La réforme des retraites peut être menée – encore faut-il qu’elle soit correctement conçue et honnêtement présentée aux Français.
Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, la transition entre répartition et capitalisation a un coût.
Créé par Lionel Jospin en 2001 pour prévenir le choc lié à l’arrivée de la génération « papy-boom » à la retraite, le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) n’a jamais vraiment été pris au sérieux par ses successeurs qui se sont même évertués à le piller, c’est-à-dire à le détourner pour réduire la dette publique. Si le FRR était monté en puissance comme escompté, il aurait créé six fois plus de richesse, c’est-à-dire qu’il disposerait de 63 Md€ de plus qu’aujourd’hui, selon les calculs de l’Institut économique Molinari (IEM).
Si l’Etat empruntait 1 % du PIB de plus par an et plaçait ces capitaux dans le FRR pour provisionner intégralement les retraites des fonctionnaires et des ouvriers d’Etat, il aurait accumulé, au bout de 35 ans, une somme équivalente à 64 % du PIB.
« Comme la dette générée par la montée en puissance de ce fonds (1 % du PIB par an) représenterait 39 % du PIB futur, la création de richesse nette serait de 25 % du PIB (64 % – 39 %). Une partie des recettes du fonds permettrait d’autofinancer plus de 70 % des retraites des fonctionnaires et des ouvriers d’Etat (soit 1,6 % du PIB par an), ce qui permettrait de financer les surcoûts liés aux retraites de la fonction publique d’Etat par rapport au secteur privé. Le reste des gains permettrait de maintenir constants par rapport au PIB le fonds de pension et la dette ayant financé sa montée en puissance. Si le choix était fait d’alimenter ce fonds sur 42 ans, les résultats seraient encore plus spectaculaires. Ce fonds souverain représenterait à terme 88 % du PIB. La création de valeur nette serait de 40 % du PIB et le fonds générerait 2,3 % de PIB par an de gains nets d’inflation, ce qui permettrait d’autofinancer l’intégralité des retraites des fonctionnaires et ouvriers d’Etat (2,2 % du PIB), tout en maintenant la richesse du fonds souverain constante compte tenu de l’inflation et de la croissance. L’Etat serait dans la situation de la Banque de France qui autofinance les pensions de ses retraités. »
Nicolas Marques insiste, par ailleurs, sur le fait que cette stratégie présente des avantages financiers et sociaux. « Provisionner augmentera la qualité de la dette française. Cette démarche enrichira patrimonialement l’Etat et offre de la visibilité aux détenteurs de dette française, les engagements implicites liés aux retraites étant réduits à due concurrence des sommes provisionnées. » En outre, cela ne présente aucun coût social. « Contrairement aux réformes traditionnelles des retraites, les économies seront réalisées grâce aux placements et non par une réduction des prestations. »
L’IEM souligne aussi que la part des dépenses de retraite au sein des dépenses de personnel de l’Etat est passée de 15 % en 1977 à 38 % en 2023, « ce qui pèse mécaniquement sur les budgets des ministères et réduit les marges de manœuvre pour augmenter les personnels ». N’oublions pas non plus que « dans une fonction publique n’ayant pas provisionné les retraites, la plus faible revalorisation du point d’indice a été le moyen privilégié pour limiter l’envol des dépenses de pension ».
Par conséquent, « du point de vue des fonctionnaires, le provisionnement n’est pas un risque mais une opportunité ».
Le manque d’épargne retraite en Europe nuit à l’innovation
Même si, nous l’avons vu, des pays européens ont adopté, depuis de nombreuses années, la capitalisation pour les retraites (Danemark, Pays-Bas, Suède, pays d’Europe centrale, etc.), l’épargne retraite reste insuffisante sur le continent, comme le montre une autre étude de l’IEM.
Les auteurs de l’étude ont calculé qu’il manquait, par rapport aux Etats-Unis, 19 700 milliards d’euros (Mds€) d’épargne retraite fin 2023 dans l’Union européenne (UE). L’épargne retraite représentait 28 % du PIB fin 2023 en Europe contre en moyenne 143 % aux Etats-Unis, soit un déficit de près de 115 % du PIB.
