Sur fond de grèves et de gilets jaunes, le gouvernement tente de mettre en place la réforme de nos retraites. C’est mal parti…
C’est parti pour la réforme des retraites. En fait, le démarrage a eu lieu dès septembre 2017, quand Jean-Paul Delevoye a été nommé haut-commissaire à la réforme des retraites auprès d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé.
Deux ans plus tard, en septembre 2019, il est nommé haut-commissaire aux retraites et prend place à la table du conseil des ministres. Entre temps, au mois de juillet de cette année, il a remis son rapport « Pour un système universel de retraite ».
Vingt-deux mois ont été nécessaires pour produire le rapport. Maintenant, une concertation citoyenne a été lancée jusqu’à la fin de l’année 2019 alors que le haut-commissaire poursuit les discussions avec les partenaires sociaux sur fond de grèves. En début d’année prochaine commencera une phase de restitution de la concertation et l’écriture d’une loi qui devrait être votée à l’été 2020.
C’est donc presque trois années qu’il faudra à Jean-Paul Delevoye pour aboutir à quelque chose. Et aboutir est un bien grand mot, car la réforme n’entrerait en vigueur que le 1er janvier 2025. Le premier ministre Edouard Philippe a affirmé que la convergence des systèmes demandera au moins 15 ans. « Le nouveau système ne s’appliquerait entièrement qu’à partir de 2040 », a-t-il déclaré le 12 septembre au CESE.
Aujourd’hui seul Xi Jinping, le dirigeant chinois, ose fixer des horizons aussi lointains, sûr qu’il est de la pérennité du régime communiste. Evoquer 2025 signifie-t-il qu’Emmanuel Macron pense toujours être à l’Elysée à cette date ? Et en 2040 aussi ? Ou bien cette réforme sera-t-elle détricotée par les futurs locataires des rues du Faubourg Saint-Honoré et de Varenne ?
Les grandes lignes de la réforme
Si la concertation citoyenne, les discussions avec les partenaires sociaux et les débats parlementaires ne sont pas qu’un moyen d’amuser la galerie, il est probable alors que la réforme qui nous a été présentée il y a quelques semaines ne soit pas exactement celle qui sera votée l’année prochaine. Le premier ministre a d’ailleurs déclaré au CESE que « la réforme n’est pas écrite ».
On peut cependant donner les grandes lignes des préconisations de Jean-Paul Delevoye – un retraité de 72 ans, peu concerné par ce qu’il prépare :
Fin des régimes spéciaux
Puisqu’il s’agit de faire naître un système universel qui s’applique à tous, les spécificités disparaissent. Chacun devra donc contribuer de la même façon et recevra les mêmes droits à la retraite. Concrètement, tout le monde doit entrer dans le même moule, quel que soit son statut professionnel ou la forme de son activité. Les assiettes et les taux de cotisation seraient donc harmonisés.
Régime à points
Le régime général basculera dans un système à points, comme c’est déjà le cas des régimes complémentaires Agirc-Arrco. Dix euros de cotisations donneraient droit à un point qui produira lui-même 0,55 euro de retraite.
Maintien de l’âge de départ à 62 ans
L’âge légal de départ à la retraite resterait à 62 ans, mais il est question de mettre en place un « âge pivot » à 64 ans sous lequel un départ à la retraite sans carrière complète (aujourd’hui 42 ans de cotisations) serait financièrement pénalisé.
Droit à la retraite dès la première heure travaillée
Aujourd’hui, il faut accumuler 150 heures travaillées pour valider un trimestre. Sous cette limite, les cotisations versées l’ont été en pure perte car elles n’ouvrent aucun droit à la retraite.
La réforme prévoit que les points seront acquis dès la première cotisation. Il est également envisagé une cotisation minimale de 1 500 euros pour les travailleurs indépendants.
Simplification des pensions de réversion
Comme les retraites, les pensions de réversion seraient harmonisées. Le conjoint survivant toucherait 70% des droits à la retraite des deux membres du couple.
Cumul emploi-retraite avantagé
Reprendre un emploi alors que l’on est déjà à la retraite est possible aujourd’hui, mais les cotisations retraite versées n’améliorent pas la pension, qui est gelée. La réforme prévoit que de nouveaux droits à la retraite soient engrangés, permettant ainsi d’augmenter la pension.
Des perdants et des… perdants
Le poids de l’Etat, de ses déficits et de ses dettes est tel aujourd’hui en France qu’une réforme, quelle qu’elle soit, ne peut que faire des perdants chez ceux qui profitent de ses largesses.
Tout le monde ou presque touchant une retraite de l’assurance vieillesse, il est à craindre que tout le monde soit perdant. Chacun a bien compris qu’il ne s’agissait pas d’augmenter les retraites et de réduire, en même temps, les cotisations !
