La simple lecture du Code des impôts suffit à démontrer que lorsqu’il s’agit de prendre de l’argent dans la poche du contribuable, l’imagination des gouvernants est sans limites.
Ce n’est pas un phénomène nouveau, bien au contraire. Ce petit ouvrage vous propose un voyage dans le temps, de l’Antiquité romaine au début du xxe siècle, à travers l’Europe, mais aussi la Chine ou l’Inde, à la découverte des taxes les plus curieuses infligées aux malheureux contribuables.
Il ne s’agit pas ici de prétendre à proposer une histoire exhaustive de la fiscalité, mais plutôt d’illustrer au travers d’exemples historiques l’ingéniosité déployée par les gouvernements pour remplir leurs caisses aux dépens de leurs sujets.
Bien évidemment, certaines de ces taxes sont les reflets de leur temps et ont depuis disparu et dans leur fondement, et dans leur mode de perception ; beaucoup ont par contre survécu, du moins dans leur principe, même si elles sont aujourd’hui perçues sous des formes différentes. C’est pourquoi notre voyage ne sera pas chronologique, mais thématique, en suivant les motivations qui ont présidé à leur mise en place.
La bourse ou la barbe
La fiscalité dite comportementale présente l’avantage pour les gouvernements de pouvoir rendre le contribuable responsable du fait qu’il soit taxé, puisque pour ne plus l’être il lui suffit d’adopter le comportement que l’on attend de lui. Vous trouvez les taxes sur les cigarettes trop élevées ? Ne fumez plus. Celles sur l’essence prohibitives ? Prenez les transports en commun ou faites du vélo !
L’arme fiscale est utilisée non seulement pour garnir les caisses, mais aussi pour modeler les comportements selon les désirs, parfois bizarres, des gouvernants.
L’empereur Pierre Ier de Russie, dit Pierre le Grand, fut un précurseur en la matière. Revenu d’un voyage incognito à travers l’Europe qui dura deux ans, convaincu de la supériorité de la culture occidentale sur la culture traditionnelle russe, il entreprit d’occidentaliser son peuple à marche forcée, et commença pour cela à s’attaquer à son apparence.
Le Russe de l’époque portait un habit traditionnel à larges manches, le caftan, et arborait fièrement une longue barbe, destinée à rendre grâce à la barbe portée par Dieu et les saints, dans l’iconographie ancienne (1).
Si l’habit fut purement et simplement interdit, il était difficile d’en faire autant pour la barbe, compte tenu de l’attachement de la population à cette forme de pilosité : à peine un siècle plus tôt, le tsar Ivan IV le Terrible n’avait-il pas proclamé que « raser sa barbe était un crime abominable que le sang de tous les martyrs ne suffirait pas à racheter » !
Ce fut donc une taxe qui fut instaurée en 1704. Son montant annuel était variable selon le rang social : 100 roubles pour un noble, 50 roubles pour un commerçant, 30 roubles pour un laquais ou un cocher, et un demi-kopeck à chaque entrée en ville pour un paysan. Le contribuable recevait en échange un jeton de bronze représentant une barbe, accompagné du texte « La taxe a été payée » parfois complétée de « la barbe est un fardeau inutile ».
Devant la contestation menée par l’Eglise, Pierre accorda une exemption au clergé. Les autres, trouvant la charge financière bien lourde, commencèrent peu à peu à se raser. Pour achever de les convaincre, un autre oukase impérial ajouta que toute requête administrative présentée par un barbu devait être rejetée à moins qu’il ne verse une amende spéciale de 50 roubles. C’est ainsi que petit à petit la Russie se couvrit de joues glabres, et l’impôt, devenu sans objet, s’éteignit de lui-même vers la fin du règne de Pierre le Grand.
Si la fiscalité contemporaine se base largement sur des motivations hygiénistes, celles des siècles passés peuvent, à cet égard, se révéler surprenantes.
