Dans cet extrait de son nouveau livre, Gagner ou Perdre, Bill nous explique pourquoi le gouvernement ne peut être que gagnant-perdant.
Les gouvernements démocratiques expriment « la volonté du peuple », n’est-ce pas ? Les dirigeants sont élus. Ils passent des lois. Les lois imposées aux gens sont les lois que les gens veulent. Elles sont censées nous protéger… et accroître notre bien-être général. Qu’y a-t-il de mal à cela ?
Voilà le mythe qui rend la démocratie consensuelle relativement bénigne ; le marché gagnant-perdant qui se cache derrière est moins facile à voir.
Comme nous le disons souvent, le seul moyen d’accroître le bien-être général tient aux marchés gagnant-gagnant. Mais le gouvernement, par définition, est gagnant-perdant. Il ne donne qu’en prenant à quelqu’un d’autre. Dans le passé, cette vérité était manifeste. Mettez un Attila à la tête d’une armée à Times Square… ou laissez un Tamerlan empiler une série de têtes coupées sur le gazon de la Maison-Blanche… et vous n’aurez pas de peine à comprendre ce qui se passe.
Il n’y a pas de subtilités. Pas de mystères. Pas de bouches proférant des mensonges suaves. Une politique de cette nature est telle que tout le monde peut voir ce qui se passe. Pas de surprises. Pas de plans cachés.
La violence comme force vitale
D’un autre côté, la démocratie moderne apparaît plus civilisée et plus tolérable – avant tout parce que les mythes qui la dominent la font sembler plus consensuelle qu’elle n’est en réalité. De manière interne au moins elle dissimule ses épées couvertes de sang et amalgame les intérêts de groupes rivaux. Par là, la malignité du pouvoir politique pur se déguise en tailleurs, en conciliabules sans fin et en platitudes.
Il n’en reste pas moins que la force vitale du gouvernement est la violence. Le gouvernement, et lui seul, revendique le droit de forcer les gens à conclure des marchés gagnant-perdant. Et comme le montre notre formule SG = vr (g-g – g-p) (la satisfaction générale totale est égale à la valeur réelle des marchés gagnant-gagnant moins les marchés gagnant-perdant), plus vous avez de marchés gagnant-perdant, moins vous vous trouvez bien.
Les communautés réduites limitent naturellement le nombre des marchés gagnant-perdant qu’elles sont prêtes à tolérer. Les gens sont trop proches des faits pour supporter trop d’inepties. Il n’en va pas de même avec les gouvernements à grande échelle qui imposent des marchés gagnant-perdant à des gens lointains sans feedback consensuel pour limiter les dégâts.
Une question de savoir
Le premier problème d’une planification à grande échelle est un manque d’informations solides. Dans une grande communauté, vous ne pouvez savoir les choses d’une manière directe et personnelle. Les planificateurs centraux partent avec un énorme handicap. Ils ne peuvent être au courant des conditions actuelles ; cela requerrait, comme Samuel Bailey, le philosophe britannique, l’écrivait en 1840, « une connaissance minutieuse de milliers de particularités que ne peut connaître que celui qui a un intérêt à les connaître ».
Le savoir nécessaire à prendre de bonnes décisions est dispersé, pas concentré. Cela ne laisse aux planificateurs d’élite qu’une masse de savoir public qui, comme nous l’avons vu, n’est guère autre chose qu’un mythe, du baratin et des hypothèses statistiques.
Un autre problème est que si un individu… ou même un petit groupe… peut bénéficier d’une stratégie gagnant-perdant – avec ses règles imposées, ses mensonges et ses vols, tous soutenus par la violence –, il est très difficile à un groupe beaucoup plus large de bénéficier de la même façon.
A mesure que la taille du groupe augmente, mathématiquement, il devient de plus en plus difficile de gagner en prenant des choses aux autres. A la différence d’une société du gagnant-gagnant, qui s’enrichit en s’agrandissant, plus il y a de gens qui pratiquent une approche gagnant-perdant, moins celle-ci devient efficace. Comme Maggie Thatcher le disait du socialisme, « vous finissez un jour par avoir dépensé l’argent des autres ».
La tentation de la corruption
Un troisième grand problème pour les planificateurs à grande échelle est la tentation de la corruption. Dans une grande communauté, les planificateurs et les décideurs forment une petite minorité – souvent distincte culturellement ou même racialement des gens qu’ils gouvernent.
