▪ Les fesses sont soumises à la loi du déclin de l’utilité marginale, comme tout le reste : telle était notre conclusion juste après minuit. Il devait y en avoir plus de 10 000… transpirant… gigotant… tremblant… vibrant dans le Sambadrome ce week-end.
Les costumes étaient excessifs, débridés et aussi torrides qu’on peut l’imaginer. L’idée semblait de mettre autant de sequins et de plumes que possible. Et dans chacun de ces atours brillants et étincelants, l’arrière était laissé ouvert pour révéler un popotin scintillant.
Alors que nous nous dirigions vers le Sambadrome, nous avons commencé à soupçonner que ce ne serait pas une soirée comme les autres. La foule emplissait les rues dans toute la ville. Un jeune homme vomissait dans le caniveau. Une jeune femme s’était évanouie ; ses amis lui administraient des gifles pour tenter de la ranimer. Un peu plus loin, un autre homme était installé sur une civière pour une raison inconnue. Dans une petite rue à côté du stade, deux femmes se battaient pour une cause tout aussi inconnue.
Oui, c’était le Carnaval à Rio. Toute la ville s’est laissé aller.
Nous étions dans la section d’élite du Sambadrome. Nos co-spectateurs ressemblaient un peu aux hôtes d’un restaurant chic et moderne. Jeunes, professionnels, beaux. Les hommes avaient l’air d’être courtiers en bourse. Les femmes auraient pu être mannequins. Minces, attirantes… certaines déjà prises, d’autres encore en compétition.
Nous avons manqué le bombardement de Dresde et l’effondrement des tours du World Trade Center à New York, mais il est difficile d’imaginer que le niveau de décibels y ait été supérieur |
Nous étions à peine arrivé que la musique commençait. Nous avons manqué le bombardement de Dresde et l’effondrement des tours du World Trade Center à New York, mais il est difficile d’imaginer que le niveau de décibels y ait été supérieur.
Des serveurs circulaient avec des boissons. Ils semblaient déterminés à les distribuer, qu’on veuille boire ou non. Apparemment, le principe consistait à augmenter le niveau de bruit et d’ébriété tout au long de la nuit : personne ne devait se réveiller le lendemain en pensant ne pas s’être amusé la nuit précédente ; il avait le mal de crâne pour le prouver !
Le défilé a mis longtemps à nous atteindre. Et ensuite… oh là là !
Chaque costume était plus fantasque que le précédent. Et celui-là était à chaque fois plus osé que son prédécesseur.
L’un après l’autre, ils venaient… en groupes de 50… de 100… de 10 000…
La musique était si forte que nos tympans ont failli céder. Les batteurs maintenaient un rythme implacable… ne manquant pas un temps… n’accordant pas un moment de calme ou de tranquillité.
Et ça a continué… heure après heure… de neuf heures du soir à six heures du matin. A ce moment-là, votre correspondant était usé. Il en avait eu assez. Son travail consiste à regarder, observer et vous faire son rapport. Mais il ne peut absorber qu’une quantité finie de fesses en une seule nuit.
▪ Passons donc à ce qui se passe dans le monde de la finance…
Les actions ont un peu grimpé. L’or stagne. Nos lecteurs sont tout aussi perplexes que nous face à la manière dont le système monétaire fonctionne et ce que ça signifie. Cependant, un lecteur a réussi à formuler les choses avec précision :
"Voyons voir si je comprends bien : d’abord, les autorités ont éliminé toute contrainte, en devise réelle, sur leurs dépenses en annulant la convertibilité du dollar en or. EN PLUS, désormais, elles ont éliminé toutes les restrictions du marché sur le fait de dépenser (et de vendre de la dette) par le biais d’un processus insidieux visant à se revendre leurs dettes à elles-mêmes. Elles ont changé le paradigme sans en parler à personne. J’imagine que le message est : si vous ne pouvez pas piger par vous-même, tant pis pour vous ?"
Il n’y a plus de limite évidente, effective, sur la quantité "d’argent" que la banque centrale peut créer ou "prêter" au gouvernement |
Oui, c’est tout à fait ça. Il n’y a plus de limite évidente, effective, sur la quantité "d’argent" que la banque centrale peut créer ou "prêter" au gouvernement.
Nous mettons ces mots importants entre guillemets simplement pour indiquer qu’il faudrait des volumes entiers pour comprendre ce qu’ils signifient en réalité.
C’est là, bien entendu, qu’est le problème. Le système est si nouveau et si nuancé que personne ne sait vraiment ce qui se passe — et probablement encore moins tous ceux qui affirment en avoir le contrôle.
Oui, nous vivons une drôle d’époque… et parmi les choses les plus drôles à son sujet, en cet an de grâce 2015, c’est que plus vous êtes intelligent, plus il est difficile de comprendre le système monétaire. Martin Wolf, Paul Krugman, Joseph Stiglitz, Larry Summers — des hommes "brillants", nous dit-on, tous autant qu’ils sont — n’en ont pas la moindre idée. Ils sont victimes de leur propre intellect, confiants dans le fait qu’ils peuvent tout comprendre à mesure qu’ils avancent… et ajuster la politique monétaire aux besoins du moment.
Est-ce ainsi que ça fonctionne, cher lecteur ? Peut-on improviser à mesure qu’on avance, réagissant d’abord à un événement puis à un autre ?
Nous ne pensons pas que ce soit le cas. En réalité, une illusion mène à une autre. On est comme Napoléon en route pour Moscou, Gideon Gono en route pour l’hyperinflation ou un mari volage en route pour une sieste crapuleuse. Une seule décision semble pardonnable, selon les circonstances. Ensuite, les circonstances vous piègent. On préférerait que ce soit différent. On aimerait reculer. On aimerait prendre un autre chemin. Mais il est trop tard. "Selon les circonstances", on fait ce qu’on doit faire. Ensuite, en fin de compte, on se retrouve en enfer.