L’affrontement commercial Etats-Unis/Chine va augmenter les risques d’une crise de la dette US.
Nous écrivions dans notre article récent sur les risques de crise du yen : « Les lacunes conceptuelles sur la compréhension des liens entre le niveau de la valeur d’une monnaie et la croissance via les exportations ont la vie dure. Nous devrions pourtant être persuadé aujourd’hui que la manipulation du change par les autorités monétaires est souvent inefficace. Ce contresens n’est pas spécifique au Japon. »
Eh oui, en annonçant de nouveaux droits de douane sur 18 milliards de dollars d’importations chinoises d’acier et d’aluminium, de semi-conducteurs, de véhicules électriques et de composants de batteries, de minéraux critiques, de panneaux solaires et de produits médicaux (pour mise en application durant les 24 prochains mois), les Etats-Unis se livrent à l’un de leurs exercices favoris, la manipulation du change (qu’elle soit explicite ou implicite).
On sait que les Etats-Unis sont coutumiers du fait d’accuser les autres pays de mener des politiques de change, visant à sous-évaluer la devise nationale. Mais l’histoire montre bien souvent que les Etats-Unis ne se gênent pas pour le faire. Faire preuve d’isolationnisme est absurde, car cela revient à considérer que la première économie du monde doit être gérée dans une logique de court-termisme, tout comme une multinationale dont le seul objectif serait de prendre des parts de marché à la terre entière.
Finalement, Biden s’inscrit dans les pas de l’administration Trump en première partie de mandat (2017-2018), qui ne manquait aucune occasion pour rappeler les avantages d’un dollar faible et, qui, par la voix du secrétaire au Commerce de l’époque Wilbur Ross, affirmait ceci : « Les guerres commerciales sont menées au quotidien. » Cela fait donc plus de six ans que les ruptures ont été entamées aux Etats-Unis.
- Début 2017, le sujet de la protection du marché de l’énergie solaire était déjà mis sur la table. L’International Trade Commission (ITC) avait alors déclaré que les importations de panneaux solaires à bas prix, notamment en provenance de Chine, causaient du tort à l’industrie, et que des tarifs douaniers devraient s’imposer pour remédier au problème.
- En septembre 2017, le gouvernement de Donald Trump prenait la décision d’imposer des droits antidumping de 220% sur les avions de transport civil CSeries, fabriqués par le canadien Bombardier.
- En octobre 2017, des droits antidumping provisoires compris entre 97% et 162% ont été imposés sur les importations d’aluminium en provenance de Chine
- En novembre 2017, les Etats-Unis confirmaient l’imposition de droits de douanes sur le bois de construction canadien.
Faut-il être inquiet pour les marches financiers et l’économie mondiale ?
Certes, on ne peut pas dire que les marchés financiers ont été particulièrement perturbés par le conflit commercial latent et réel entre la Chine et les Etats-Unis depuis 6-8 ans. Mais ce n’est certainement pas une raison pour considérer que les risques sont inexistants ou minimes.
En effet, la Chine s’est engagée à défendre ses intérêts face aux nouveaux droits de douane. Autrement, cela reviendrait à accepter une forte réévaluation implicite du yuan contre dollar.
Mais les réactions chinoises pourraient être brutales. La Chine peut tout à fait riposter en laissant filer sa monnaie ou/et agiter la mise en place de mesures de rétorsion. La menace de ne plus du tout financer les déficits commercial et budgétaire US n’est pas un fantasme.
La banque centrale de Chine a longtemps été structurellement acheteuse d’actifs en USD ; elle accumulait des réserves de change, en contrepartie de ses forts excédents commerciaux. Opérationnellement, cela se traduisait par une appréciation constante du yuan contre le dollar, ce qui menait à des interventions sur le marché des changes, pour ralentir l’appréciation de sa monnaie. Cela revenait donc, pour la banque centrale de Chine, à émettre du yuan pour le vendre contre du dollar, lequel dollar permettait de payer entre autres les achats de Treasuries. Seulement voilà : tout ceci s’est déroulé entre 2000 et 2018.
Depuis plus de cinq ans, les excédents commerciaux chinois se sont considérablement amenuisés avec deux conséquences négatives : des sorties de capitaux de plus en plus fortes, et une accélération de la baisse du yuan. Dans les deux cas, cela implique une baisse des réserves de change de la Banque de Chine, soit des flux nets vendeurs de titres d’Etat US.
Bien sûr, la disparition d’un acheteur structurel de dette publique US (banque de Chine) a été masquée par les achats massifs de la Fed jusqu’en 2021. Mais, la Fed ne reprendra pas, sauf si accident, de QE (soit l’achat d’obligations d’état par de la création de monnaie banque centrale), et les marchés de la dette publique US peuvent s’estimer heureux que la banque centrale américaine ne soit pas plus agressive dans son quantitative tightening (vente d’obligations d’état par de la destruction de monnaie banque centrale).
Quoi qu’il en soit, tous les gros acheteurs de dette publique US disparaissent progressivement : la banque de Chine pour cause de baisse des réserves de change et de guerre commerciale de plus en plus intense ; les gros investisseurs émergents en mal de dédollarisation ; et la Fed, contrainte de maintenir un semblant de politique monétaire restrictive.
Reste donc les grands investisseurs privés. Mais le problème, c’est que l’heure de vérité semble approcher, comme le montrent les dernières adjudications du Trésor américain. Celles-ci sont loin d’être sursouscrites, et l’excès d’offre sur la demande implique une baisse des prix des obligations émises et donc une hausse des rendements.
Jusqu’où la situation pourra-t-elle aller ? Personne ne peut le dire, et tout dépendra dans les mois à venir du rapport de forces entre le vendeur (le Trésor US) et les acheteurs ; et ceci, indépendamment de l’état des anticipations de baisse des taux directeurs de la Fed. Décidément, la probabilité d’une crise sans précédent de la dette publique s’accroît.