Moins d’un adulte sur quatre a voté pour Donald Trump. Moins d’une personne sur 1 000 est effectivement en situation de faire pencher une politique publique dans sa direction. De telles personnes ont souvent un programme qui est très différent de ce que veut la majorité. Leurs mythes sont différents ainsi que leurs intérêts économiques.
Une élite est inévitable. Certaines personnes sont plus rapides, plus intelligentes, plus fortes, plus rusées ou simplement mieux introduites. A mesure qu’une société devient plus sophistiquée, elle a besoin de davantage de personnes mieux qualifiées – de prêtres, de professeurs, de généraux, d’ingénieurs, de riches, de gens convaincants… de gens qui connaissent la plomberie.
Ces gens inventent des choses… ce sont des artistes, des poètes, des artistes de variété… ils lancent de nouvelles entreprises, écrivent des livres et gagnent des prix Nobel. Ce sont les meneurs de la civilisation… explorant, guidant et expérimentant… introduisant des modes et des standards… construisant des écoles et des asiles d’aliénés… et tirant vers l’avant la masse de l’humanité.
Mais à mesure que l’échelle d’une société augmente, les élites acquièrent davantage de pouvoir dont inévitablement elles se servent pour leur propre profit. Aussi bien, dans ce conflit, leurs plans tendent d’abord de manière imperceptible puis de manière effrontée vers leur propre intérêt.
Même le flux des informations, qu’ils contrôlent, est détourné pour flatter leurs programmes, leurs mythes et leurs préjudices. Ils tirent la sonnette d’alarme à propos d’un ennemi étranger – et s’attirent la gloire de sa conquête. Ils montrent le besoin d’un projet massif de nouvelles infrastructures ; leurs beaux-frères obtiennent les contrats. Ils fomentent une rébellion… et deviennent les nouveaux chefs.
De manière typique, qu’il s’agisse d’une guerre menée contre la pauvreté ou d’une guerre contre la terreur… ce sont les élites qui obtiennent les bénéfices et les gens du commun qui paient le prix.
Le fossé s’agrandit
Avec le temps, les élites s’éloignent toujours plus du citoyen ordinaire. Elles vivent dans des quartiers différents. Elles travaillent dans la finance, les communications, la technologie et le gouvernement… pas dans les industries de l’économie ordinaire, telles que les manufactures, l’agriculture ou le commerce de détail. Elles s’enrichissent… alors que 90% de la population perdent du terrain sur le plan financier.
Sur quoi, le puissant faucon fédéral ne prête plus aucune attention au fauconnier qui vote. Pourquoi le ferait-il ? Les masses n’ont aucune idée de ce qui se passe… de la manière dont le jeu est mené… ou de la manière dont elles sont arnaquées.
A mesure que l’échelle grandit, un profond fossé s’ouvre entre les « leaders » et le « peuple »… entre la politique publique et les conséquences privées… entre les informations véritables et les fake news. Les initiés de l’élite – dans le commerce, le gouvernement, le monde académique et les médias… à gauche et à droite… que ce soit dans le gouvernement centralisé de Louis XIV ou les Etats-Unis d’après la Grande Guerre… républicains ou démocrates – deviennent des parasites.
Un parasite est moins létal qu’un tueur. Le parasite veut que son hôte soit en vie, et non qu’il meure. Pinker fait remarquer que le taux d’homicides baissa lorsque le gouvernement se renforça. Nous n’en doutons pas ; le gouvernement moderne a un grand intérêt au bien-être de ses citoyens.
Mais cet intérêt ressemble plus à celui d’un maître pour ses esclaves que celui d’un parent attentionné. Le parent attentionné veut que ses enfants grandissent pour devenir forts et indépendants. Le bon maître veut que ses esclaves soient en aussi bonne santé pour aussi longtemps que possible, mais à la seule fin de les exploiter.
[…] La plupart des citoyens des démocraties d’aujourd’hui trouvent leurs chaînes tolérables… et même confortables. Il est facile de tromper les gens, surtout quand ils n’ont accès qu’à « l’information publique ». Hors de la portée de la voix du héraut, ils n’ont pas davantage idée de ce qui se passe que les planificateurs. On les encourage à croire que les plans collectifs sont bénéfiques. Ils acceptent souvent cette plaisanterie, et même pour des décennies, alors que leur vie quotidienne contredit ses prémisses et sape ses promesses.
