▪ Intervenant hier en direct sur BFM Business entre 11h35 et 11h45 comme chaque mercredi à la même heure dans Intégrale Bourse, les animateurs de l’émission m’ont presque pris au dépourvu en me questionnant sur la pertinence du rachat de Skype par Microsoft.
Vous aviez pu lire dans ma précédente chronique un commentaire à l’emporte-pièce indiquant le caractère absurde d’une OPA à 10 fois le chiffre d’affaires sur une entreprise. Cette dernière n’est même pas cotée et n’a fait que des pertes depuis l’origine ; c’est seulement l’année dernière que s’est enfin matérialisé un profit symbolique.
Voilà pour la vision critique de l’opération… mais c’est une posture un peu facile. Je me suis donc fait l’avocat du diable et me suis efforcé de défendre l’initiative de Steve Ballmer, le directeur général de Microsoft.
Skype, c’est une application qu’ont installée pas moins de 50 millions d’utilisateurs sur leur iPhone afin de communiquer gratuitement et de façon illimitée avec des correspondants partout dans le monde.
eBay, qui détenait 65% du capital, n’avait pas réussi à rentabiliser ce « service » largement exploité par les fans des Smartphones et PC vendus par Apple. Peut-être que Microsoft a mis au point une botte secrète pour mieux valoriser Skype, mais j’ignore laquelle. Sa position d’acquéreur majoritaire le place en situation de concurrence frontale avec Google et Apple qui développent déjà des applications similaires mais moins connues du grand public.
En ce qui concerne la mise de fonds de 8,5 milliards de dollars, elle aurait été délibérément gonflée pour couper l’herbe sous le pied des concurrents — qui d’après le marché n’étaient pas acheteurs !
Microsoft aurait donc surenchéri préventivement sur une contre-offre qui aurait pu surgir en cas d’OPA à prix serré. C’est un peu comme si Microsoft avait fait tonner le canon pour intimider un hypothétique renard. Un fusil de chasse aurait amplement suffi, mais cela fait moins de bruit dans le landerneau.
▪ Le bruit a effectivement réveillé les acheteurs qui somnolaient depuis la publication des chiffres du chômage américain vendredi. Les milliards mis sur la table pour le rachat de Skype ainsi que les rumeurs d’introduction de Skoopon ou LinkedIn à des niveaux de valorisation stratosphériques entretiennent l’illusion d’une sous-évaluation globale des valeurs du Nasdaq.
Wall Street flottait encore sur son petit nuage rose ce mercredi lorsque sont tombés les chiffres du déficit commercial américain. Il se creuse à 48,2 milliards de dollars en mars, contre 45,4 milliards en février (chiffre révisé de 45,8 milliards en estimation initiale pour février).
Cela n’a pas impressionné les investisseurs qui se préoccupaient surtout de la bonne tenue initiale des cours du WTI sur le NYMEX — le baril tenait bon le cap des 103 $.
▪ Tout allait — à peu près — bien jusqu’à la publication de l’état hebdomadaire des stocks de pétrole. C’est à partir de 17h30 que le dérapage des indices américains s’est amorcé en même temps que la spéculation se prenait un violent retour de porte de saloon sur le NYMEX.
Après les 6% gagnés lundi (et +1% la veille), le baril replongeait de 4,7% vers 99 $ ; le litre d’essence « sorti de raffinerie » dévissait de 8,3%, suite à la publication de stocks de brut et de carburant ressortis supérieurs aux prévisions.
Cela a fait l’effet d’une douche froide sur les indices américains puisqu’ils ont rapidement chuté de 1,4% en moyenne avant de se redresser laborieusement.
Au final, le Dow Jones perd 130 points (vers 12 630 points) et le S&P recule de 1,1% (sur les 1 342 points). Cela suffit à faire repasser le bilan hebdomadaire dans le rouge… mais pas à valider un signal de consolidation malgré tous les excès de hausse qui se sont succédé depuis l’explosion de Fukushima. A ce propos, Tepco vient d’obtenir hier un prêt de 50 milliards d’euros du gouvernement japonais, un argent qui devra à son tour être emprunté sur les marchés.
Le doublement des pertes à Wall Street est survenu après la clôture des places européennes. C’est ce qui a permis à la Bourse de Paris de grappiller 0,14% et de confirmer sa hausse de la veille à 4 058 points, après avoir stagné durant six heures entre 4 064 et 4 075 points.
L’indice a effectué une brève incursion dans le rouge vers 16h30 mais globalement, tout est resté sous contrôle durant la séance.
▪ Le château de cartes boursier repose sur la capacité de la Fed et sur ses relais bancaires à garder la tendance sous contrôle.
Les initiés ont compris depuis longtemps que le marché n’est plus cette entité ouverte à tous les acteurs, où la multitude des forces sous-jacentes s’exprime librement, parfois aveuglément, parfois avec discernement — mais sans cette volonté de défier en permanence les lois de la gravité et de piéger systématiquement le consensus.
Le relèvement des marges sur le Chicago Mercantile Exchange (CME) a répondu à la volonté du gouvernement de casser les reins de la spéculation. Mais il aura fallu moins de 48 heures pour voir le lobby bancaire dénoncer cette initiative comme nuisible aux vrais professionnels des marchés pétroliers.
Ils citent l’exemple de ce courtier en coton américain (un acteur majeur depuis plus d’un siècle) contraint de déposer le bilan en 2008, faute de pouvoir financer les appels de marge imposés par le CME alors qu’il disposait — comble de l’absurdité — d’un sous-jacent livrable quelques semaines plus tard.
Le principe de ces protestations est toujours le même : « la régulation, voilà l’ennemi ». Cela alors qu’ils passent eux-mêmes leur temps à réguler (ou plutôt devrions-nous dire à empêcher) ce qui ne devrait jamais l’être, c’est-à-dire la capacité des marchés à corriger leurs propres excès.