Une entreprise se lance en Bourse, gagne le soutien d’investisseurs particuliers puis d’institutionnels, et tout ça sans chiffre d’affaires ou réel plan pour produire quoi que ce soit… Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
Jeudi dernier, des nouvelles venues du monde imaginaire nous ont appris qu’une entreprise de « médias sociaux » inexistante avait choisi un PDG qui n’était issu ni de l’univers des technologies ni de celui des médias pour diriger ses activités inexistantes.
Selon CNET :
« Le républicain Devin Nunes devrait quitter le Congrès pour diriger le réseau social de Trump. Ce représentant de Californie est l’un des plus fervents partisans de l’ex-président. »
A la Chronique, nous pensons que c’est l’argent réel qui nous fait travailler d’arrache-pied et avoir les pieds sur terre. Nous le voulons et nous le gagnons en proposant à d’autres des biens et des services.
Voilà pourquoi une économie « capitaliste » est bien plus productive, prospère et courtoise qu’une économie « socialiste ». C’est cette « main invisible », comme l’appelait l’économiste du XVIIIe siècle Adam Smith, qui guide les gens, pour qu’ils accroissent la richesse des autres ainsi que la leur.
Si vous remplacez l’argent réel par de l’argent falsifié, même un système capitaliste peut rapidement être pris dans un tourbillon de corruption, de mauvais investissements et de gaspillages.
Et si vous remplacez un véritable entrepreneur, ou homme d’affaires, par un « fervent partisan » alors les investisseurs feraient mieux de garder leur argent, probablement.
Une histoire remarquable
Au sein d’une économie fondée sur l’argent falsifié, le capital réel est gaspillé en projets qui ne génèrent jamais de profits (et n’accroissent pas la richesse du monde) : c’est axiomatique.
Voici l’histoire de l’un d’eux.
A l’origine, il y a l’histoire remarquable d’un homme remarquable à la carrière remarquable… et d’un remarquable nouveau plan visant à prendre l’argent des investisseurs.
Oui, nous parlons de Donald J. Trump, imprésario, ex-président, amuseur, promoteur immobilier… et dieu sait quoi d’autre.
M. Trump (et quelques experts de Wall Street de connivence avec lui) ont monté un SPAC nommé Digital World Acquisition Company (DWAC). Le seul but de cette société est de racheter une entreprise du secteur des médias, Trump Media and Technology Group, qu’ils ont également créée.
Cela n’a rien d’extraordinaire, pour un SPAC. Des gens célèbres en créent. D’autres investissent dedans.
Ensuite, le SPAC est censé partir dans le vaste monde en quête d’une entreprise réelle à racheter puis introduire en Bourse… sans passer par tout le processus habituel d’introduction en Bourse (IPO) et en faisant gagner beaucoup d’argent aux investisseurs du SPAC.
C’est ainsi, du moins, que les investisseurs pensent que cela fonctionne.
Dans ce cas, l’action DWAC a flambé lorsque l’opération de rachat de Trump Media and Technology Group a été annoncée, ce qui a rapporté un gain de près de 850% sur deux jours aux investisseurs.
Et ce n’est pas la première fois que de l’argent est gagné et perdu en associant le nom de Trump à une opération hasardeuse.
Trump a déjà créé la compagnie aérienne Trump Shuttle et Trump University. Et, depuis quelques années, d’autres s’y sont mis, avec une cryptomonnaie Trump… une autre, appelée Baby Trump… et une pour satisfaire les amateurs de crypto-toutous, Trump Inu.
Un danger manifeste et actuel
Nous l’admettons, nous connaissons bien le monde des SPAC. L’une des sociétés à laquelle nous sommes lié vient de boucler une opération de SPAC.
Selon notre expérience, et notre vision cynique de la façon dont fonctionne le monde, il est peu probable que la plupart des opérations de SPAC aboutissent à un succès économique, dans le monde réel.
