Une dynamique mondiale en panne…
Les cours du riz sont en passe de se stabiliser sur les marchés mondiaux… et de revenir à leurs fondamentaux de long terme, une fois les exagérations spéculatives dissipées. Or ces fondamentaux sont orientés à la hausse. Une hausse contenue, ne serait-ce que parce que ce marché stratégique est étroitement surveillé à l’échelle mondiale… mais une hausse tout de même.
Un mot rapide, tout d’abord, sur la structure de ce marché : 400 millions de tonnes par an en moyenne, produites à 90% en Asie. A elles seules, la Chine et l’Inde cultivent plus de la moitié du riz de la planète. Le commerce international ne compte que pour 7% de la production mondiale (contre 19% pour le blé) : le reste alimente les marchés domestiques, sous le contrôle vigilant des gouvernements. Les grands pays exportateurs sont tout d’abord la Thaïlande, loin devant les autres, avec sept millions de tonnes par an — soit 40% de sa production. Le Viêt-nam est le deuxième exportateur au monde, suivi par la Chine, l’Inde, le Pakistan et les Etats-Unis.
Ce groupe de producteurs exporte vers le reste du monde, répond à des besoins très divers : en Occident, on en consomme moins de 10 kg par habitant en moyenne ; en Afrique et en Amérique du Sud, entre 40 et 60 kg par habitant ; et en Asie, 80 kg par habitant ou davantage. En bonne logique, les plus gros importateurs sont les Philippines et l’Indonésie.
L’aventure moderne du riz a été cruciale pour la diminution des famines, notamment en Asie. La production mondiale a triplé en l’espace d’un demi-siècle ; la rentabilité a connu des bonds prodigieux, notamment dans les années 70 — grâce aux progrès accomplis en matière de fertilisants, de pesticides, de sélection des variétés et de génétique. C’est ce qu’on a appelé, dans de nombreux pays comme l’Inde, la "révolution verte". Mais cette dynamique semble aujourd’hui se trouver au point mort.
… où les facteurs structurels reprennent le dessus
Premier constat, le monde consomme davantage qu’il ne produit : cette tendance se poursuit depuis bientôt une décennie. Les stocks mondiaux de riz sont à leur plus bas depuis les années 70.
Deuxième constat, les rendements stagnent — et ce, alors que la pression démographique s’accentue. Ils progressent de moins d’1% depuis plusieurs années, alors qu’entre 1970-1990, la norme était à des gains de plus de 2% annuels. Pendant ce temps, les superficies ne progressent pas : +20% seulement depuis les années 60.La surface cultivée n’a quasiment pas changé depuis 1990.
Si bien que les enjeux climatiques et écologiques, que j’ai évoqués hier, commencent à peser comme un paramètre tendanciel sur le marché mondial du riz. La population mondiale ne cesse de croître. Le réchauffement climatique est une source d’aléas croissants pour les cultures ; les pesticides actuels sont en fin de cycle ; les variétés existantes apparaissent de plus en plus exposées aux mutations des parasites. L’offre a du mal à répondre à la demande : attention, nous ne sommes pas encore en situation de pénurie, comme vient de le montrer la correction récente des cours. Mais la possibilité s’en rapproche.
Le "pic des commos", en 2007, a permis de mieux faire entendre le signal d’alarme que lançaient, depuis longtemps déjà, les spécialistes du secteur. A l’instar de Madagascar, la plupart des pays émergents dont l’économie repose largement sur le riz s’efforcent maintenant de promouvoir une nouvelle "révolution verte", dans l’espoir qu’un nouvel élan de recherche et d’innovation permette de faire face aux défis qui s’annoncent. Après quelques années d’éclipse, la guerre de la productivité est à nouveau engagée.
Sur ce marché vital, dont l’importance est si grande pour les plus démunis de la planète, on ne peut pas pronostiquer ni souhaiter un déséquilibre accentué : le riz dans le monde reste une activité trop surveillée pour cela, et le rôle des gouvernements y est prépondérant. L’avenir du riz se jouera d’abord entre les Etats, l’OMC et la FAO : les marchés ne feront que suivre.
En revanche, on aurait tort d’oublier le secteur, en s’imaginant qu’une fois la fièvre spéculative passée, le riz va redevenir une "commodité de base", disponible à volonté. Le secteur reste un relais de croissance crucial pour la planète, et un vivier d’innovation d’autant plus important qu’il engage la survie de millions de personnes. Je ne doute pas qu’il voie naître des leaders dans les années qui viennent.
A court terme, maintenant, il me semble probable que les cours soient proches de leur plancher. Une raison fondamentale au moins milite en ce sens : avec un paddy autour de 500 $ la tonne, nombre de pays (en Afrique, par exemple) qui s’étaient lancés dans la "production à tout prix" pour des raisons d’autosuffisance alimentaire vont pouvoir revoir leur stratégie et rationaliser leurs cultures. Un sursaut des prix me semble proche : pour le long terme, c’est une autre histoire, qui échappe à notre perspective d’investisseurs particuliers. Mais il faudra surveiller les sociétés innovantes du secteur dans les années qui viennent.
[NDLR : Et Sylvain est là pour ça… et pour vous aider à dénicher les entreprises les plus prometteuses dans le secteur du riz, des céréales… et de toutes les autres matières premières. Pour découvrir ses conseils, continuez votre lecture…]
Meilleures salutations,
Sylvain Mathon
Pour la Chronique Agora
(*) Globe-trotter invétéré et analyste averti, Sylvain Mathon est un peu "notre" Jim Rogers… Après avoir travaillé durant dix ans au service de grandes salles de marché, il met depuis février 2007 toute son expertise en matière de finances et de matières premières au service des investisseurs individuels dans le cadre de Matières à Profits, une lettre consacrée exclusivement aux ressources naturelles… et à tous les moyens d’en profiter. Il intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières & Devises.