Combien d’œufs sommes-nous prêts à casser ?
De manière encore pire – lorsque les fraudes de l’élite échouent et que leurs mythes s’effondrent, elles ne renoncent pas. Elles ne disent pas « bon… on va cesser de vous arnaquer ». Elles recourent à la force. Les gouvernements de consensus deviennent moins consensuels et plus conflictuels.
Sur quoi, pour encourager la docilité, des planificateurs sans scrupules – pensez à Lénine, Hitler, Staline, Mao, Pol Pot, Kim Jong-il – commencent les purges, les purifications, les réglementations, les famines, les déportations, les disparitions, les tortures, les attaques de drones et les meurtres de masse. Ils soutiennent que les gens doivent faire des sacrifices pour le bien supérieur. Comme Lénine passe pour avoir dit : « On ne peut faire une omelette sans casser des œufs. »
Les gens accepteront de casser quelques œufs (surtout s’ils appartiennent à quelqu’un d’autre) pendant un moment, mais l’omelette n’arrivera jamais sur la table. Aucun « paradis des travailleurs » n’apparaît jamais. La guerre contre les drogues (ou la pauvreté… le crime… la terreur… ou encore la guerre commerciale) se termine sur un échec, pas sur une victoire. Et si l’un ou l’autre de ces programmes « réussit », c’est à un coût qui excède de loin ce qu’il rapporte et presque toujours à la suite du fait d’avoir pris le contre-pied de quelque programme antérieur.
En bref, les planificateurs à grande échelle échouent parce qu’ils affirment trois choses qui ne sont pas vraies : d’abord qu’ils comprennent les conditions actuelles (les manques, les désirs, les mythes, les espoirs, les capacités et les ressources) de la communauté pour laquelle ils font des plans. Ensuite qu’ils savent ce que l’avenir de la communauté devrait être. Et enfin qu’ils sont capables de créer l’avenir qu’ils veulent.
Aucune de ces choses n’est davantage qu’une illusion. Ensemble, elles constituent ce que Hayek décrivait comme la « prétention fatale que l’homme est capable de modeler le monde autour de lui selon ses désirs ».
La vie sur Terre n’est pas rationnelle au point de se prêter à quelque intervention simpliste et maladroite. On dresse les plans d’un pont. Ou d’une maison. Ou d’un accélérateur de particules. Mais pas d’une économie, d’une société ou d’une famille. Celles-ci sont plutôt les produits d’une civilisation vernaculaire dans laquelle la plupart des transactions, la plupart du temps, sont le résultat de l’évolution et non d’un plan intelligent.
Bien entendu, les humains peuvent parvenir à un certain genre d’avenir imposé. Si les planificateurs du Pentagone, par exemple, décidaient qu’une guerre nucléaire serait une bonne chose, ils pourraient la provoquer. Les effets en seraient énormes. Mais c’est là le seul genre d’alternative à l’avenir que les planificateurs sont capables de produire, une alternative qui pulvériserait le tissu délicat d’un doux commerce et d’une vie civilisée évolués. De façon moins dramatique, ils l’étirent, le souillent et le déchirent de toutes sortes de façons.
Gagnant-gagnant est le moyen communément accepté pour obtenir ce que vous voulez et ce dont vous avez besoin dans la vie. Seuls les escrocs, les goujats et le gouvernement opèrent selon un modèle différent.
[Terminons] en renvoyant à une idée que nous avons avancée dans notre dernier livre, Hormegeddon.
Nous nous y demandions si le gouvernement à grande échelle était simplement une institution transitionnelle, comme l’esclavage, plutôt qu’une caractéristique permanente de la vie humaine. L’esclavage était lui aussi un système gagnant-perdant. Et pour des millénaires, l’esclavage était tenu pour « naturel » et inévitable. Apparemment, même Jésus ne pouvait imaginer la vie sans lui.
Mais en l’espace d’une seule génération, l’esclavage disparut pratiquement du monde civilisé. Peut-être cela arrivera-t-il aussi un jour au gouvernement.
[NDLR : Ce texte est un extrait du nouveau livre de Bill Bonner, Gagner ou Perdre. Pour vous le procurer sans plus attendre – et découvrir le reste de « l’histoire des civilisations » telle qu’envisagée par Bill, cliquez simplement ici : une lecture parfaite pour mieux comprendre notre époque agitée… et comment nous en sommes arrivés là.]