La chute récente sur les marchés ne sort pas de nulle part, et ce n’est pas plus une surprise que tous les actifs financiers soient touchés en même temps. Le modèle ne peut plus fonctionner indéfiniment…
Le modèle sur lequel est fondée la dérégulation/financiarisation est en train d‘imploser. Tous les papiers baissent en même temps, actions et obligations.
L’argent sort de l’imaginaire financier et va dans le réel.
En un mot, le modèle sur lequel repose la financiarisation est un modèle captif.
Cela signifie que ce modèle marche tant que la monnaie reste piégée à l’intérieur de l’univers des actifs financiers ou financiarisés, c’est-à-dire tant qu’elle ne part pas à la recherche de ses contreparties réelles.
Actifs papiers ou actifs réels ?
Dans cette situation – dite de déflation –, il est préférable de détenir des actifs financiers, actions et/ou obligations plutôt que de préférer les valeurs réelles, c’est-à-dire les biens et services.
L’inflation, c’est la situation inverse, quand les biens et services semblent préférables aux actifs papiers, quand le réel est préféré aux signes du réel ou aux promesses.
Dans la déflation, le prix des papiers augmente, et cela se répartit selon les circonstances et les cycles d’humeurs entre les actions et obligations.
Dans l’inflation, les prix des biens et services augmentent, tandis que les prix des papiers baissent en même temps.
La situation nouvelle où actions et obligations chutent en même temps est la rupture du pacte de la dérégulation, le moment où l’on fuit le papier.
Les prix à la consommation et à la production s’envolent, tout comme les prix de l’énergie. On recherche le réel, la rareté refait surface, il y a re-convergence, début de réconciliation, la déconnexion entre sphère financière et sphère réelle se réduit.
Si Keynes était encore là, il dirait : vite il faut ré-instiller la peur, il faut casser le moral des agents économiques, il faut qu’ils redeviennent frileux et préfèrent à nouveau le papier.
La diversification à l’identique
Cela signifie que la diversification, le maître-mot de la finance, est une connerie. Je le dis depuis plus de 20 ans, mais c’est vrai que j’écris pour le très long terme – à l’échelle de l’histoire ! La valeur de tous les papiers se repose sur le même sous-jacent qui est le taux d’intérêt, l’attrait pour la détention de monnaie. Tout comme en 2008, tout avait le même sous-jacent : les prix de l’immobilier.
Ce que l’on appelle le portefeuille-type – l’allocation d’actif qui répartit les actions et obligations à 60%/40% ou 40%/60% – cesse de protéger. De même, les stratégies de parité des risques qui parient sur les décorrélations volent en éclats : on perd sur tout.
Comme le disent les commentateurs, il y a des dégâts, des pertes colossales dans l’univers imaginaire de la finance, et le pétrole prend sa revanche sur les idiots du climat.
Comme je vous l’expliquais la semaine dernière, la détention d’actifs financiers est risquée. Personne ne peut le contester, l’histoire et la logique le prouvent.
Le risque ne peut être supprimé, mais il peut être transféré, pris en charge, assumé par d’autres, en dehors du marché boursier.
Le risque est déplacé
C’est ce qui se produit : on a séparé la performance du risque qui y est attaché en transférant le risque sur… le bilan de la banque centrale.
Ce bilan monte et gonfle au fur et à mesure que les indices boursiers grimpent. Bien sûr, cela se fait par paliers, pas en continu.
Chaque fois que le risque apparait et montre sa face hideuse, comme fin 2019 et début 2020, les banques centrales déploient le filet de sécurité, elles baissent les taux, elles inondent de liquidités, elles achètent les emprunts d’Etat, les hypothèques et les ETF.
La secrétaire au Trésor Janet Yellen a fait savoir récemment que, la prochaine fois, les banques centrales achèterons les actions comme l’ont fait les japonais.
Le « put » comme on dit, l’option de vente conférée aux marchés par les banques centrales, n’est rien d’autre qu’un transfert du risque. On sépare risque et performance et on stocke le risque dans le bilan de la banque centrale.
Autrement dit, on balance le risque du marché financier sur la monnaie.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]