La victoire électorale du parti des agriculteurs néerlandais préfigure les prochaines batailles environnementales en Europe.
Le Mouvement des agriculteurs citoyens néerlandais (BBB) a remporté une grande victoire lors des élections provinciales du pays, le 15 mars dernier. Avec 19,36% des voix et 139 des 572 sièges en jeu, il est devenu, 4 ans après sa création, le plus puissant parti du pays au niveau local.
Le 30 mai prochain, lors des élections sénatoriales, il devrait obtenir environ 15 des 75 sièges de la Première Chambre (équivalente à notre Sénat), gagnant ainsi une place majeure dans l’échiquier politique national. Il pourra ainsi saper les efforts du gouvernement du Premier ministre Mark Rutte, dont la coalition reste majoritaire dans la Seconde Chambre (équivalente à notre Assemblée nationale).
A l’origine d’une protestation
Le BBB n’a été créé qu’en 2019, mais il a bénéficié d’un soutien populaire à la suite de la décision du gouvernement de réduire considérablement les émissions d’azote en fermant environ un tiers des exploitations agricoles néerlandaises. Et sa victoire dans les urnes n’est probablement qu’un début.
Au cours de l’été dernier, les agriculteurs néerlandais ont protesté contre la politique prévue par le gouvernement en bloquant des routes et des aéroports, et en jetant du fumier sur les fonctionnaires. Le gouvernement de La Haye tente de suivre les directives de l’UE en réduisant les émissions d’azote de 50 % d’ici à 2030. Les émissions d’oxyde nitreux et de méthane sont des sous-produits de l’élevage, par exemple lorsque le fumier est déposé.
Les Pays-Bas, ainsi que le Danemark, l’Irlande et la région flamande de la Belgique, bénéficiaient d’exemptions concernant les plafonds fixés par l’UE pour le fumier en raison de leur faible superficie, mais cette exemption est sur le point de prendre fin pour les agriculteurs néerlandais.
Le gouvernement de Mark Rutte entend réduire les émissions en rachetant les éleveurs, même si ces derniers n’ont guère manifesté d’intérêt pour les cartes-cadeaux.
Le BBB a été critiqué pour ses positions anti-immigration et son hostilité à l’élargissement de l’UE, mais son succès dans les sondages n’a pas grand-chose à voir avec un glissement à droite aux Pays-Bas. En fait, ce scrutin a non seulement attiré de nouveaux électeurs qui ont utilisé les élections provinciales comme un sondage sur le gouvernement, mais il a également porté un coup important aux partis d’extrême droite qui ont subi de lourdes pertes, notamment le « Foorum vor Democratie » (15 sièges, contre 86 en 2019).
Symptôme européen
Le gouvernement néerlandais n’a donc que deux options. Prétendre qu’il s’agit d’une phase politique temporaire, exploiter le fait que ce nouveau parti fera inévitablement des erreurs de communication, et continuer sur la même voie… ou en changer. Il semble que cette dernière option devienne inévitable, et pas seulement parce que le gouvernement a besoin de l’approbation de la Première Chambre pour ses objectifs de réduction d’émissions d’azote.
S’il est possible que la coalition de M. Rutte trouve des voix à l’extrême-gauche, cette stratégie ne serait pas sans inconvénients. Les sénateurs verts et d’extrême gauche sont susceptibles de soutenir les objectifs de la réduction des émissions d’azote, mais aussi de demander des objectifs encore plus ambitieux pour l’avenir, ce qui ne ferait qu’aggraver le climat politique.
Le Premier ministre Mark Rutte, surnommé « Teflon Mark » (pour sa capacité à surmonter de multiples crises politiques au cours de ses 13 années de mandat), est également confronté à la possibilité que les membres de sa propre coalition quadripartite se dégonflent au cours du processus.
Les événements politiques qui se déroulent aux Pays-Bas sont un symptôme de ce qui risque de se produire dans toute l’Europe. L’agriculture, un domaine habituellement réservé aux débats politiques obscurs et aux réunions de commissions qui durent des heures et font bailler, est en train de devenir un élément central des ambitions vertes de l’Europe. Le secteur agricole est indéniablement responsable d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre, mais il s’est retrouvé injustement ciblé par des règles simplistes.
Des promesses intenables
La politique néerlandaise d’élimination progressive d’un tiers des exploitations agricoles est née du constat que le seul moyen réaliste de réduire les émissions de manière fiable serait de réduire considérablement les secteurs de l’aviation et de la construction, deux secteurs que les Pays-Bas ne peuvent pas se permettre de manière réaliste compte tenu de leur activité économique.
La décision de cibler les agriculteurs en dernier recours est emblématique de l’approche européenne qui suscitera beaucoup d’hostilité : c’est l’histoire parfaite pour créer des mouvements populistes.
Au cours de la dernière décennie, l’Europe a fait des promesses ambitieuses en matière d’objectifs d’émissions, mais maintenant que l’UE et ses États membres sont confrontés à la réalité de la manière dont ces objectifs seront atteints, il est probable que les choses se gâtent.
La stratégie « Farm to Fork » de l’Union européenne connaît le même sort : le commissaire à l’Agriculture de la Commission européenne, Janusz Wojciechowski, a déclaré qu’il pensait que cette stratégie désavantage injustement les Etats membres d’Europe de l’Est. Ce même commissaire est pourtant censé défendre les politiques de réduction des pesticides, des engrais et de l’utilisation des terres agricoles.
Selon une étude d’impact réalisée par l’USDA, cette stratégie entraînerait une baisse de la production agricole comprise entre 7 et 12%. Dans le même temps, la baisse du PIB de l’UE représenterait 76% de la baisse du PIB mondial. Les ménages à faibles revenus, qui souffrent déjà de l’inflation, subiraient une pression encore plus forte et seraient très probablement politisés.
Ces dernières années ont vu défiler de jeunes activistes climatiques qui ont dressé des listes de demandes politiques ambitieuses. Dans les années à venir, ce seront les manifestations de ceux qui devront les financer.