Ce manque d’épargne retraite investie à long terme (puisqu’une vie active dure plus de 40 ans) explique, en grande partie, la faible capitalisation boursière de l’UE comparativement aux Etats-Unis. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que le manque de capitalisation boursière et le manque d’épargne retraite sont quasiment similaires. « La capitalisation des entreprises de l’Union représentait 65 % de son PIB contre 177 % du PIB aux Etats-Unis fin 2023. L’écart, 112 % du PIB de l’UE, correspond au retard de capitalisation boursière européen de 19 300 Mds€. »
Or, comme le souligne l’IEM, « dans un monde où les capitaux propres servent à financer les innovations de rupture, ce manque de capitalisation boursière rime avec retard dans la course à l’innovation et déclassement économique ».
C’est ainsi qu’il y a dix fois moins de capital risque en Europe qu’aux Etats-Unis : l’UE représente 5 % des fonds de capital-risque levés dans le monde, contre 52 % pour les Etats-Unis en 2023.
C’est ainsi qu’il y avait 14 entreprises de moins de 50 ans cotées en Bourse avec une capitalisation boursière de 10 Mds€ ou plus, contre 241 entreprises aux Etats-Unis, et que la capitalisation boursière de ces entreprises européennes représentait à peine 434 Mds$, soit 68 fois moins que celle des entreprises américaines récentes (29 566 Mds$).
C’est ainsi qu’il y a deux fois moins de dépenses de recherche et développement (R&D) en pourcentage du PIB en Europe (1,2 % en 2021) qu’aux Etats-Unis (2,4 %). C’est ainsi que l’UE dépend quasi intégralement des Etats-Unis pour les infrastructures et les plateformes numériques.
Les pays de l’Union européenne, s’ils veulent rester dans la course technologique et économique, n’ont pas d’autres choix que de combler ce déficit d’épargne retraite qu’ils ont vis-à-vis des Etats-Unis. Les régimes de retraite, comme l’indique l’IEM, sont des investisseurs de long terme qui ont la particularité d’investir significativement en actions et de privilégier leurs pays d’origine, avec en moyenne 56 % des encours placés à domicile.
Généraliser les fonds de pension dans le secteur privé et provisionner les retraites des fonctionnaires dans le secteur public devrait être une priorité de tous les pays européens. Réallouer l’épargne existante, comme le proposent la France et la Commission européenne, ne suffira pas.
L’avenir se joue maintenant
On comprend que la question des retraites n’est pas accessoire. Elle est, au contraire, sans vouloir faire un jeu de mots, vraiment « capitale » car elle touche à la fois aux finances publiques et au financement de l’innovation.
C’est donc bien de notre avenir dont il est ici question. Laisser les choses en l’état ou réformer « à la petite semaine », c’est immanquablement nous préparer des lendemains qui déchantent.
Bertrand Martinot insiste beaucoup (trop) dans ses études sur le fait qu’il n’y aurait pas un système supérieur à l’autre, autrement dit que la capitalisation ne serait pas meilleure que la répartition. Souscrit-il à la rengaine des politiques de tous bords, répétée à satiété ces derniers mois, selon laquelle il n’est évidemment pas question de remettre en cause notre système social que le monde entier nous envie ?
Ce système social, hérité de la Libération et du régime de Vichy, est à bout de souffle et nous plombe. De nombreux pays ont réussi à se réformer, y compris en Europe. La France serait-elle le seul à ne pas y parvenir ?
La réforme des retraites peut être menée, encore faut-il qu’elle soit correctement conçue et honnêtement présentée aux Français. Ce que, pour l’instant, les politiques (et les syndicats) n’ont pas fait.
2 commentaires
On peut aussi envisager de faire cotiser les robots…
Praticien conventionné, 50 ans d’exercice libéral avec des journées très, très longues… les charges de retraite calculées sur le C. A. qui en découle et à la fin une retraite mensuelle inférieur au SMIC !!!
Nous ne pouvons que féliciter ceux qui ont réussi cet exploit.
Où est passé l’argent ?