Peut-on financer la transition vers la capitalisation sans augmenter les cotisations ? Oui, à condition de réorienter intelligemment les ressources existantes et de tirer parti des rendements de long terme.
Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, face aux limites croissantes du système actuel par répartition, Bertrand Martinot propose un régime mixte combinant 2/3 de répartition et 1/3 de capitalisation, afin de garantir la soutenabilité des retraites tout en allégeant les prélèvements sur le travail. De son côté, Jean-Philippe Delsol défend une bascule complète vers la capitalisation, jugée plus efficace et plus équitable à long terme, malgré un coût de transition élevée.
La transition financée sans hausse des cotisations
Il est indéniable que la transition entre répartition et capitalisation a un coût – et un coût élevé !
La difficulté majeure tient au fait que« les actifs qui ont cotisé à leur retraite par répartition ont une créance sur l’Etat en quelques sorte », selon Jean-Philippe Delsol. Une créance qui n’est d’ailleurs pas enregistrée en dette publique dans les comptes de l’Etat et représente pourtant 8 474,4 Mds€ à fin 2023.
Pour Jean-Philippe Delsol, « ce montant considérable pourrait être financé sans nuire ni aux actifs ni aux retraités du fait du bien meilleur rendement de la capitalisation ». Les actifs continuaient à cotiser à un taux de 28 % dont une partie (15 %) serait affectée à la capitalisation tandis que le solde (13 %) alimenterait un fonds servant à verser les retraites par répartition dues à ceux qui y auraient cotisé jusqu’au basculement en capitalisation.
A ces 13 % de cotisations affectés pendant les 50 années suivant l’entrée en vigueur de la réforme, il faudrait ajouter les dotations affectées par l’Etat aux retraites (les 130 Mds€ évoqués plus haut), les 20 Mds€ (valeur 2023) affectés au financement du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), et les 10 Mds€ (valeur 2023) de cotisations employeur des fonctionnaires.
Voici ce que l’Iref souligne : « Les dépenses devant être faites pour une part avant que les sources de financement soient obtenues, il faudrait emprunter dans un premier temps et rembourser ensuite avec intérêts, ce que les 300 Mds€ (environ) de ressources supplémentaires, par apport aux dépenses, et les réserves actuelles des caisses de retraite devraient permettre, sachant que le cas échéant l’Etat devrait pouvoir poursuivre son effort de financement de 100 M€ par an au-delà des 50 premières années si nécessaire pour achever le remboursement des sommes empruntées. Après quoi les cotisations devraient pouvoir être ramenées à 15 % du salaire et l’effort de l’Etat réduit de l’équivalent de 100 Md€ (valeur 2023) par an. »
Comme le dit Jean-Philippe Delsol, c’est « un long parcours, mais qui est nécessaire » puisque, de toute façon, le système actuel est insoutenable en l’état.
Les retraites des fonctionnaires ne sont pas provisionnées
Si, comme nous l’avons dit, les fonctionnaires disposent d’un modeste système par capitalisation avec la retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP), c’est bien le système par répartition qui gouverne essentiellement les retraites du secteur public. Et ce système est en crise profonde pour une raison majeure : les retraites versées par l’Etat employeur ne sont pas provisionnées et sont à la charge du budget. En 2023, les dépenses de retraite de l’Etat représentaient 62,3 Mds€, soit 40 % du déficit public (154 milliards). Avec la dégradation du ratio retraité par cotisant liée à l’arrivée à maturité de la taille de l’Etat, les retraites des fonctionnaires civils de l’Etat devraient représenter 89 % de leurs traitements indiciaires en 2025. Elles sont trois fois plus coûteuses que celles du secteur privé, financées avec 28 % de cotisations sur les salaires bruts, ce qui dégrade le rapport qualité prix des services publics. Ce phénomène, masqué dans les travaux du Conseil d’orientation des retraites, creuse le besoin de financement de l’Etat.
Sur la période 1977-2023, les retraites expliquent 71 % de l’envol des dépenses de personnel de l’Etat (+59 Mds€ de 2023). Les pensions ont progressé de 42 Mds€ (soit bien plus vite que la rémunération des employés de l’Etat (+17 Mds€).
Cette situation-là n’est pas plus tenable que celle des retraites du secteur privé. C’est pourquoi l’Institut économique Molinari (IEM) s’est penché sur la question avec une note que son directeur général, Nicolas Marques, a présenté au colloque du 2 avril 2025.
Intitulée « Provisionner les retraites des fonctionnaires pour restaurer les finances publiques », la note considère que, si l’on souhaite rétablir les finances publiques, il est nécessaire de « provisionner les retraites des fonctionnaires – c’est-à-dire placer des capitaux pour financer leurs retraites ». Ainsi, « au lieu d’être intégralement financées par des prélèvements obligatoires voire de la dette publique, les retraites des fonctionnaires le seraient par des prélèvement obligatoires et par le rendement de l’épargne (dividendes et plus-values) ».
Comme l’explique Nicolas Marques : « Si l’Etat avait en partie provisionné ses retraites comme le Sénat, il aurait réduit son déficit de 30 % en moyenne depuis 2008 et économisé 35 Mds€ en 2023. Si l’Etat avait été encore plus prévoyant, et provisionné l’intégralité des retraites de ses personnels comme la Banque de France, il aurait économisé près de 60 Mds€ en 2023. La Banque de France a placé 14 Mds€ permettant de provisionner intégralement les retraites de ses personnels, mais aussi de restituer au gouvernement français 2,6 Mds€ correspondant aux excédents de provisionnement depuis 2020. »
Les données publiques montrent que « les promesses de retraite faites par l’Etat à ses personnels représentent une dette hors bilan de 1 840 Mds€ », soit 63 % du PIB. Si l’Etat souhaitait provisionner les retraites de ses personnels au même niveau que le Sénat, il faudrait qu’il place près de 1 000 Mds€ dans un fonds souverain. S’il voulait les provisionner au même niveau que la Banque de France (100 %), il devrait placer 1 840 Mds€.
Très bien, mais comment faire ? Les oiseaux de mauvais augure argueront qu’il va falloir payer deux fois dans la phase transitoire pour assumer les pensions promises aux retraités et en même temps constituer un fonds permettant d’autofinancer les retraites futures, et que cela ne pourra se faire qu’à condition de rééquilibrer les finances publiques.
Pour Nicolas Marques : « Ce raisonnement présente deux lacunes majeures. D’une part, il inverse les causalités. Sans réduction significative de charge liée aux retraites des fonctionnaires, une remise en ordre des finances publiques est improbable. » D’autre part, il oublie que, même financé par de l’endettement, le provisionnement s’avère un investissement particulièrement rentable. En effet, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire : « Il existe un différentiel significatif à long terme entre les intérêts versés aux détenteurs de dette publique et le rendement des placements à long terme type actions, privilégiés dans le cadre d’une démarche de provisionnement à long terme. Placer à long terme des capitaux dans un fonds souverain génère un enrichissement durable et significatif, même lorsque ces capitaux ont été financés par de l’endettement. »
Nous aborderons dans notre prochain article la question du Fonds de réserve pour les retraites ; celui-ci pourrait permettre à la France de provisionner les pensions des fonctionnaires, d’améliorer la qualité de sa dette et de soutenir l’innovation, sans réduire les prestations ni alourdir les prélèvements.