En théorie, peu importe comment se finance un gouvernement : dette, taxes, création monétaire. En pratique, dès que le doute s’insinue, la monnaie ne vaut plus rien.
Les intellectuels posent les bases.
C’est-à-dire qu’ils creusent les fondations d’une structure extraordinaire — une tour de dette plus haute que toutes celles qu’on a vues à ce jour.
L’architecte principal ? Paul Krugman ? Jerome Powell ? Joseph Stiglitz ?
Non. Il ne s’agit absolument pas d’un architecte… mais d’une politicienne.
Adeptes des taux bas
C’est Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), la jeune et ambitieuse représentante du 14ème district de New York, qui tient la pioche.
C’est peut-être la femme la plus jeune jamais élue au Congrès, mais elle n’est pas née d’hier. Par ailleurs, elle n’en sait peut-être pas plus long que Donald J. Trump (DJT) sur l’économie, mais elle reconnaît une tendance gagnante quand elle en voit une.
Et en l’an de grâce 2019, la dette est devenue plus populaire que les sites de rencontres amoureuses.
Nos lecteurs américains approuvent généralement que nous nous moquions de démocrates comme Mme Ocasio-Cortez… mais détestent que nous disions du mal du président. Nombre d’entre eux voient ce qui se passe à Washington comme une lutte entre le bien et le mal — et ils savent de quel côté ils sont !
Nous prédisons cependant qu’AOC et DJT se retrouveront bientôt du même côté. Au-delà du bien et du mal — dans l’idiotie la plus basique.
Tous deux sont déjà « adeptes des taux bas ». Et lorsque la situation virera à l’aigre, tous deux en arriveront à adorer la Théorie monétaire moderne (TMM)… et les déficits fédéraux à 2 000 Mds$.
Pauvres tocards qui ne connaissaient pas la dette
L’un de nos dictons, à La Chronique : les gens en viennent à penser ce qu’ils doivent penser lorsqu’ils doivent le penser. Les marchés font l’opinion, en d’autres termes, et non l’inverse.
Or les marchés commencent à avoir des problèmes. Les tendances qui ont été si favorables pendant si longtemps — la chute des taux d’intérêt et la hausse des actions — ont désormais calé, voire pris le chemin inverse.
Le secteur privé se trouve confronté à une récession. L’industrie financière voit arriver un marché baissier. A Washington, les recettes fiscales vont chuter… alors que les coûts continuent de grimper.
Comment faire en sorte que la fête continue ? Les politiciens — à droite, à gauche ou au centre — en viendront à l’admettre : la dette, ce n’est pas si terrible, finalement !
Que pensaient donc les générations précédentes, se demanderont-ils ? A économiser les bouts de chandelle et mettre de côté, à équilibrer les budgets, à faire des compromis — et tout ça pour quoi ? Les pauvres tocards n’y connaissaient vraiment rien.
Le penchant intellectuel en faveur d’un accroissement de la dette gouvernementale a progressé cette semaine dans les pages du Financial Times :
« Un gouvernement peut émettre de la dette pour financer ce qu’il souhaite. Il peut payer pour remporter une guerre, pour réduire les impôts d’un groupe favori, pour adoucir les angles d’une récession. Les Etats-Unis ont d’ailleurs émis de la dette pour financer toutes ces choses. Les politiciens américains affirment que la dette publique étouffe l’investissement privé, qu’elle n’est pas soutenable et qu’elle transformera le pays en Argentine. Ou en Grèce. Ou en Venezuela, désormais. Mais quoi qu’ils en disent, ce que font les politiciens américains, c’est voter pour plus de dette ».
Le Financial Times a raison sur le sujet. Année après année… qu’on soit dans un boom ou dans un krach… démocrate ou républicain… ils ont tous voté pour plus de dette. Au moins la Théorie monétaire moderne est-elle réaliste sur le sujet.
Notant que les politiciens n’hésitent pas à s’endetter — sans horribles conséquences, du moins pas récemment –, les TMMistes fantasment sur un monde dans lequel le gouvernement peut obtenir autant d’argent qu’il en veut. La dette ne devrait pas être une limite.
Un gouvernement émet de l’argent, raisonnent-ils. Pourquoi devrait-il même avoir à emprunter ?
Cela semblait une telle bouffée d’air monétaire frais que de nombreux économistes et politiciens se sont mis à hyperventiler. Il y avait là une théorie qui semblait valider une pratique répandue : dépenser plus qu’on ne gagne. C’était l’argent des autorités, après tout, pourquoi n’en dépenseraient-elles pas autant qu’elles le voulaient ?
On pose souvent la question directement à AOC. Elle est pour l’université gratuite, la santé gratuite, ceci gratuit, cela gratuit — « comment payer tout cela ? » demandent les sceptiques.
A quoi elle sort la réponse MMT toute faite : « comment paie-t-on quoi que ce soit ? »
Touché !
« On » ne paie rien du tout. Les autorités paient… avec des ressources que, d’une manière ou d’une autre, elles ont extraites de leurs citoyens — nous. En théorie, peu importe comment elles les obtiennent. Dette. Taxes. Inflation. Faites votre choix.
Dans le fossé
Ce qui compte vraiment, c’est la quantité totale de ressources que les autorités prennent. Plus elles gaspillent, moins il reste pour la production et la croissance réelles. L’avantage pratique de la dette par rapport à l’inflation (où l’on imprime simplement de l’argent), c’est qu’elle limite la quantité.
L’argent emprunté a un coût. Plus les autorités empruntent, plus les taux d’intérêt grimpent. Ensuite, l’économie ralentit… les recettes fiscales déclinent… et les autorités sont en très mauvaise posture.
A ce moment-là, bien entendu, elles bidouillent une solution de secours, demandant à la banque centrales — la Fed — de racheter leur dette de manière à ce que les taux d’intérêt ne grimpent pas. Cela finit par ressembler à un système purement MMT ou chartaliste (*) — où les autorités, dans les faits, impriment de l’argent pour financer leurs programmes de charlatans.
Le principe central de la MMT est profondément défectueux, cependant. Il confond « l’argent » des autorités avec du vrai argent.
La MMT admet que les dépenses sont limitées uniquement par les ressources disponibles dans le monde réel. Mais c’est pour cette raison que nous avons du vrai argent, à la base — pour s’assurer que les limites sont respectées.
La fausse monnaie ne fonctionne que tant qu’elle imite le vrai argent ; c’est-à-dire aussi longtemps qu’elle respecte les limites des ressources réelles. Après tout, une voiture n’est pas une voiture parce que les autorités disent que c’est une voiture. C’est une voiture parce qu’elle vous mène là où vous voulez aller.
Et dès que l’argent des autorités ne vous amène plus là où vous vouliez aller — comme les dollars zimbabwéens en 2006 ou les bolivars vénézuéliens actuels — la MMT s’effondre. Les autorités pouvaient « imprimer » tout ce qu’elles voulaient, ça ne suffisait pas à leur acheter un jambon-beurre.
Heureusement, le dollar américain en a encore sous le pied. Mais avec des politiciens comme AOC ou DJT au volant, ce n’est qu’une question de temps avant que les limites disparaissent… et qu’il termine dans le fossé.
(*) Le chartalisme est une théorie monétaire du début du XXème siècle qui a fortement influencé John Maynard Keynes. La monnaie est considérée comme un bon, un avoir, un coupon pour des taxes à payer. La monnaie résulte d’un « acte souverain ».