Les entreprises sont complexes. Les créateurs de SPAC n’ont ni l’expérience ni la détermination, en général, permettant de les appréhender totalement.
Les organisateurs de SPAC disposent de fonds provenant d’investisseurs… et qu’ils ont la ferme intention de dépenser.
S’ils n’achètent rien, ils doivent rendre l’argent. Mais s’ils achètent quelque chose, ils détiennent une participation et ils y gagnent, que cela fonctionne ou non pour les investisseurs.
Du point de vue des investisseurs, ce n’est pas une bonne configuration : c’est de l’innovation venue du monde imaginaire qui encourage les créateurs de SPAC à payer trop cher des entreprises qu’ils ne comprennent pas vraiment.
Dans le cas de DWAC, il n’y a rien qu’ils auraient pu comprendre : l’activité n’existait pas.
Oui, cher lecteur, les chances que le SPAC de Trump donne lieu à une entreprise prospère se sont effondrées de façon spectaculaire quand le SPAC a ciblé le Trump Media and Technology Group (TMTG), autre société de Trump qui reflète davantage des désirs pris pour des réalités que la réalité.
Il est déjà assez difficile de dénicher une entreprise au bon prix, surtout dans un contexte où tant de SPAC en recherchent. Une entreprise inexistante (sans chiffre d’affaires, dirigeants, brevets, bureaux, profits, machine à café, niche de marché, marque, etc.) peut être facile à proposer… mais il est bien moins probable qu’elle soit rentable un jour.
Acheter une société inexistante – fondée par les mêmes individus qui ont créé le SPAC au départ – représente également un danger manifeste et immédiat. En général, le vendeur connait son entreprise. Dans ce cas, ni l’acheteur ni le vendeur ne savait comment bâtir une entreprise de médias sociaux réussie.
Par ailleurs, l’annonce récente – le fait de s’adresser à un politicard n’ayant aucune expérience dans les technologies ou les médias, et aucune autre en dehors (peut-être) de l’élevage laitier et (sûrement) des chicaneries politiques – condamne tout le projet.
Les as de la spéculation
Nous pourrions ajouter également que « Truth Social », ce réseau social proposé par Trump, est une invitation au ridicule et aux pertes.
Nous, les humains, ne flairons un léger parfum de vérité que lorsque – et encore, rarement – le vent souffle dans la bonne direction, et que nous venons juste de subir une perte humiliante et démoralisante. La vérité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, c’est beaucoup plus que ce que nous pouvons gérer.
A présent, histoire de renforcer les probabilités défavorables aux investisseurs, les pros tournoient tels des vautours, prêts à nettoyer la carcasse.
Le 4 décembre, le nouveau groupe Trump a annoncé qu’il avait conclu un accord en vue de lever 1 Md$ auprès d’un hedge fund et d’autres grands acteurs. Cet accord permet aux initiés d’acheter des actions 40% en dessous de leur cours.
Il ne s’agit pas d’investisseurs sur le long terme, patients, faisant confiance à la nouvelle entreprise ou à son nouveau PDG, mais d’as de la spéculation venus du monde imaginaire, qui chassent les « investisseurs » naïfs, motivés par l’idéologie, pensant pouvoir améliorer le monde… et gagner de l’argent, aussi.
Apparemment, les initiés pensent que le cours est largement surévalué. Apparemment, également, ils pensent gagner de l’argent à l’ancienne… en achetant au prix de gros et en revendant au détail à des péquenauds.
Pas de problème, pour nous. C’est amusant à regarder. Et quoi qu’il arrive, nous affirmerons que cela confirme la maxime de la Chronique : « Les investisseurs n’obtiennent pas ce qu’ils veulent ou ce à quoi ils s’attendent, mais ce qu’ils méritent. »
Dans ce cas, comme ce nouveau projet va inévitablement prendre le chemin de la morgue financière, il est probable qu’ils en tireront un léger parfum de vérité, en prime.