Certaines catégories de la population se sont déjà mobilisées pour tenter de faire reculer le gouvernement. On évoque maintenant l’idée d’une réforme qui ne s’appliquerait qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail, c’est-à-dire à aucun des actifs actuels. Pour une reculade, ce serait une sacrée reculade !
En attendant d’en savoir davantage sur ce que contiendra réellement la réforme, nous pouvons lister les perdants à partir des informations en notre possession :
– les agents du secteur public, qui verraient leurs primes soumises à cotisations, et dont le calcul de la retraite serait moins avantageux ;
– les travailleurs indépendants, qui verraient leurs cotisations retraite augmenter fortement, voire doubler, sans que cela améliore leur retraite qui, au contraire, devrait baisser. Et c’est sans compter que nombre de leurs régimes sont bénéficiaires et que leurs réserves partiraient dans le tonneau des Danaïdes du régime général ;
– les cadres supérieurs qui gagnent plus de 120 000 € par an dont la retraite serait plafonnée. Ils continueraient à cotiser pour les salaires perçus au-delà de 120 000 € mais sans ouverture de droits ;
– les personnes nées en 1963 et après cette date, car la réforme s’appliquerait à partir de leur génération et un grand flou entoure la manière dont les droits aujourd’hui acquis seraient transférés dans le nouveau régime à points ;
– les veufs et les veuves, car la pension de réversion ne serait versée qu’à compter de 62 ans contre 55 ans aujourd’hui ;
– les divorcés, qui ne toucheraient plus une partie de la pension de réversion (au prorata de la durée de vie commune) ;
– tout le monde, car ce qui est annoncé par le haut-commissaire n’est pas gravé dans le marbre et les cotisations, la valeur du point et le montant des retraites pourront évoluer dans le temps, à la hausse pour les unes (les cotisations) et la baisse pour les autres, au bon vouloir des gouvernements et du Parlement… et de la santé financière du régime.
Bien entendu, il faudra attendre le vote définitif de la loi et la parution des décrets d’application pour connaître les vrais perdants et les éventuels gagnants de la réforme, chaque cas étant différent du voisin.
Ce n’est pas une question d’argent !
Le haut-commissaire prétend avoir mis au point une réforme « vers un système plus simple, plus juste, pour tous ». Il n’est donc pas question de réforme « économique ». D’ailleurs, Delevoye écrit que le système de retraite, « grâce aux efforts qui ont été conduits au cours des 25 dernières années, […] est aujourd’hui proche de l’équilibre financier ».
Un propos que l’on entend aussi de la bouche de la CFDT, Laurent Berger son secrétaire général aimant répéter à qui veut l’entendre que « notre système de retraite n’est pas, contrairement à ce que disent beaucoup d’observateurs, une difficulté financière lourde ».
C’est évidemment un mensonge. Premièrement parce que la démographie est implacable : en 1960, on comptait quatre actifs cotisants pour un retraité ; en 2018, on n’en avait plus que 1,8. En 2050, selon le Conseil d’orientation des retraites, le rapport sera de 1,2 salarié cotisant pour un retraité. La dégradation de ce ratio ne peut que dégrader les comptes.
Deuxièmement, l’Etat a plus de 4 200 Mds€ d’engagements hors bilan, ou de dette fantôme, dont la moitié est due au titre des retraites des fonctionnaires et de l’équilibre des régimes spéciaux qui ne sont pas provisionnés et n’apparaissent donc pas dans le budget général.
C’est pourtant de l’argent qui est dû et qu’il faudra débourser un jour. A part ça, « notre système de retraite n’est pas […] une difficulté financière lourde » !
Troisièmement, les retraites françaises coûtent cher, beaucoup plus cher que chez nos voisins. L’OCDE indique qu’en 2007, les dépenses publiques consacrées à la retraite représentaient 13% du PIB (en 2019, on doit être à 14%) contre 10,4% en Allemagne, 8,4% en Espagne, 6,6% au Royaume-Uni. Une question qui est étrangement (en fait, ce n’est pas du tout étrange) absente du débat actuel et sur laquelle nous reviendrons dans les prochaines semaines.
Tout cela confirme l’idée qu’il n’est pas raisonnable de s’en remettre à la puissance publique pour régler la question des retraites… et qu’il est même dangereux lui confier toute cette partie de votre vie.
2 commentaires
Tout durant que les français préfereront l’hypocrisie à la sincérité, le mensonge à la vérité, ils continueront d’élire des faux-jetons patentés,
et la situation ne s’améliorera pas!
La dernière phrase est parfaitement juste: cette question des retraites doit être retirée à l’Etat et transférée à la solidarité et à la mutualité.