De jeunes entreprises innovent dans le secteur bancaire, promettant de meilleurs services à un prix moins élevé que leurs concurrents bien établis. Ce modèle est-il vraiment viable ?
L’attrait de la nouveauté technologique fait parfois oublier la prudence la plus élémentaire.
Les fintechs, ces entreprises qui dépoussièrent le secteur bancaire en offrant des services numériques plus modernes, plus pratiques et souvent moins chers que les établissements traditionnels, connaissent un véritable engouement.
Le début d’année 2021 a été celui de tous les records pour le secteur. Au premier trimestre, 57 levées de fonds de plus de 100 millions de dollars ont été effectuées. Les start-ups croulent désormais sous les capitaux et se diversifient à tour de bras – jusqu’à se marcher mutuellement sur les pieds.
Dans cet enthousiasme débridé, chaque fintech vend à qui veut bien l’entendre sa capacité à devenir leader du marché bancaire. Au point que les investisseurs qui prennent encore la peine de regarder les fondamentaux de l’activité sont encore rares.
La réalité est que le marché bancaire est d’une taille bien connue, et que le nombre de nouveaux arrivants dépasse largement sa profondeur. Toutes les fintechs ne deviendront pas la Société Générale. Leur succès reste hypothétique, bien peu dégagent le moindre bénéfice, et leur survie – même à court terme – n’a rien de garanti.
La néobanque lilloise Swoon, qui a mis la clé sous la porte cet été, vient rappeler qu’après l’euphorie vient toujours le retour à la réalité. Et, dans le cas des établissements financiers, investisseurs comme clients risquent leur chemise lorsque les montages sont bancals.
La fausse promesse des fintechs
L’arrivée des nouvelles technologies a, il est vrai, dépoussiéré un paysage bancaire qui en avait bien besoin. Les banques en ligne ont changé le rapport entre les banques et leurs clients, et conduit à des évolutions attendues de longue date. Bien peu de personnes pleurent la disparition des agences de quartier avec leurs procédures écrites à rallonge, des frais de tenus de compte et d’agios prohibitifs, et des conseillers bancaires aux compétences contestables.
En ce sens, la modernisation des banques est incontestable.
En revanche, la promesse d’augmentation de la taille du marché n’a pas été tenue. L’activité bancaire des particuliers n’a pas augmenté sous prétexte que les opérations bancaires sont désormais faites sur Internet ou l’application d’un smartphone. Pire encore, les néobanques ayant axé leur offre sur une diminution des coûts, elles ont joué un rôle déflationniste.
L’arrivée de nouveaux acteurs pratiquant, à fonds perdus, des tarifs alléchants sur les opérations du quotidien a donc été un jeu à somme nulle (voire négative) pour l’ensemble du secteur. Tout naturellement, les fintechs ont rapidement lorgné sur une activité qui ne connaît aucune limite : le crédit.
Si les revenus des particuliers et des entreprises sont contraints par la réalité de leur situation, leur endettement est virtuellement illimité. De même, l’épargne sans précédent des Français, qui dort aujourd’hui en grande partie sur des comptes courants et des livrets A, est une manne sur laquelle lorgnent toutes ces start-ups.
La néobanque Swoon pensait avoir trouvé la martingale. En proposant à des entreprises des prêts à 5% tout en offrant aux déposants un taux d’intérêt de 3% par an, elle offrait un service où tout le monde devait s’enrichir.
Retour à la réalité
Seul problème : ce modèle oubliait les fondamentaux de l’économie. La réalité a fini par rattraper la fintech, qui a fait faillite, emportant avec elle l’argent de ses actionnaires. Mais aussi celui des prêteurs, qui peinent à retrouver leurs fonds.
L’exemple de Swoon aurait dû mettre la puce à l’oreille des investisseurs.
Pourquoi des entreprises, à l’heure des taux zéro et des prêts garantis par l’Etat – dont l’encours dépassait au dernier recensement les 142 Mds€ –, auraient-elles souscrit à un financement au taux d’intérêt de 5% par an, alors que l’argent est, par ailleurs, quasi-gratuit ? Seules celles dont la santé est jugée trop faible par les établissements traditionnels pour mériter l’accès à l’argent facile avaient intérêt à opter pour cette solution. Ceci expliquait le rendement perçu par l’établissement et celui, quatre fois supérieur au livret A, servi aux épargnants.
Cette « sélection par le bas » impliquait que les flux d’argent de Swoon proviendraient nécessairement d’entreprises à la solidité inquiétante. Lors de la crise sanitaire, des prêteurs ont souhaité retirer leur argent et la machine s’est grippée. Prise entre le marteau du bank run et l’enclume d’entreprises incapables de rembourser l’argent emprunté, l’entreprise n’a pu faire face à ses engagements et a dû déposer le bilan.
A ce jour, près de 500 clients particuliers attendraient de récupérer leur mise, pour un montant moyen d’investissement de l’ordre de 10 000 €. Si le président de Swoon, Quentin Haddouche, prétend encore vouloir « récupérer l’intégralité de l’argent et le restituer aux clients », ceux-ci ne disposent d’aucune garantie. Ils sont soumis à son bon vouloir et à la bonne fortune des entreprises dans lesquelles Swoon a investi en leur nom. Ayant fait, sans même parfois le réaliser, un investissement à risque de perte en capital, ils ne peuvent avoir recours au fonds de garantie des dépôts.
Un devoir de transparence
La mauvaise fortune de Swoon ne représente aucun risque systémique pour le marché, malgré l’importance qu’elle aura pour les épargnants qui avaient choisi de lui faire confiance. Toutefois, cette faillite a au moins le mérite de placer les fintechs face à leurs responsabilités.
Alors que les promesses se font toujours plus délirantes, il est temps de rappeler quelques vérités élémentaires qui ne disparaissent pas du simple fait du recours aux technologies numériques.
Il n’existe pas de rendement sans risque. Si une entreprise emprunte à 5% au lieu de 1%, c’est qu’il s’agit d’un dossier risqué. Si les banques commerciales, malgré les garanties étatiques, refusent de lui prêter de l’argent, c’est que le risque encouru est trop important pour elles. Financer ces entreprises, c’est endosser ce risque.
Certains marchés ne sont pas en croissance. La banque de détail n’a pas de raison de voir son activité croître par le simple coup de baguette magique de la numérisation. Si des dizaines de nouveaux acteurs se battent pour dominer le même marché, leurs chances de succès (et la part à laquelle ils peuvent prétendre) diminuent d’autant.
Tous les placements ne sont pas garantis. Les fintechs qui ne disposent que d’un simple agrément de paiement sont les plus risquées. Très facile à obtenir, il n’offre pas les mêmes garanties qu’un agrément bancaire.
Dans ce secteur, nombre de start-ups maintiennent le flou quant à leur positionnement réel et quant aux garanties offertes à leurs clients. Cependant, certaines ont pris conscience de leur devoir de transparence et de l’impossibilité de jouer tous les rôles à la fois.
Saluons ainsi Qonto, qui a abandonné mi-septembre son projet d’obtenir un agrément de crédit, préférant déléguer cette activité à ses partenaires. L’entreprise, qui compte acquérir 500 000 clients d’ici deux ans, recentre ainsi son activité sur son cœur de métier. Ce qui reste le meilleur moyen, dans l’économie réelle, de fournir un service de qualité et pérenne.
1 commentaire
Nous aurions aimé un petit podium des fintechs ( plus ou moins ) solides, et des fintechs à risque .