▪ L’actualité de mardi a été dominée par la contestation populaire dans l’Hexagone. Les discours officiels concernant l’allongement de la durée de vie parviennent de plus en plus difficilement à masquer une autre thématique : la profonde inéquité du partage de la richesse créée (de la valeur ajoutée dans le jargon) entre salariés et actionnaires depuis le milieu des années 90.
C’est un vaste débat politico-philosophique qui dépasse de loin le champ de nos compétences. Des Prix Nobels se sont cassé les dents sur cette problématique, des gouvernements se sont vus chassés du pouvoir pour n’avoir su expliquer le bien-fondé de ce processus… alors imaginez à quel point nos avis seraient insignifiants.
S’agissant des retraites, nous n’y comprenons pas grand-chose ! Notre cerveau est obscurci par une foule de questions idiotes. Pourquoi tout l’argent que nous versons en faveur de divers régimes de retraite obligatoires ne travaille-t-il pas dès qu’il est prélevé, et où passent les sommes qui ne nous sont pas créditées ?
Comment l’épargne provenant des salariés du privé se retrouve-t-elle détournée vers des caisses de retraite déficitaires du secteur public… et pourquoi n’observe-t-on jamais le cas de figure inverse ?
Pourquoi certaines catégories socio-professionnelles peuvent-elles racheter des annuités au bon moment et à un tarif avantageux… Alors que d’autres cotisent à perte (au-delà de certains plafonds, l’argent versé leur est intégralement confisqué) et ne peuvent combler à leur gré une parenthèse involontaire (chômage, accident de la vie…) dans leur carrière ?
Vous voyez, nous n’y comprenons rien… En plus, nous développons une approche paranoïaque de la question des retraites : qu’adviendra-t-il de notre épargne — massivement investie en bons du Trésor — si la bulle obligataire explose ? Qu’est-ce qui nous attend après l’épisode de déflation qui se profile à l’horizon 2011 ?
De la "reflation" ? De l’hyperinflation ? L’amputation du montant des pensions comme en Grèce, en Irlande ou en Espagne ?
Nos cerveaux sont faits pour manipuler des concepts tout simples : partant d’une forme de partage à 50/50 au milieu des années 90, nous ne comprenons pas pourquoi celui qui fournit une pelle et regarde les autres travailler prélève désormais 65% — contre 35% pour l’ouvrier — du profit généré par le creusement d’une galerie qui donne accès à un gisement de pépites d’argent.
Serait-ce lié à la délocalisation du traitement du minerai ?
Comment 0,0001% des salariés américains dont le métier consiste à brasser l’argent que la Fed déverse entre leurs mains parviennent-ils à capter 1% du PIB des Etats-Unis à leur seul profit ? Cela représente 144 milliards de dollars de bonus — de quoi combler cinq déficits de la Sécurité sociale ou financer trois ans d’opérations de "sécurité" en Irak.
▪ Le précédent assouplissement quantitatif de la Fed n’a pas vraiment relancé l’emploi mais fait le bonheur des directeurs d’écoles privées les plus onéreuses de la Côte est et des concessionnaires vendant des coupés sport d’ultra-luxe (Bugatti, Lamborghini, Mc Laren…).
Nous avons cherché sur internet quelques textes un peu "techniques" concernant les tenants et les aboutissants des politiques d’assouplissement quantitatif déjà expérimentées aux Etats-Unis. Comme l’heure est à la contestation, notre attention a été tout particulièrement captivée par le texte d’une interview en anglais datant du 5 octobre dernier.
Le spécialiste interrogé n’est pas tendre pour la politique monétaire menée ces derniers mois par la Fed. Il taille un splendide costard en "super 200" aux banquiers archi-bonussés de Wall Street.
Nous tiendrons secret le nom de ce virulent critique du système jusqu’à l’avant-dernier paragraphe de cette chronique, afin que vous savouriez ses déclarations pleinement et sans aucun a priori.
Interrogé sur le fait de savoir si Wall Street était en train d’achever le gonflement d’une bulle des bons du Trésor à court ou moyen terme, l’intéressé a répondu que non, puisqu’il s’agit très précisément du contraire.
"Une bulle obligataire traduit classiquement une indifférence au risque de crédit. Dans le cas présent, c’est tout au contraire une fuite devant le risque de défaut de paiement sur certains instruments ne bénéficiant pas de la garantie de l’Etat".
"Ce risque doit être particulièrement élevé aujourd’hui encore pour que les acheteurs se contentent d’une rémunération inférieure à celle qui prévalait au plus fort de la crise post-Lehman, c’est-à-dire fin novembre 2008" (c’est-à-dire avec moins de 1,2% de rendement sur des T-Bonds à cinq ans, 0,57% sur la dernière adjudication de bons à trois ans, NDLR).
L’interviewé poursuit : "pourquoi les banques commerciales américaines préfèrent-elles placer en dépôt 1 000 milliards de dollars dont elles disposent auprès de la Réserve fédérale à un taux qui n’excède pas 0,25% — alors qu’elles pourraient sans difficulté prêter ces sommes à court terme à un taux 10 fois plus élevé aux municipalités américaines ou aux entreprises ?"
"Seule explication possible : les banques sont convaincues — et elles doivent avoir de bonnes raisons pour cela — qu’une partie significative des sommes prêtées ne leur seront pas remboursées".
"Puisque nous en sommes là, un nouvel assouplissement quantitatif aboutissant à la création monétaire d’un millier de milliards de dollars supplémentaires ne sert à rien".
"La Fed a-t-elle contribué à relancer l’économie en imprimant 1 700 milliards de dollars au cours de la première phase de rachat massif de créances du secteur privé ?"
"Comme les banques n’ont aucune intention de prêter pour investir ou refinancer des emprunteurs aux abois, il va s’agir d’une nouvelle une opération comptable, sans impact favorable sur l’économie mais qui fait déjà rêver par avance les traders de Wall Street".
"La création monétaire doit correspondre à de la richesse créée, mais si cette richesse n’a pas encore d’existence concrète, il doit s’agir d’une anticipation correcte de richesse à venir. La banque centrale qui manoeuvre le robinet des liquidités n’aucun droit à l’erreur : un mauvais calibrage initial provoquera à terme une inflation impossible à maîtriser".
En ce qui concerne la question des déficits, l’interviewé ajoute que Wall Street est déjà convaincu que seuls des impôts de taille colossale pourront les résorber. Cela induit des anticipations négatives sur la croissance américaine… et alimente la spirale de la baisse de rendement des fonds d’Etat, ce qui conduit déjà les Etats-Unis vers un scénario de "décennie perdue" à la japonaise.
Il est temps pour nous ne vous dévoiler l’identité de l’auteur de ces réflexions éclairantes qui ne manqueront pas de séduire les sympathisants des mouvements anti-capitalistes actuels : vous l’avez peut être déjà deviné — nous connaissant un peu –, il s’agit d’Alan Greenspan !