À force de croire qu’elle peut tout mesurer, tout prévoir et tout contrôler, l’élite économique américaine s’enferme dans des certitudes artificielles.
Les anges sont-ils des hommes ou des femmes ? En vérité, nous n’en savons rien. Peut-être que les génies du Bureau of Labor Statistics (le Bureau des statistiques du travail) pourraient nous le dire ? Ou l’un des centaines d’économistes bardés de doctorats qui travaillent pour la Fed ?
Après tout, ces derniers prétendent savoir quel devrait être le taux d’intérêt… quel devrait être le taux d’emploi… et quel devrait être le taux d’inflation.
Mais quiconque a une famille sait qu’il existe des choses qu’on ne peut ni connaître, ni contrôler. Oubliez les anges : même les personnes qui nous entourent depuis toujours peuvent nous surprendre. Nous autres, humains, nous nous comprenons à peine nous-mêmes — alors imaginer comprendre les autres relève de l’illusion. C’est précisément pour cela que l’étude des êtres humains et de leurs actions relève des « sciences humaines », et non des sciences exactes.
Et s’il devait y avoir quelque chose de neuf sous le soleil, ce n’est certainement pas l’équipe de Trump qui en aurait découvert l’origine. Nous poursuivons aujourd’hui notre glissade vers la déchéance : 38 000 milliards de dollars de dette… et des projections qui nous mènent vers 185 000 milliards d’ici le milieu du siècle. Un gouvernement de plus en plus autoritaire. Des décisions politiques incohérentes, capricieuses, presque fantaisistes. Les vengeances contre nos opposants. Les droits de douane. Les déficits. La corruption. La guerre. Les parades militaires et un palais présidentiel tapissé d’or.
Les États-Unis sont devenus une république bananière… sans bananes.
Et cela nous amène à nous poser une question simple : les actifs immobilisés du pays — essentiellement ses actions et ses obligations — ne devraient-ils pas être revalorisés en conséquence… c’est-à-dire dépréciés au niveau d’une véritable république bananière ?
Mais passons, provisoirement. Nous y reviendrons.
La littérature, l’histoire, la « philosophie morale »… tout cela ne nous offre que des lucarnes étroites et embuées pour observer la vie humaine. Quant aux chiffres, théories, statistiques, formules notamment le modèle « d’équilibre général stochastique dynamique » de la Fed, ils relèvent le plus souvent de l’imposture. De la courbe de Phillips à la formule « r supérieur à g » de Piketty, ces outils servent avant tout les intérêts de l’élite gouvernante.
L’objectif officiel d’une inflation à 2 %, par exemple, revient à accorder à la Fed un permis permanent pour déprécier la monnaie nationale, tout en disposant des recettes générées comme bon lui semble. Quant au fameux mandat de plein emploi, il repose sur l’idée – complètement absurde – que la Fed saurait réellement ce qu’est ce plein emploi, puis qu’elle pourrait « stimuler » l’économie via des taux d’intérêt plus bas afin de l’atteindre.
En pratique, l’argent nouvellement créé s’envole directement vers Wall Street, où il sert à gonfler la valeur des actifs détenus par les plus riches du pays. Et la Fed croit qu’en enrichissant les riches, elle augmentera le PIB pour tout le monde.
Mais toutes les illusions se heurtent un jour à la réalité.
Une économie n’est rien d’autre que l’addition de ce que veulent et font des millions de personnes. Chercher à la mesurer précisément revient à tenter de dessiner la ligne mouvante où l’Atlantique rencontre la côte irlandaise. Marées, tempêtes, vents, vagues… tout change sans arrêt. Que peuvent faire les technocrates, sinon simplifier, idéaliser, généraliser ? Ils ne vont même pas se mouiller les pieds.
Les prix, eux, fluctuent d’une minute à l’autre, reliant la situation présente aux grands courants des matières premières, de la technologie, du coût du capital, et bien d’autres encore. Le prix du carburant, par exemple, dépend de millions de décisions individuelles et d’un flot quasi infini d’informations venues du monde entier : nouvelles découvertes, progrès technologiques, variations de la demande, été exceptionnellement chaud… la liste est interminable.
Mais les élites ne veulent pas tirer les leçons des prix réels ; elles veulent fabriquer des prix fictifs. Dans sa forme la plus naïve, cette ingérence politique prend la forme d’un contrôle direct des prix.
L’empereur Dioclétien, il y a deux millénaires, en a été l’un des premiers artisans. Les prix grimpaient dans tout l’empire, provoquant le mécontentement. Plutôt que de s’attaquer au véritable problème – un Etat qui dépensait trop et dépréciait sa monnaie pour se financer – il a fixé lui-même les prix, en accusant les commerçants cupides : « Vous qui recherchez le profit personnel et imposez des marges ruineuses – votre avarice nous force à fixer une limite au nom de l’humanité commune. »
Richard Nixon reprendra la même idée en 1973 :
« J’ai décidé qu’il était temps de prendre des mesures fortes et efficaces… Par conséquent, j’ordonne un gel immédiat des prix. Ce gel maintiendra les prix à un niveau ne dépassant pas celui des huit premiers jours de juin. Il s’appliquera à tous les prix payés par les consommateurs, à l’exception des produits agricoles non transformés et des loyers. »
Joe Biden s’inscrira ensuite dans cette tradition en 2024, dénonçant lui aussi les « entreprises cupides » : « Je veux être clair envers toutes les entreprises qui n’ont pas baissé leurs prix alors même que l’inflation diminuait : il est temps de cesser la tarification abusive. »
Mais les prix fixés par le gouvernement fédéral sont faux. Quand ils sont maintenus artificiellement trop bas, ils envoient un signal erroné aux producteurs. Incapables de gagner de l’argent à ces niveaux, ceux-ci réduisent leur production. Résultat : pénuries… et appauvrissement.
Même les anges ne feraient pas cette erreur.
