme avant même que ce dernier soit officiellement lancé.
* "L’optimisme lié aux efforts des banques centrales et des gouvernements pour relancer l’économie mondiale a aidé à améliorer l’appétit des investisseurs pour le risque [lundi]", continue l’article.
* Quel endroit merveilleux ! Tout est magique, ici. Chaque jour est un nouveau jour… sans aucun souvenir de ce qui s’est passé la veille… ni aucune réflexion sur ce qui se produira demain.
* Quiconque se serait donné la peine de réfléchir à ce plan de "renflouage" pendant deux secondes aurait pu voir qu’il s’agit d’une arnaque et d’une escroquerie. Ces morceaux de papier ne sont pas vraiment de la richesse… ils ne font que représenter la richesse. Dans la mesure où le gouvernement américain n’a pas de richesse en réserve — en fait, il emprunte même de manière spectaculaire pour joindre les deux bouts — il ne peut que passer de la richesse à une personne en la prenant à quelqu’un d’autre. Il parle de "baisses d’impôts", mais nous n’avons pas entendu parler de "baisses de dépenses". La conséquence mondiale de tout cela doit donc être une augmentation des morceaux de papier vert — ou, dirons-nous plutôt, de la demande de richesse — sans véritable augmentation de la richesse elle-même. Ce n’est qu’une illusion partagée, en d’autres termes.
* Mais nous devons admettre qu’après avoir visité cette planète pendant quelques semaines, nous en sommes tombés amoureux. Nous nous sentons si supérieur !
* De plus, où ailleurs dans l’univers est-il si facile de gagner de l’argent ? Comme vous le savez, cher lecteur, le moyen le plus simple de surperformer le marché est d’aider les idiots à se séparer de leur argent. Quelle autre planète compte tant d’idiots ?
* L’un des humains les plus intelligents, George Soros, a résumé la situation à notre place : "le moyen de faire des profits est de trouver le principe erroné et de parier contre lui". Pour autant que nous puissions en juger, quasiment tous les grands principes sont erronés… ou, à tout le moins, le principe qui sous-tend cette nouvelle ère post-bulle est aussi insensé que le précédent. Tout comme on ne peut pas vraiment s’enrichir en empruntant et en spéculant… on ne peut pas se remettre d’un krach en empruntant et en spéculant plus encore.
* Mais bon ! Nous ne faisons pas les règles, ici sur la planète Terre… nous essayons simplement de nous amuser avec.