L’Angleterre de Charles Ier commençait à reconnaître les bienfaits de l’hygiène corporelle, et il n’était pas rare que les catégories sociales les plus favorisées prennent jusqu’à un bain par semaine, ce qui peut sembler peu par rapport à nos standards actuels, mais constituait néanmoins un net progrès. Arrive alors le règne de Cromwell.
Taxer le plaisir d’être propre
Cromwell n’est pas seulement hostile à la royauté, c’est un puritain, bigot et austère, à qui les frivolités de la Cour font horreur. Selon lui, chercher à sentir bon était une vanité détournant le peuple de la nécessaire modestie face à Dieu, et la toilette devait être d’autant plus combattue que c’est une activité qui se pratique usuellement nu, autrement dit dans une tenue qui pose un problème de principe aux tartuffes dévots.
Une énorme taxe fut donc instaurée sur le savon, représentant près de 80% de son prix de vente, et un corps d’inspection des savonneries fut instauré, afin de s’assurer que du savon n’était pas produit illégalement et vendu clandestinement au marché noir. Cela ne suffit pas cependant à dissuader la noblesse et la haute bourgeoisie de se laver régulièrement.
Dès lors, lorsque la monarchie fut rétablie, le roi Charles II ne révoqua pas cette innovation de Cromwell. Après tout, si les gens sont prêts à payer cher pour pouvoir être propres, pourquoi les finances royales n’en bénéficieraient-elles pas, se dit le monarque. Ce n’est qu’en 1853 que le ministre William Gladstone abolit la taxe, en énonçant le précepte devenu célèbre selon lequel « une nation propre est une nation heureuse ».
A la même époque, Cromwell taxe également les cartes à jouer, supposées favoriser le vice. A sa décharge, il ne crée pas la taxe, mais se contente de la multiplier par 25, la portant à deux shillings et six pence par jeu, soit environ 25 € d’aujourd’hui.
Pour assurer le recouvrement de la taxe, une méthode originale avait été mise au point : les fabricants devaient remettre l’as de pique de chaque jeu fabriqué aux services du Trésor, le reste du jeu étant vendu dans le commerce. L’acquéreur devait ensuite se rendre auprès du fisc, régler la taxe, et se voyait en échange remettre l’as manquant.
Ce n’est qu’en 1960 que la taxe sera abrogée, même si le mode de perception avait depuis longtemps évolué pour prendre la forme d’un timbre apposé sur le jeu, attestant le paiement.
La fiscalité moderne s’inspire largement des idées développées autrefois. […] L’impôt foncier reste perçu et se cumule avec l’impôt sur le revenu, précaution inutile à une époque où la quasi-totalité du revenu était issu du travail agricole. L’impôt sur la consommation s’est généralisé et porte désormais sur tous les biens et les produits, à un taux certes moins prohibitif que l’ancienne gabelle.
La fiscalité comportementale est devenue le terrain de jeux favori des politiciens, qui se servent de l’arme fiscale pour tenter de modeler un citoyen idéal conforme à leurs lubies – ou à leur idéologie, ce qui bien souvent revient au même.
1- De nos jours encore, les popes orthodoxes se caractérisent par cette longue barbe.
Jean-François Nimsgern est né à Strasbourg en 1971. Spécialisé en droit fiscal et droit des affaires, il vit à Bruxelles. Il partage aujourd’hui sa vie professionnelle entre la direction d’une société de conseil basée à Londres et Dubai, où il s’occupe toujours des questions fiscales internationales, et la co-présidence d’une société de distribution implantée à Bruxelles et dans plusieurs pays d’Europe de l’Est. Il est depuis 2016 le responsable international du Parti Libertarien Français dont les engagements politiques s’articulent autour de la réduction du poids de l’Etat, des normes et de la fiscalité. Il a publié aux éditions Les Belles Lettres L’histoire des impôts improbables dont ce texte est extrait.