S’il n’existe pas de risque systémique qui pèse sur les banques, le système ne peut pas se sauver tout seul.
Dans notre précédent article, nous avons vu les différents risques qui pesaient sur les banques. Qu’en est-il des mécanismes de résolution bancaire ? Sont-ils suffisamment dotés en ressources ?
Bail-in vs. bail-out : avancées et limites
Le bail-in repose sur le fait que les banques doivent se sauver par elles-mêmes (enfin, en réalité, en mettant à contribution non plus le citoyen, mais celui qui a prêté à la banque avec des ordres de priorité – ou de seniorité, comme on dit dans le jargon financier).
1/ En cas de grosses difficultés d’un établissement bancaire, ce sont les détenteurs du capital dur, appelé aussi « fonds propres de base » (core equity Tier 1 ou CET1 dans le vocabulaire de la réglementation bancaire), qui sont les premiers impactés. C’est cette base de capital qui sera dépréciée en premier lieu, en proportion des pertes, et jusqu’au maximum de leur capacité d’absorption. Les détenteurs de ce CET1 sont donc nos actionnaires, qui seront directement concernés car les premiers impactés.
2/ Ensuite, si les pertes de la banque sont supérieures à ce que peuvent absorber les actionnaires via les fonds propres durs, on va faire appel aux détenteurs de dettes subordonnées. Il s’agit des quasi-fonds propres que l’on va appeler dans l’environnement règlementaire Bale 3 des fonds propres additionnels de catégorie 1 (Aditionnel Tier 1) et des fonds propres de catégorie 2 (Tier 2). Ici, seront concernés les créanciers obligataires dits « junior » (cela signifie qu’ils commenceront à être touchés par les pertes et défauts lorsque les vrais actionnaires auront déjà été impactés de plein fouet). D’où là aussi une forte prime de risque sur ces obligations bancaires dites subordonnées. Rappelez-vous que ces sont ces obligations Aditionnel Tier 1 (ADT1) qui ont défrayé la chronique lors de la faillite du Credit Suisse. En effet, les détenteurs d’obligations ADT1 Credit Suisse avaient été spoliés à hauteur de l’intégralité des encours (autour de 16 MdsCHF), au mépris des règles élémentaires de la réglementation baloise qui les plaçaient derrière les actionnaires en termes de risques et de pertes.
3/ Enfin, si d’aventure dans un scénario apocalyptique, la réduction totale des engagements précédents est insuffisante, les autorités devront déprécier les dettes seniors, de maturité supérieure à 1 mois et les dépôts non couverts par le fonds de garantie des dépôts (c’est-à-dire au-delà des 100 000 € pour les banques de la zone euro). Les créanciers seront ici concernés si les pertes sont supérieures à ce qu’auront perdu d’abord les actionnaires et ensuite les créanciers de dettes obligataires subordonnées. Donc, autant dire que même en situation de stress extrême, le déposant est relativement protégé. Même s’il est prévu que le bail-in ne permettra d’imposer des pertes « que » jusqu’à 8% du passif global des banques (capitaux propres inclus bien évidemment). Et au-delà de ces 8% ? Un fonds de résolution doit être mis à contribution avec un plafond de 13% (soit 8% +5%) du total des passifs.
L’analyse que doit faire un déposant quant à la sécurité de ses avoirs liquides (compte courant, livrets) est la suivante : en cas de graves difficultés de ma banque par les actionnaires, et si le total du bilan le permet, mon épargne liquide à court terme est sécurisée tant que les pertes de l’établissement ne dépassent pas 13% du passif total grâce aux contributions successives des actionnaires, des créanciers d’obligations subordonnées et d’obligations seniors et enfin si nécessaire grâce à la contribution du fonds de résolution (alimenté par les banques, donc par de l’argent « privé »).
Le Fonds de résolution unique (FRU) appartient au Conseil de résolution unique (CRU). Le FRU peut être utilisé pour permettre au CRU d’appliquer de manière efficace et efficiente ses outils de résolution et ses pouvoirs. Le FRU est un moyen de s’assurer que l’industrie financière contribue à la stabilisation du système financier. Le FRU est constitué de contributions d’établissements de crédit et de certaines sociétés d’investissement des 21 juridictions qui font partie de l’Union bancaire. Il sera constitué progressivement au cours des huit premières années (2016-2023). Le FRU devrait atteindre le niveau cible minimal de 1% des dépôts garantis de tous les établissements de crédit de l’Union bancaire d’ici le 31 décembre 2023. Ce montant devrait se situer entre 70 et 75 milliards d’euros.
Mais si la situation de la banque est tellement apocalyptique que les pertes totales ne peuvent pas être intégralement absorbées par 13% du total du passif de bilan, l’argent « privé » et les bails-in ne suffiront plus. C’est à ce moment-là qu’il existe un risque potentiel sur les dépôts à vue des clients, et qu’il faut réfléchir à l’activation éventuelle des mécanismes de garantie des dépôts.
Le Fonds de garantie des dépôts a été créé en France par la loi du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière. Il est destiné à indemniser les clients en cas de défaillance de leur banque ou de leur organisme financier ayant adhéré à ce fonds. Si par exemple, en France, votre banque devait après avoir tout essayé (cf. développements plus hauts sur les dispositifs de sauvetages internes), faire quand même faillite, vous pourriez théoriquement récupérer tout ou partie de votre argent déposé (officiellement 100 000 € par banque et déposant). En effet, le fonds de garantie des dépôts compense jusqu’à un certain montant les éventuelles pertes des clients déposants de la banque en défaut.
Ce Fonds de garantie des dépôts, devenu le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), disposait de près de 7 Mds€ de capitaux propres à fin 2022. Certes, ce système est alimenté par ses adhérents, les banques et prestataires de services d’investissement agréés en France, qui sont tenus d’y adhérer. On pourrait l’assimiler à un mécanisme de bail-in (argent privé destiné à sauver telle ou telle banque en difficulté). Mais, en réalité ce fonds est tellement sous-dimensionné (les capitaux propres ne représentent qu’un ridicule 0,5% du montant total de dépôts couverts par ce dispositif, soit autour de 1 500 milliards d’euros) que son efficacité repose sur une garantie d’Etat implicite, et donc potentiellement sur de la mobilisation d’argent public.
Voilà qui nous amène à l’enseignement suivant : les bail-outs (sauvetages publics ou parapublics) ne peuvent pas disparaître définitivement surtout dans des configurations de stress extrêmes.
Nous n’avons pas de réel précédent historique en France d’activation de ce fonds de garantie. Néanmoins, nous avons l’exemple récent (même si cela commence à dater) de l’Islande en 2009. Lorsque les banques islandaises firent faillite, un fonds de garantie fut actionné, mais uniquement pour les clients islandais. Cette préférence nationale fut exercée au détriment des clients étrangers de ces banques au rang desquels principalement des clients britanniques et néerlandais, obligeant ainsi les autorités du Royaume-Uni et des Pays-Bas à utiliser leurs Fonds de garantie nationaux pour rembourser leurs ressortissants. Le 29 janvier 2013, l’AELE (Association européenne de libre-échange) a finalement donné raison à Reykjavik dans le dossier qui l’opposait au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, après la faillite de la banque en ligne Icesave, en 2008.
Après avoir remboursé leurs ressortissants respectifs, les gouvernements britannique et néerlandais avaient demandé à l’Islande de les indemniser. Consultés par référendum, les Islandais ont dit non à cette demande, en considérant que ce n’était pas le rôle de l’Etat d’assumer les pertes d’un établissement privé, quand bien même il s’agirait d’une institution financière.