▪ Voilà un G20 comme les journalistes les aiment : 90% de la copie pouvaient être rédigés avant qu’il ne se déroule… et les 10% restants s’avèrent bien suffisants pour rendre compte du peu de surprises contenues dans le communiqué final.
Les marchés ont vu se confirmer l’ensemble de leurs anticipations ; le résultat de ce non-événement s’est traduit, après pas mal d’hésitations en milieu d’après-midi, par une hausse assez marquée des indices boursiers. Le CAC 40 engrange 1,6% et l’Euro-Stoxx 50 1,5% (à 3 576 et 2 668 points respectivement).
La décision ne s’est faite qu’à l’entame de la dernière heure, après un net assombrissement du climat boursier entre 14h30 et 16h45, suite à la publication des dépenses de consommation des ménages américains. Elles ont progressé de 0,2% au mois de mai après avoir stagné en avril ; le revenu des ménages a augmenté de 0,4% après un gain de 0,5% le mois précédent.
Compte tenu du faible niveau d’inflation en mai, le revenu disponible a progressé de 0,5% (après +0,6% en avril). Cela semble constituer une évolution plutôt favorable, mais la morosité de Wall Street prouve que les opérateurs espéraient des scores plus élevés que ceux anticipés de façon officielle. Les fameux "whisper numbers" ["chiffres murmurés", NDLR.] circulant dans les salles de marché reflètent le biais psychologique sous-jacent, en l’occurrence plus positif.
▪ L’autre motif de satisfaction réside dans le constat que le G20 n’adopte aucune mesure contraignante en matière de réduction des déficits ou de taxation bancaire. Il laisse à chacun la possibilité de mener sa barque comme il l’entend.
Une harmonie dans la disharmonie semble donc s’être installée. Le communiqué final veille scrupuleusement à ne vexer personne… mais quelques remarques parfois acerbes en marge du sommet prouvent que les divers participants n’en pensent pas moins.
Le principal sujet de critique a concerné les positions rigoristes — et quasi-germaniques — des Européens. Elles tranchent avec la volonté de soutenir la croissance économique défendue par les Américains et la plupart de leurs partenaires commerciaux des pays émergents.
Pour réconcilier ces deux points de vue, ou au moins sauver les apparences, il s’agissait de réaliser rien moins que la quadrature du cercle ! Les communiqués triomphateurs d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy — manifestement isolés mais se sentant "pleinement soutenus" par les membres du G20 — n’ont pas convaincu les marchés que ce miracle avait été effectivement accompli.
Ils se montrent décidément bien sévères… Après tout, l’Europe adopte le principe états-unien de "réduction des déficits favorables à la croissance" — que ses inventeurs sont les premiers à ne pas appliquer à eux-mêmes.
▪ Littéralement aveuglés par ce trait de lumière venant de jaillir des ténèbres de la crise, la plupart des chefs d’Etat, Premiers ministres et autres sherpas émérites de l’économie mondiale n’ont réussi à proférer que quelques vagues commentaires bien plus terre à terre, certains d’entre eux manquant de peu de casser l’ambiance. Florilège…
Le secrétaire au Trésor américain Timothy Geithner estime que "les cicatrices de la crise sont toujours là". Le président chinois Hu Jintao (qui voit les commandes de Wal-Mart s’étioler) appelle à "consolider l’élan de la reprise de l’économie mondiale". Stephen Harper, le Premier ministre canadien — et organisateur du sommet de Toronto — constate que "la reprise demeure fragile". Guido Mantega, ministre brésilien des Finances, dénonce des Européens qui "privilégient les ajustements budgétaires au lieu de stimuler la croissance".
Dominique Strauss-Kahn résume sobrement le sentiment général : "1% de croissance dans la Zone euro, ça nous plombe tous". Nous savons tous que les caisses sont vides et que les spéculateurs n’attendent qu’un signal pour délivrer une nouvelle bordée de torpilles à l’encontre du pays qui aura vu sa dette souveraine dégradée par une agence de notation.
Il fallait se rendre à l’évidence : aucune solution satisfaisante ne pourrait émerger, même en discutant jusqu’aux élections de novembre aux Etats-Unis. Les participants au sommet de Toronto ont donc décidé à l’unanimité que chacun ferait comme il voudrait ! Les dernières scories du sommet de Pittsburgh (qui voulait changer le monde, moraliser et réguler la finance) sont maintenant bien éteintes…
Le communiqué final est révélateur : "les plans de réduction des déficits devront être adaptés aux conditions particulières de chaque pays concerné, pour ne pas compromettre la reprise économique".
En ce qui concerne le durcissement des normes comptables applicables aux banques, les experts continuent de plancher sur "Bâle III" — alors que "Bâle II" n’est même pas encore appliqué de manière uniforme par les Européens et les Anglo-Saxons. Comme aucun calendrier n’a été fixé, le règne du "chacun fait comme il lui plaît" continue.
Un dicton prétend que les choses finissent toujours par s’arranger. Certes, mais l’expérience démontre que lorsque des lobbies pétris d’idéaux ultra-libéraux s’en mêlent, les choses s’arrangent effectivement… au plus mal pour l’intérêt général.
Enfin, le projet de taxation bancaire franco-germanique est pratiquement enterré. Cependant, le président Nicolas Sarkozy s’est félicité dimanche que le groupe de pays riches reconnaisse la légitimité de cette proposition. Simplement, personne — à part ses auteurs — ne compte l’adopter dans un avenir prévisible ; même un prélèvement symbolique de 0,05% sur les transactions financières est présenté comme insupportable et susceptible de torpiller la reprise.
Les banquiers connaissent bien les gouvernements, toutefois. D’abord 0,05%, et pourquoi pas 0,10% ensuite, puis 0,25%, comme cela se pratique avec le citoyen ordinaire ? Après tout, ce dernier a par exemple vu la taxation sur les plus-values boursières passer de 15% à 30% en une vingtaine d’années.
Oui, le sommet de Toronto (qui aurait coûté la bagatelle d’un milliard de dollars) est effectivement un plein succès… pour les lobbies bancaires !
▪ En ce qui concerne les économies que nous promet François Fillon, les ministres sont prévenus qu’ils vont devoir montrer l’exemple et se serrer la ceinture.
Le président lui pourra bientôt boucler la sienne dans un Airbus A330 commandé depuis l’automne 2008. Il sera livré cet automne, en version "remasterisée" pour répondre aux nouveaux standards de confort et de sécurité qui siéent au premier magistrat de la République française.
Les 176 millions d’euros consacrés à cet investissement ont été pris sur le budget de la défense nationale. Ils seront vite amortis si l’Elysée annule les 240 prochaines garden-parties à 730 000 euros prévues d’ici l’an 2250.
Comme on n’est jamais trop prudent, un Falcon 900 accompagne l’Airbus présidentiel (actuellement un A-319 vieillissant) sur les longs trajets, comme solution de rechange. Cela afin d’éviter tout retard sur le planning des visites officielles en cas de panne impromptue.
Ceux qui sont en retard pour leur rendez-vous sur le sol national vont en revanche devoir redoubler de vigilance. En effet, une nouvelle génération de radars va être massivement implantée au bord des routes à partir du second semestre 2010.
Plus performants, ils pourront flasher plusieurs infractions simultanément. Ils seront aussi plus intelligents : ils sauront calculer une vitesse moyenne entre deux points de contrôle. Sans doute pour coincer tous ceux qui ne disposeraient pas d’une flottille de jets privés et d’hélicoptères pour rattraper le temps perdu… après avoir été bloqués, par exemple, durant plusieurs minutes lors du passage d’un cortège officiel.
Nous convenons que le procédé consistant, pour une certaine presse satirique, à établir des parallèles entre divers éléments d’actualité — qui n’ont fort heureusement aucun rapport entre eux… si, si, on vous l’assure — n’est pas très élégant. La rédaction de la Chronique Agora se montre très vigilante à ce sujet.
C’est pourquoi nous tenons à préciser que l’enchaînement de nos derniers paragraphes résulte purement et simplement d’une évocation des sujets d’argent les plus commentés dans les salles de marché, après le rachat du Monde et le but refusé dimanche à l’Angleterre face à l’Allemagne suite à une "kolossale" erreur d’arbitrage.
Heureusement pour les citoyens que nous sommes, d’aussi grossières erreurs d’arbitrage –budgétaire — sont absolument inconcevables !